Sommes nous prêts à marcher sur les eaux ? (Frère John Martin 4)

                                       frère John Martin.

Sahajananda ( Frère John Martin)  moine bénédictin, a été un des plus proches disciples du Père Bede Griffiths qui a fondé avec le Père Le Saux l’ashram de Shantivanam en Inde. Il a rédigé une courte étude comparative des enseignements de Shankara et de Maître Eckart, puis il a quitté son diocèse en 1984 pour venir vivre à l’ashram de Bede Griffiths. Ce dernier est mort en 1993. Cet ashram est un lieu de prière et de partage inter-religieux, spécialement entre les traditions hindoue et chrétienne. En 1990 Shantivanam s’est affilié à l’ordre bénédictin des Camaldules.
Devenu responsable de l’ashram Frère John martin a donné de nombreux entretiens qui ont été transcrits dans plusieurs livres des éditions les deux océans. Son enseignement essentiel est que tout chercheur sérieux, à un moment donné se situe au-delà des religions, même s’il continue à respecter les apports de celle qui l’a formé. Je mettrai donc sur ce site quelques extraits de son enseignement, notamment ses paroles sur le Christ qui, je dois le dire, sont peu conventionnelles (surtout pour un moine chrétien) et qui sont en parfaite résonance avec l’enseignement de la non- dualité et avec ceux de Ramana et Bernard.

Dans ce quatrième volet frère John Martin donne une interprétation très personnelle mais très belle et éclairante sur l’épisode de l’évangile qui relate la marche du Christ sur les eaux. il nous précise entre autre qu’une religion n’est qu’un bateau qu’il faut laisser à un moment donné,  pour se jeter à l’eau, rejoignant en cela les paroles du Bouddha évoquant le fait qu’il fallait abandonner le radeau lorsque l’on accostait sur l’autre rive.

________________________________

Je voudrais parler du miracle de Jésus marchant sur les eaux( Mattieu 14 : 22-33). Il me semble que ce miracle de Jésus a quelque chose à nous dire, à nous qui entrons dans le troisième millénaire. Ce miracle ne devrait pas être vu simplement comme quelque chose qui nous montre le pouvoir de Jésus, mais il a une valeur éternelle et son message est éternel. Jésus a guidé ses disciples sur la route et la route symbolise un code moral pratique. La route peut nous emmener vers la mer, l’infini et l’inconnu. Sur la mer on ne peut tracer de route. On doit voyager avec un bateau.
Le bateau symbolise une structure de croyance qui promet de nous emmener vers l’autre rive. En ce sens chaque religion est un bateau qui promet à ses fidèles de les emmener vers l’autre rive.
Et il y a de nombreux bateaux sur la mer et il y a aussi beaucoup de bateaux portant l’étiquette du christianisme. Jésus voyageait avec ses disciples sur un bateau. Mais à un certain moment il a demandé à ses disciples d’aller seuls en bateau, il ne les a pas accompagnés. Quand le bateau a été secoué par les vagues, car le vent leur était contraire, Jésus est venu vers ses disciples en marchant sur les eaux. Nous pouvons imaginer les disciples dans le bateau, luttant contre le vent, et Jésus marchant sur les eaux sans absolument aucun effort. Peut-être Jésus a-t-il révélé un nouveau chemin de vie par cette action et a-t-il invité ses disciples à le suivre. Peut-être souriait-il à ses disciples en disant :
« Venez à moi, vous tous qui travaillez et luttez, je vous donnerai le repos. Regardez-moi et voyez comme je suis léger. Je suis vide et sans ego, je peux marcher sur l’eau. Je n’ai pas besoin de bateau, je n’ai pas besoin de travailler et de lutter. En moi, vous trouverez le repos pour vos âmes, parce que mon chemin n’est pas le chemin du bateau. Mon chemin est un chemin sans chemin. En moi, le chemin et la destinée ne font qu’un. Mon chemin est ma destinée. Pour cette raison, mon chemin est très facile. Vous pouvez être libres à chaque instant de votre vie. C’est pour cette raison que mon fardeau est léger. »

Le chemin de Jésus n’est pas un chemin qui repousse tous les autres chemins vers Dieu. Le chemin de Jésus n’est pas un chemin parmi bien d’autres chemins vers Dieu. Le chemin de Jésus est celui qui transcende tous les chemins et les bateaux. C’est le seul chemin vers Dieu et il n’y a pas d’autre chemin. Voilà, le repentir réel. Pour marcher sur l’eau, on doit être très léger, humble et sans ego, car l’ego ne peut marcher sur l’eau.
L’ego est comme une pierre, il est lourd et aussi petit qu’il puisse être, il a besoin d’une route. Il a besoin d’un code moral pour vivre et il a toujours besoin d’un bateau de croyance pour voyager vers l’inconnu.
Il a toujours besoin d’une route, d’un véhicule. L’ego qui essaie de marcher sur l’eau se noiera, celui qui essaie de voler s’écrasera sur le sol et se brisera les bras et les jambes.

