Critique de la non dualité du point de vue dualiste de l’Inde.

                                                   Krishna.
Pour faire suite à l’article intitulé : Mystique non dualiste et Mystique dualiste(dans la catégorie articles de Alain Jacquemart) voici l’exemple qu’évoque Jean Marc Vivenza dans son dialogue avec le responsable des Hare Krishna lorsqu’il avait 18 ans. C’est une transcription des commentaires de la Bhagavad-Gita, qu’il a entendu commenter lors de son séjour de 3 jours à ce temple et qui prouve de manière irréfutable à quel point les points de vue dualistes en Inde sont aussi intransigeants, avec ceux qui ne partagent pas leur vue (les non -dualistes) que ceux des dualistes français . Vous verrez de suite en lisant les commentaires de Bhaktivedanta Swami Prabhupada qui suivent à quel point les commentaires sont une réplique quasi identique à ceux de Louis Gardet dans son livre : « Expériences mystiques en terres non chrétiennes. ». Pour faciliter la lecture, j’ai mis en italique les passages qui fustigent les tenants de la non-dualité. La critique est donc aussi forte en Orient qu’en Occident et déprécie fortement, la position non dualiste , en montrant son incomplétude.
On peut certes s’interroger sur cette nécessité fréquente des voies spirituelles à se déclarer supérieures aux autres. J’y ai beaucoup réfléchi et les causes sont probablement multiples mais il me semble que la principale est un besoin profond des gens qui suivent une voie de se rassurer sur le fait qu’ils suivent une bonne voie, véritable, surtout face à la multiplicité angoissante des choix. Comme si l’esprit humain avait besoin de penser qu’il a accédé au meilleur pour pouvoir honorer ses choix.
Cette exclusivité  se retrouve d’ailleurs dans les passions amoureuses de la jeunesse: l’être aimé n’est-il pas le plus beau, l’unique ? Les publicités utilisent d’ailleurs cet argument, comme la fameuse lessive de Coluche qui lave plus blanc que blanc ! Chacun d’entre nous d’ailleurs n’essaie t’il pas d’acheter le meilleur produit en se renseignant de multiples manières sur les produits concurrents, en évaluant ( exemple des revues 50 millions de consommateurs). Cette survalorisation et cette façon de penser qu’une chose est unique permet de mettre en route tout le circuit d’acceptation. Il ne faut donc pas s’offusquer des prétentions apparentes de certaines voies à se croire les meilleures, car cela est en lien avec la nature humaine. Mais il me semble que cela doit se calmer avec une certaine maturité afin de ne pas aboutir inévitablement au prosélytisme et ensuite à l’intolérance. En effet si je suis persuadé que ma voie est la meilleure j’estimerai nécessaire de la faire partager à tous, au détriment parfois de l’intérêt de chacun.  Proposer quelque chose qui semble plaire à quelqu’un et lui convenir c’est juste, l’imposer avec force est regrettable et s’appelle manipulation et abus de pouvoir. L’histoire a bien montré à quel point certaines vélléités missionnaires légitimes et bienveillantes au début, ont mené à des violences inadmissibles au nom de Dieu tout Amour. Je suis d’ailleurs persuadé que tout prosélytisme excessif recouvre paradoxalement un doute énorme, de la personne qui l’exerce, sur la voie qu’il veut « vendre » comme s’il avait besoin de se rassurer et de se convaincre que sa voie est la meilleure. C’est d’ailleurs un mécanisme psychologique bien étudié: moins on sait: plus on affirme ! Dans tous ces domaines, une fois de plus je rejoindrai la position de Bernard, qui dit toujours: » je ne fais pas un enseignement, je n’ai surtout pas à convaincre , je fais simplement  un témoignage.

