Frère John Martin.
Sahajananda ( Frère John Martin) moine bénédictin, a été un des plus proches disciples du Père Bede Griffiths qui a fondé avec le Père Le Saux l’ashram de Shantivanam en Inde. Il a rédigé une courte étude comparative des enseignements de Shankara et de Maître Eckart, puis il a quitté son diocèse en 1984 pour venir vivre à l’ashram de Bede Griffiths. Ce dernier est mort en 1993. Cet ashram est un lieu de prière et de partage inter-religieux, spécialement entre les traditions hindoue et chrétienne. En 1990 Shantivanam s’est affilié à l’ordre bénédictin des Camaldules.
Devenu responsable de l’ashram Frère John martin a donné de nombreux entretiens qui ont été transcrits dans plusieurs livres des éditions les deux océans. Son enseignement essentiel est que tout chercheur sérieux, à un moment donné se situe au-delà des religions, même s’il continue à respecter les apports de celle qui l’a formé. Je mettrai donc sur ce site quelques extraits de son enseignement, notamment ses paroles sur le Christ qui, je dois le dire, sont peu conventionnelles (surtout pour un moine chrétien) et qui sont en parfaite résonance avec l’enseignement de la non- dualité et avec ceux de Ramana et Bernard.
Dans ce cinquième volet frère John Martin nous rappelle d’une manière simple et éclairante les principes de base de l’advaïta vedanta en précisant la signification de termes hindous que l’on retrouve constamment et qui sont malheureusement souvent mal compris et mènent le chercheur à des confusions néfastes. Au risque de déplaire aux connaisseurs je pense que cet article sera oeuvre utile pour de nombreux chercheurs.
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Les Upanishads sont le point culminant de la quête indienne de la Vérité ou Réalité.( Le mot Upanishad veut dire être assis aux pieds du maître, c’est donc un enseignement reçu en s’asseyant auprès d’un maître.) L’Inde a conservé intacte cette tradition du guru qui transmet la vérité à ses disciples. Il ne s’agit pas seulement de transmettre la vérité à travers les mots mais aussi aider le disciple à trouver la Vérité par lui-même.
Les Upanishads sont aussi appelés Védanta. Les Védas étaient la Vérité révélée. Anta signifie la fin donc Védanta signifie la fin des Védas, la fin de la recherche, l’aboutissement des Védas. C’est le point d’arrivée et avant de comprendre la spiritualité des Upanishads, il nous faut comprendre les différentes étapes de la relation avec Dieu. Dans la recherche védique de la Vérité, nous trouvons quatre étapes principales dans la relation avec Dieu.
a) Relation avec Dieu par la poésie :
La première étape est l’expérience de Dieu dans la nature, dans les merveilles de la création et le fait de communiquer avec Dieu à travers la poésie, les hymnes et les chants. Les Védas sont pleins de poésie. Techniquement cette étape est appelée Samhitas.
b) Relation avec Dieu par les rites :
La seconde étape est la relation avec Dieu par l’intermédiaire des rites et sacrifices. Nous trouvons une grande variété de sacrifices dans la période védique. Techniquement cette étape est appelée Brahmanas.
c) Renoncement à toute médiation :
L’humanité a progressivement découvert que, tant qu’elle était en relation avec Dieu par des mots et des rites, l’union éternelle avec Dieu n’était pas possible. Les médiations créent une unité et, en même temps, séparent. Les médiations sont comme un joug sur les bœufs. Le joug unit les bœufs et les sépare en même temps. Ainsi, l’on arrive à la troisième étape, quand l’humanité renonce aux hymnes et aux sacrifices et entre dans la forêt pour méditer intérieurement. C’est une étape révolutionnaire dans la relation que l’homme entretient avec Dieu. C’est un voyage du connu vers l’inconnu, de la sécurité vers l’insécurité. C’est entrer dans la nuit noire de l’âme. Techniquement cette étape est appelée Aranyakas.
d) Réalisation de l’identité avec la Vérité :
La quatrième étape est l’étape finale, , au cours de laquelle l’humanité découvre que son vrai moi est Dieu. Son vrai moi et Dieu sont un, le même.La réalité qu’elle aimait et son moi réel sont un, le même. L’amant et le bien-aimé sont un, le même. La recherche arrive à sa fin. Ils ont atteint la fin du voyage : vedanta. Techniquement cette étape est appelée Upanishads.