L’objectif ultime de toute religion est d’aider ses fidèles à abandonner leur ego.

Mais malheureusement, chaque religion crée son propre ego. Chaque religion a son bateau sur la mer de l’infini. Aujourd’hui, nous avons de nombreux bateaux sur la mer qui promettent d’emmener les gens vers l’autre rive.

Mais chaque bateau nous sépare du contact direct avec la mer infinie.

En ce sens, au niveau des bateaux, il n’y a pas de solution, il n’y a pas d’espoir pour l’oeucuménisme ou le dialogue interreligieux. Chacun dira : mon bateau est vrai, mon bateau me conduira vers Dieu. Avant je condamnais les autres bateaux, maintenant je les respecte mais mon bateau me suffit.
Mais notre moi véritable, le « Je » réel, créé à l’image et à la ressemblance de Dieu, est léger comme une plume. Il peut marcher sur les eaux de l’océan infini, il peut voler dans la liberté du ciel infini. Il n’a pas besoin de route, il n’a pas besoin de bateau, parce qu’il est un avec sa destinée. Son chemin de vie se déploie alors que le chemin de l’ego est un devenir.
De même que le poisson creuse son chemin dans l’eau sans laisser de traces durables, de même que les oiseaux voyagent du matin au soir sans laisser leurs marques dans l’espace, de même ceux qui suivent la Vie éternelle vivent leur vie sans laisser aucune trace.
Dans les eaux et l’espace de la Vie éternelle, personne n’entre dans les traces laissées par les autres et personne ne laisse de traces à suivre Chacun entre dans un espace original, dans des eaux originales et chacun vit une vie originale.
Personne ne sera un maître pour les autres. Personne ne sera disciple d’un autre. Chacun sera son propre maître et son propre disciple. Le maître quitte le bateau, cela signifie que le maître renonce à son autorité et à son pouvoir de maître.
Marcher sur l’eau est l’action la plus humble que l’on puisse faire. Quelle personne peut-être plus humble que celle qui souhaite disparaître sans laisser aucune trace que les autres pourraient suivre ?  Quelle personne peut-être plus humble que celle qui ne veut pas entrer dans les pas laissés par d’autres ? Laisser des traces pour les autres signifie qu’on les réduit à n’être que des êtres humains de seconde main. Entrer dans les traces laissées par les autres, c’est devenir, un être humain de seconde main. Mais un être compatissant peut laisser des traces, juste comme une indication, comme celles que les oiseaux laissent sur le sol, avant de s’envoler dans la liberté de l’espace infini.
En ce sens dans la Vie éternelle, il n’y a ni maître ni disciple, comme Dieu l’a promis au prophète Jérémie :
« Aucun ne devra enseigner à son voisin comment connaître le Seigneur, parce que tous me connaîtront, du plus petit au plus grand. »
Le maître meurt pour donner la Vie à ses disciples et le disciple meurt pour donner la Vie à son maître. Le disciple et le maître deviennent amis. Jésus exhortait ses disciples :
« Je ne vous appelle plus mes serviteurs, car le serviteur ne sait pas ce que fait son maître, mais je vous appelle amis parce que tout ce que j’ai appris de mon Père, je vous l’ai fait connaître ».(Jean 15 :15)
Je ne veux plus vous appeler serviteurs ou disciples, mais je veux vous appeler mes amis. Je ne veux pas que vous m’appeliez « Maître » mais je veux que vous m’appeliez « Ami » et à nouveau Jésus réprimande ses disciples :
« Ne vous faîtes pas appeler rabbi. Vous n’avez qu’un maître et vous êtes tous frères. Sur terre n’appelez personne Père, vous n’avez qu’un père qui est au ciel. Ne vous faîtes pas appeler Maître car vous n’avez qu’un Maître le Christ. Celui qui est plus grand parmi vous, qu’il soit le serviteur des autres. Quiconque s’élèvera sera abaissé et quiconque s’abaissera sera exalté. » ( Matthieu 23 : 8-12)