Dans le sujet qui nous occupe sur mystique non duelle et mystique dualiste je dois signaler que des personnes célèbres comme Shankara, Ramana, Ma Ananda Mayi et bien d’autres, admettaient totalement les deux points de vue et les présentaient comme des chemins qui arrivaient au même but, sans fustiger aucune voie en particulier. Je reste dans ces domaines un fervent disciple de Bernard qui affirme sans cesse que les outils varient selon les individus et varient même au cours de la vie d’un même individu. L’essentiel étant la passion et la détermination que l’on met pour suivre sa voie.
De plus, chaque pratiquant de la voie non duelle peut largement apprécier ce texte de la Bhagavad-Gita qui a été d’ailleurs commenté par Shankara, Maître éminent du vedanta, par Swami Ritajananda Guru de Bernard et par bien d’autres. il serait dommage de se priver de ces  merveilleux textes, qui n’appartiennent à aucune école mais qui sont un trésor de l’humanité.

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VERSET 63 -Bhagavad-Gita chap. 2

La colère appelle l’illusion, et l’illusion entraîne l’égarement de la mémoire. Quand la mémoire s’égare, l’intelligence se perd, et l’homme choit à nouveau dans l’océan de l’existence matérielle.

Commentaire :
En devenant conscient de Krishna, on apprend que toute chose peut être utilisée au service du Seigneur. Le spiritualiste à qui manque la conscience de Krishna, tente artificiellement de rejeter tout ce qui est matériel, et cependant, malgré son désir de se libérer de la prison matérielle, il n’atteint pas la perfection du renoncement. Celui qui a conscience de Krishna, au contraire, sait comment tout mettre au service du Seigneur, sans devenir pour autant victime du matérialisme. Un impersonnaliste, par exemple, considère le Seigneur, l’Absolu, comme impersonnel, donc, en toute logique, incapable de manger. Or, tandis que l’impersonnaliste se prive de tout aliment savoureux, le Bakhta, sachant que Krishna,  est le bénéficiaire de tous les plaisirs du monde et qu’Il mange tout ce qui, dans la dévotion, Lui est offert, prépare des plats merveilleux pour le Seigneur et en honore ensuite les restes, appelés « prasada ». De cette façon, toute matière est spiritualisée; il ne court donc aucun risque de retomber dans l’océan de l’existence matérielle. Le Bakhta voit le prasada d’un œil conscient de Krishna, tandis que l’abakhata le considère comme matériel. A cause de son faux renoncement, l’impersonnaliste ne peut jouir de la vie, et la moindre agitation mentale le replonge dans l’océan de l’existence matérielle. Même s’il atteint la libération, il retombera, privé du point d’appui de la dévotion à Krishna.

 VERSET 19 -Bhagavad-Gita chap. 3

 Ainsi, l’homme doit agir par sens du devoir, détaché du fruit de ses actes, car par l’acte libre d’attachement, on atteint l’Absolu.

 Commentaire :

 L’Absolu est, pour le Bakhta, la Personne Suprême, et pour l’impersonnaliste, la libération. Donc, celui qui agit dans la conscience de Krishna, tout entier voué au Seigneur, en suivant les directives d’un maître spirituel authentique et en se détachant du fruit de ses actes, celui-là progresse sûrement vers le but ultime de l’existence. Ainsi Arjuna se voit-il demander de combattre sur le champ de bataille de Kuruksetra pour le plaisir de Krishna, simplement parce que Ce dernier le veut. Se dire bon, ou non violent, c’est encore un attachement à la matière; le détachement ne vient que si l’on agit pour la satisfaction de la Personne Suprême. Telle est la perfection, l’absolu de l’acte, prescrit par Sri Krishna, la Personne Suprême. Les rites védiques, les divers sacrifices par exemple, ne servent qu’à nous purifier des actes coupables que nous avons pu accomplir en cherchant à satisfaire nos sens; mais l’action dans la conscience de Krishna se situe tout à fait au-delà du bien et du mal. L’être conscient de Dieu n’est pas attaché aux fruits de ses actes, il agit pour le seul plaisir de Krishna. Il peut s’engager dans toutes les sphères de l’action, mais toujours avec un détachement total.