Un voyage intérieur :
Les sages des Upanishads ont entrepris une recherche intérieure qui commence en posant la question : « Qui suis-je ?- Quel est mon moi réel ? Cette recherche du moi véritable leur a fait découvrir quatre niveaux de conscience
-Conscience de veille
-Conscience de rêve.
-Conscience de sommeil profond.
-Thuriya le quatrième état.
Nous devons clarifier la signification des trois mots : Réel, Irréel, Illusion.
Le Réel est ce qui existe dans les trois temps : dans la passé, dans le présent et dans le futur, il n’a ni commencement, ni fin.
L’Irréel est ce qui n’existe que dans un seul temps. C’était soit dans le passé et ce n’est donc pas dans le présent et ne sera pas dans le futur. Ou bien c’est dans le présent, ce n’était donc pas dans le passé et ça ne sera pas dans le futur. Ou encore, ce sera dans le futur, ce n’était donc pas dans le passé et ce n’est pas dans le présent. L’Irréel, c’est ce qui a un commencement et une fin.
L’illusion est l’opposé du Réel. L’illusion c’est ce qui n’était pas, ce qui n’est pas et ce qui ne sera pas. L’enfant d’une femme stérile ou un cercle carré, sont de parfaits exemples de l’illusion. Puisque l’illusion est une contradiction logique, c’est quelque chose que nous ne pouvons même pas imaginer. Au cours de leur recherche du moi véritable, les sages des Upanishads, prirent conscience d’abord de la conscience de veille. C’est la conscience dans laquelle nous sommes conscients de notre corps physique et des objets extérieurs qui nous entourent. Ils se demandèrent si cette conscience de veille était Réelle, Irréelle ou Illusion. Ils arrivèrent à la conclusion que cette conscience de veille n’était pas une illusion, parce que nous en sommes conscients ; qu’elle n’est pas Réelle puisqu’elle a un commencement et une fin ; elle est donc Irréelle (Bernard dirait provisoire mais c’est la même chose.)
Quand nous nous endormons, cette conscience de veille disparaît et nous entrons dans la conscience de rêve. Est-ce que cette conscience de rêve est Réelle, Irréelle ou Illusion ? Ils arrivèrent à la conclusion que ce n’est pas une illusion puisqu’elle existe ; qu’elle n’est pas Réelle puisqu’elle n’est pas permanente ; elle est donc Irréelle.( provisoire). Elle est irréelle puisqu’elle disparaît lorsque je me réveille ou quand je rentre en sommeil profond. Lorsqu’ils prirent conscience de la conscience en sommeil profond et posèrent les mêmes questions, ils arrivèrent également à la conclusion que ce n’est pas une illusion, puisqu’elle existe ; qu’elle n’est pas Réelle puisqu’elle n’est pas permanente, donc qu’elle est Irréelle(provisoire).
Une percée eut lieu à ce moment-là. Les sages avaient découvert que leur moi Réel était au-delà de ces trois niveaux de conscience. Ce moi Réel, ils l’ont appelé Brahman, Atman, Tat, Om, lumière, Vie, Réel etc… Après avoir découvert la quatrième niveau de conscience, ils transmirent leur expérience par de petites déclarations appelées Mahavakhyas, les phrases capitales. Elles sont appelées phrases capitales, parce que chaque déclaration exprime la Vérité toute entière. Si nous comprenons une de ces déclarations, nous comprenons la Vérité toute entière et toutes les autres déclarations.
Les Mahavakhyas ou phrases capitales :
Il y en a 4 !
–Aham brahmasmi (Brihadaranyaka Upanishad 1 : 4-10), elle peut être traduite par : « Je suis Dieu », « Je suis la Vérité », « je suis la Lumière », « Je suis le Réel » etc…
– Tat vam asi : (Chandogya Upanishad ( Chandogya Upanishad 6 : 8-7) signifie littéralement : vous êtes Cela mais nous pourrions aussi dire : Vous êtes la Vérité, Vous êtes la Lumière, Vous êtes la Vie, Vous êtes le Réel. Etc.