NDLR: ces conseils n’ont apparemment pas été suivis, puisqu’on continue d’appeler un prêtre : « mon père » ( ça m’a toujours étonné d’ailleurs!) et ne parlons pas des instances du Bouddhisme que je connais bien et dans lesquelles les mots Maître et vénérable abondent……………Quelle misère que l’être humain qui fait constamment la confusion entre l’amitié spirituelle profonde et l’idolâtrie, la soumission à une autorité excessive dans le seul but de récolter des avantages sécuritaires, affectifs, spirituels ou autres……..

Quand Jésus n’est pas monté sur le bateau avec ses disciples, il a renoncé au titre de Rabbi, il a renoncé au titre de Père, il a renoncé à être appelé Maître. Auparavant, il avait pris tous ces titres mais ce n’était que dans le but de les aider et les amener à rencontrer la réalité, face à face, puis à se retirer de la scène. Il a été leur serviteur. Marcher sur l’eau est l’acte le plus humble que Jésus ait fait et l’acte le plus humble que l’on puisse faire pour les autres : ne pas devenir un modèle et ne pas réduire les autres à n’être que des êtres humains de seconde main et leur enlever ainsi la vie. Jésus est venu donner sa vie pour les autres et leur donner la vie :
«  de même que le Père a la Vie en lui-même, ainsi il a donné au Fils d’avoir la Vie en lui-même. » ( Jean 5 : 26) . «  je suis venu pour que vous ayez la Vie, la Vie en plénitude. » ( Jean 10 : 10).
Jésus par sa présence sur l’eau invite chacun de ses disciples, et par conséquent l’humanité entière, à le rejoindre.

Aussi longtemps que vous serez sur le bateau, vous devrez vous battre et vous ne connaîtrez jamais le repos.

C’est seulement en moi que vous pourrez connaître le repos. Quittez ler bateau et entrez dans la mer de Dieu, afin d’être là où je suis. Si vous avez confiance en la mer de Dieu, elle prendra soin de vous. N’ayez pas peur, vous pouvez faire cela.
Pierre répondit à l’appel de Jésus. Il ne pensa pas trahir ses compagnons. En effet il n’y a aucune trahison dans le domaine de la croissance spirituelle. Il découvrit des possibilités bien plus grandes dans les relations avec son maître et il répondit. Il quitta le bateau, ses compagnons, sa fonction de chef, entra dans l’eau et fut capable de marcher sur l’eau. Mais cette nouvelle expérience, cette nouvelle liberté, c’en était trop pour lui et son moi antérieur, son ego réapparut et il commença à se noyer. Pierre était faible psychologiquement. Il fut prompt à répondre, puis il recula……Cependant plus tard à cause de sa foi Jésus lui remit les clés du royaume de Dieu. Les clés du royaume que Jésus a données à Pierre, n’étaient pas tant les clés qui ouvraient les portes du royaume de Dieu- car les cieux ne peuvent avoir de portes puisqu’ils sont partout- mais c’étaient les clés de la porte de la cage qui permettaient d’ouvrir les portes et de libérer ceux qui étaient emprisonnés. Quelles clés pourraient être plus puissantes que celles qui relativisent la Loi et le temple ? Comment peut-on comprendre ces clés, si ce n’est dans le sens de la sagesse ? Jésus a donné à pierre la sagesse du royaume qui libère du fardeau que représente la connaissance de la Loi. Les clés se trouvaient déjà dans les écritures. Les écritures avaient déjà parlé de la relativité de la loi et du temple au regard de la nouvelle alliance. Mais les gardiens de la loi ne les ont jamais utilisées et n’ont jamais permis à personne de le faire. La connaissance de la Loi reconstruit des routes ou des bateaux, mais la sagesse nous libère des routes et des bateaux et nous unit à Dieu. Avec des clés ordinaires, nous pouvons ouvrir et fermer la porte, mais avec les clés du royaume, nous ne pouvons qu’ouvrir la porte de la cage et non la fermer.
Ouvrir la porte signifie relativiser la loi et le temple. Fermer la porte signifie absolutiser la Loi et le temple.
Les clés du royaume relativisent la Loi et le temple, mais ne peuvent les absolutiser. Ces clés ne peuvent être utilisées que pour libérer les gens et non les rendre esclaves. En ce sens les clés du royaume ne peuvent jouer qu’un seul rôle, celui de libérer les êtres Seul un esprit qui a soif de pouvoir peut essayer de les utiliser pour attacher les gens. Jésus et Pierre avaient une vérité profonde à nous révéler, particulièrement pour nous aujourd’hui, alors que des millions de chrétiens ont quitté les églises institutionnelles étouffantes et recherchent ailleurs la liberté intérieure. Il est déchirant de voir que des millions de chrétiens sont devenus comme des orphelins frappant aux portes des autres religions pour y trouver l’Amour et le réconfort spirituel tandis que leur mère reste le cœur sec, s’enfermant dans la prison qu’elle s’est elle-même construite.