VERSET 9 -Bhagavad-Gita chap. 4

Celui, ô Arjuna, qui connaît l’absolu de Mon avènement et de Mes Actes n’aura plus à renaître dans l’univers matériel; quittant son corps, il entre dans Mon royaume éternel.

Commentaire :

Nous avons expliqué, dans le sixième verset de ce chapitre, comment, de Sa demeure spirituelle, le Seigneur descend en ce monde. Quiconque perçoit le caractère absolu de l’avènement du Seigneur s’affranchit aussitôt des chaînes du karma et retourne au royaume de Dieu, immédiatement après avoir quitté son corps. Il n’est pas facile, pour l’être conditionné, d’échapper à l’emprise de la matière. Les impersonnaliste et les yogis ne parviennent à la libération qu’après maintes difficultés, à travers de très nombreuses existences. Et même alors, leur libération -qui consiste à se fondre dans le Brahman impersonnel, lumière irradiant du Seigneur- est incomplète; ils risquent de revenir en ce monde. Le bhakta, lui, atteint le monde spirituel dès qu’il quitte son corps, simplement parce qu’il a compris la nature spirituelle et absolue de la Forme et des Actes du Seigneur. Jamais plus il ne se verra forcé de renaître dans l’univers matériel.

VERSET 10 -Bhagavad-Gita chap. 4

Libres de toute attache, affranchis de la peur et de la colère, complètement absorbés en Moi et en Moi cherchant refuge, nombreux ceux qui devinrent purifiés en apprenant à Me connaître, et tous développèrent ainsi un pur amour pour Moi.

 Commentaire :

Comme nous l’avons vu, il est bien difficile pour qui est trop affecté par la matière, trop attaché au corps, de comprendre la nature personnelle de la Vérité Absolue. A qui est trop absorbé dans le matérialisme, il est pratiquement impossible de reconnaître l’existence d’un corps spirituel impérissable, tout de connaissance et de félicité éternelles. Au niveau matériel, tout corps est périssable, plein d’ignorance et de souffrance. Telle est l’idée que garde la masse des hommes lorsqu’on leur parle de la Forme personnelle du Seigneur. A leurs yeux, la vaste manifestation cosmique est la forme suprême; l’Absolu est donc, pour eux, impersonnel. Et parce que leur mental demeure absorbé à l’excès dans des concepts matériels, l’idée de posséder une individualité propre même après s’être affranchi du joug de la matière les effraie. L’idée d’être encore, dans le monde spirituel, des êtres distincts, leur offre une perspective si troublante qu’ils préfèrent s’identifier au vide impersonnel. Pour les théories impersonnalistes, les êtres vivants sont comme les bulles qui se fondent dans l’océan. Cette identification au vide impersonnel est l’état le plus haut que l’on puisse atteindre lorsqu’on nie son identité éternelle. Mais c’est là une condition méprisable, puisqu’on y est privé de la connaissance de la vraie vie spirituelle. Il y a, en outre, des hommes entièrement incapables de concevoir même l’idée d’une existence spirituelle. Dégoûtés et, irrités par la pléthore de théories spéculatives contradictoires, ils en concluent stupidement qu’il n’existe pas de cause suprême, et qu’en fait, tout est « néant ». Mais tous souffrent du même mal: l’illusion matérielle. Les uns, trop matérialistes, n’ont aucun souci de la vie spirituelle, les autres veulent perdre leur identité dans la cause spirituelle suprême. Quant aux derniers, désespérés et irrités par trop d’élucubrations sur la Vérité Absolue, ils ne croient plus en rien; ils se réfugient dans les substances enivrantes et prennent parfois leurs hallucinations pour des visions divines.

Il faut donc échapper à ces trois formes d’attachement matériel: le manque d’intérêt pour la spiritualité, la peur d’avoir une identité éternelle, et l’idée de néant, sous-jacente aux frustrations de la vie matérielle.
Comment ? En prenant refuge auprès du Seigneur, en suivant un maître spirituel authentique et en respectant les principes régulateurs du bhakti-yoga. Cette vie spirituelle nous mènera finalement au bhava, le sublime amour de Dieu. Selon le Bhakti-rasamrta-sindhu, qui contient la science de la dévotion:

VERSET 11 -Bhagavad-Gita chap. 4

Tous suivent Ma voie, d’une façon ou d’une autre, ô, fils de Partha, et selon qu’ils s’abandonnent à Moi, en proportion Je les récompense.