– Ayatman Brahma : ( Mandukhya Upanishad 2) signifie littéralement « Atman est Brahman » ,mais nous pourrions dire : Mon moi réel est Dieu, Dieu et moi sommes un.
-Sarvam etat Brahma : ( Mandukhya Upanishad 2) signifie : Tout ceci est Brahman, l’univers créé tout entier est essentiellement un avec Brahman, quoiqu’il soit limité par des noms et des formes. Il serait plus sage de dire que l’univers tout entier est la manifestation de Dieu. En ce sens il est aussi Réel, Lumière, Vie et Vérité.
– Prajnanam Brahman : (Aitareya Upanishad 5 : 3) Brahman est conscience.
Nous allons essayer de comprendre la signification de ces déclarations. Nous devons nous rappeler que ces déclarations ne sont pas des déclarations intellectuelles qu’il faut croire, mais des déclarations mystiques qui nous révèlent la Vérité éternelle. Nous avons à les comprendre attentivement. Si nous les comprenons convenablement, elles nous libéreront. Si nous les interprétons mal, nous les rejetterons ou elles deviendront un fardeau dans nos vies.
Aham brahmasmi
Reprenons ce premier Mahavakhya qui signifie Je suis Brahman ou Je suis Dieu. Supposons qu’un de vos amis vous dise : « Je suis Dieu ! », comment réagiriez-vous ? Nous pourrions dire qu’il s’exprime de façon étrange, que quelque chose ne tourne pas rond chez lui. Cela pourrait résulter de notre conditionnement car on nous a appris que personne ne pouvait prétendre être Dieu. C’est un pur blasphème. Afin de comprendre cette déclaration, nous devons nous poser la question : Quel est le moi qui affirme : je suis Dieu ? La spiritualité des Upanishads reconnaît quatre niveaux de conscience, comme cela a été exposé plus haut et il y a donc aussi, de ce fait, quatre niveaux de moi.
Le moi de la conscience de veille
Le moi de la conscience de rêve.
Le moi de la conscience de sommeil profond.
Le moi de Thuriya, le quatrième état.
Les trois premiers moi sont irréels. Seul le quatrième est réel. Si les trois premiers affirment : Je suis Dieu, nous ne pouvons l’accepter parce qu’ils sont irréels. Seul le quatrième moi peut déclarer cela.. Ainsi quand une personne déclare : Je suis Dieu, cela veut en fait dire que son Moi réel est Dieu, Brahman, Lumière, Vie etc.
Au lieu de déclarer : Je suis Dieu, il vaudrait peut-être mieux dire : Mon Moi réel est brahman ou Dieu. Il est bien sûr très important de garder cela à l’esprit.
Tat vam asi
Vous êtes Cela, vous êtes Brahman.
Quand quelqu’un réalise que son Moi réel est Dieu, cette personne réalise aussi que le Moi réel de chaque être humain ou de chaque créature est Dieu, Brahman, Lumière, Vie etc. Quand quelqu’un nous dit : Vous êtes Dieu, nous pouvons également être surpris et nous interroger sur ce qui est arrivé à cette personne.mais l’élément important c’est de s’interroger sur le « Vous » auquel cette personne s’adresse. De même qu’il y a quatre niveaux de moi, il y a aussi quatre niveaux de vous.
Le vous de la conscience de veille.
Le vous de la conscience de rêve.
Le vous de la conscience de sommeil profond.
Le vous de Thuriya, le quatrième état.
Les trois premiers « vous » ne peuvent être appelés Dieu ou Réel. Seul le quatrième peut être appelé Dieu. Ainsi quand je dis à quelqu’un « Tatvamasi », je ne m’adresse pas au « vous » irréel de cette personne mais à son « vous » réel qui effectivement est Dieu.
Et quand une personne découvre que son Je réel est Dieu, elle découvre aussi que le vous réel de chaque être humain est Dieu.