Jésus a révélé la destinée ultime que l’humanité doit prendre. Il était comme un oiseau volant dans la liberté du ciel infini, mais par compassion pour l’humanité, il est descendu sur terre et y a laissé l’empreinte de ses pas pour montrer aux gens que quelqu’un était entré dans le ciel.  Il est comme un excellent nageur qui pénètre dans la mer de Dieu et qui, par compassion pour l’humanité, a laissé ses vêtements sur le rivage, pour montrer que quelqu’un est entré dans la mer infinie. Mais les gens ont construit de grands monuments sur les vêtements qu’il a laissés et ont complètement oublié le destin qu’il avait choisi.. Pierre en tant que représentant des disciples du Christ a essayé de quitter le bateau et de devenir l’Ami de jésus, ne serait-ce que pour quelques minutes. D’une façon prophétique il a montré aux disciples du Christ, le prochain pas qu’ils devaient faire. Mais ce pas, ce chemin qui n’est pas un chemin est très étroit et très court :
« Entrez par la porte étroite, car large est la porte et facile le chemin qui mènent à la destruction et nombreux sont ceux qui s’y engagent. Mais étroite est la porte et dur le chemin qui mènent à la Vie et peu nombreux sont ceux qui les trouvent. »  (Matthieu 7 : 13_14).
Le chemin de la Vie est très étroit, non pas au sens de l’espace, mais dans le sens où ce pas ne peut être pris collectivement. Chacun doit faire ce pas TOUT SEUL.
Chacun doit prendre sa croix et suivre Jésus. Chacun doit abandonner son ego et découvrir son moi réel. Sur la route et dans le bateau, on peut voyager avec son père, sa mère, sa femme, son mari et ses enfants. C’est le chemin le plus large.Il est plutôt facile et beaucoup de gens l’empruntent. Il est très facile de marcher sur une route déjà construite. On n’a pas besoin de se frayer un chemin. Mais marcher sur la route construite par un autre, c’est vivre une existence humaine de seconde main. Au niveau physique c’est parfait. Mais au niveau de la vie spirituelle,  cela devient destructeur et ne conduit pas à la Vie éternelle.
Pour marcher vers la Vie infinie et la liberté,  l’on doit laisser son père, sa mère, son épouse, son mari et ses enfants, pas nécessairement de façon littérale extérieure, mais certainement intérieurement.
Marcher en groupe c’est facile mais marcher seul c’est très difficile.
 Ce chemin n’est pas seulement étroit mais aussi très court, en ce sens qu’on n’y voit que le pas qui est juste devant soi. On ne voit que ce qui est là MAINTENANT. On y vit d’instant en instant. Mais quand on voit clairement la relativité de la route et du bateau, alors ce chemin étroit et court devient : « un choix sans choix. »
Jésus se tient sur l’eau et invite chacun :
«  Venez à moi, vous tous qui travaillez et avez le cœur accablé. Je suis le chemin, la vérité et la Vie. Mon chemin n’a pas de bateau…Mon fardeau est léger parce que je ne porte pas le fardeau de la Loi écrite. Mon seul fardeau c’est ma liberté infinie et ce n’est pas une quantité mais une qualité, et une qualité n’a pas de poids. »
Si toutes les religions proclamaient ouvertement qu’elles ne sont que des bateaux et que la vérité est bien au-delà et si elles affirmaient haut et fort que les humains sont plus grands que les religions et qu’ils ont le pouvoir de quitter les bateaux, de marcher sur l’eau et de dire : « je suis le chemin, la vérité et la Vie », alors ce serait la fin du dialogue interreligieux et le début de l’unité de toutes les religions. Ce serait le début d’une nouvelle terre et de nouveaux cieux.

Extraits du livre de John Martin : L’Être humain est plus grand que la religion