Il est nécessaire que cela soit bien précisé. Supposez en effet qu’une personne dise : « j’ai pris conscience du fait que je suis brahman, et désormais aucun autre être humain ne peut avoir cette expérience, et tout être né en ce monde doit se prosterner à mes pieds. Dans ce cas cette personne devient un oppresseur de l’humanité. Mais si une personne dit : j’ai découvert que mon moi réel est Dieu et je désire que chacun découvre cette vérité, alors cette personne devient un libérateur, un rédempteur. Tatvamasi est une déclaration libératrice, qui résulte de la découverte de Aham brahmasmi. Ces deux déclarations sont complémentaires.
Ayatman Brahma
Ce troisième Mahavakhya peut-être traduit par Atman est Brahman, ou Dieu et moi sommes un. Ces deux mots Atman et Brahman nécessitent d’être clarifiés. Beaucoup de chrétiens tiennent l’Atman pour l’âme humaine, ce qui n’est pas le cas. L’âme humaine c’est Jivatman. Ces deux mots Atman et Brahman sont interchangeables. Mais dans ce contexte Atman signifie le fondement de la conscience individuelle et Brahman désigne le fondement de l’univers. Atman est le fondement au niveau microcosmique et Brahman le fondement au niveau macrocosmique. Mais en fin de compte, le fondement de la conscience individuelle et le fondement de l’univers, sont une seule et même réalité .Permettez-moi de l’expliquer par une analogie. Imaginons un réservoir d’eau avec de nombreux robinets. Chaque robinet affirme -à un niveau individuel-« ma source c’est l’eau » et tous les robinets disent -collectivement-« notre source c’est l’eau ». Mais il n’y a pas de différence essentielle entre « mon eau » et « notre eau », entre « mon fondement » et « notre fondement ». C’est exactement la même eau. Il en est de même avec la Réalité. Quand on désigne le fondement de la conscience individuelle, on l’appelle Atman et quand on désigne le fondement de la conscience universelle, on l’appelle Brahman. Mais dans leur essence, ils sont une seule et même réalité. Cela ne veut pas dire que l’âme humaine soit Brahman ou que l’être humain soit Dieu.
Sarvam etat Brahma
Le quatrième Mahavakhya signifie que la création toute entière est Brahman, ou Dieu ou la Vérité. Cette affirmation est tenue par certains pour du panthéisme. Mais ce n’est absolument pas du panthéisme.
Nous avons vu précédemment que les Upanishads distinguent le Réel de l’Irréel, Dieu seul , est Réel. Il n’y a qu’un Dieu et une seule réalité. La création n’est pas une Réalité autre, séparée de Dieu.Nous aurions alors deux Réalités indépendantes, Dieu et la création, chacune existant par elle-même. Mais selon les critères évoqués ci-dessus : la création est Irréelle (provisoire). Et en même temps, elle est le déploiement du divin. En tant que déploiement du divin, elle a un commencement et une fin. Elle apparaît et disparaît, mais elle est une avec le divin dans son essence. Puisqu’elle apparaît et disparaît, elle est appelée » maya » illusion, mais son état Réel c’est d’être un avec le Brahman et d’être éternel. La relation entre Dieu et la création peut être comparée à l’eau et à la glace. L’eau est liquide et la glace est solide mais elles ne sont pas deux réalités indépendantes.. La glace a un commencement et une fin. Elle vient de l’eau et fond à nouveau dans l’eau. En tant qu’objet solide, elle est limitée et finie. Mais ce qui est réel c’est l’eau. La glace n’est qu’un de ses aspects . Mais au niveau essentiel l’eau et la glace sont une seule et même réalité. C’est la non-dualité. Quoique la création puisse apparaître finie, limitée et transitoire, elle est éternellement une avec Brahman et a une valeur éternelle. Ceci est la bonne nouvelle de ce Mahavakhya.
Ces quatre Mahavakhyas que nous avons analysés ne représentent pas quatre expériences différentes mais une seule expérience transmise à l’aide de quatre phrases. Si nous comprenons le sens profond d’une seule phrase capitale, nous comprendrons aussi le sens profond des autres phrases puisque chaque phrase exprime la même expérience ou vérité.
Extraits du livre de John Martin Sahajananda: l’être humain est plus grand que la religion.