Commentaire :

Sous différents aspects, c’est Krishna, Dieu, que tout le monde recherche. Il est partiellement connu sous deux aspects initiaux (le brahmajyoti, la radiance impersonnelle qui émane de Son Corps, et le Paramatma, l’Ame Suprême et Omniprésente, qui réside en tout être et en toute chose, y compris les particules d’atomes), mais n’est pleinement réalisé que par les purs bhaktas. Krishna est donc, pour tous, l’objet de la réalisation spirituelle, et chacun Le perçoit sous l’une ou l’autre de Ses formes, selon son désir de Le connaître. Dans le monde spirituel, Krishna répond à l’amour de chaque bhakta en tenant le rôle que ce dernier attend de Lui. Certains veulent voir en Lui le maître absolu, d’autres leur ami intime, leur fils, ou leur amant. Krishna Se donne sans partage à chacun d’eux, selon l’amour qu’on Lui adresse. Et ces mêmes échanges de sentiments se retrouvent également dans l’univers matériel, entre Krishna et Ses différents dévots. Tous les purs bhaktas, dans ce monde comme dans la demeure absolue, jouissent de la compagnie du Seigneur et Le servent en personne, avec amour, puisant à ce service un bonheur absolu. Krishna aide aussi les impersonnaliste désireux de commettre le « suicide spirituel » en niant artificiellement leur existence individuelle: Il les absorbe dans la radiance émanant de Sa Personne. Mais comme ils refusent d’accepter la Vérité Absolue dans Sa Forme personnelle, éternelle et bienheureuse, ils ne peuvent, une fois leur individualité « perdue », goûter la félicité de servir le Seigneur avec amour. Certains même, sans être encore parvenus à la réalisation impersonnelle, retournent à la vie matérielle afin d’y laisser s’exprimer leur désir latent pour l’action. Ils n’ont pas accès aux planètes spirituelles, mais se voient à nouveau offrir la possibilité d’agir sur l’une ou l’autre des planètes matérielles.

VERSET 25 -Bhagavad-Gita chap. 4

Certains yogis rendent aux devas un culte parfait en leur offrant divers sacrifices, et d’autres sacrifient au feu du Brahman Suprême.

 Commentaire :
Comme nous l’avons indiqué plus haut, l’homme agissant en accord avec les principes de la conscience de Krishna est le plus élevé, le plus parfait des yogis et des mystiques. Mais les dévots de Krishna ne sont pas seuls à offrir des sacrifices; il existe aussi des gens qui les destinent aux devas, ou bien au Brahman impersonnel. Selon la nature de leurs bénéficiaires, ces sacrifices se présentent sous différentes formes, mais cette diversité est superficielle, puisque tout sacrifice va, finalement, au Seigneur Suprême, Visnu, ou Yajna.
On peut regrouper les diverses formes de sacrifices en deux grandes catégories: le sacrifice des biens matériels et le sacrifice visant la connaissance spirituelle. Pour la satisfaction du Seigneur Suprême, les bhaktas sacrifient tous leurs biens matériels. D’autres sacrifient également leurs possessions, mais dans le but de plaire aux devas (Indra, Vivasvan, etc.) et d’obtenir d’eux un bonheur matériel, éphémère. Ces devas sont des êtres à qui le Seigneur donna la puissance de régir l’univers matériel (en veillant à son illumination, à l’équilibre des chaleurs et des pluies, etc.). Et c’est à eux que les hommes avides de biens matériels rendent un culte, suivant les directives des Vedas. On appelle ces adorateurs des bahv-isvara-vadis, car leurs croyances revêtent la forme d’un polythéisme. Quant aux impersonnalistes, ils considèrent les devas comme autant d’êtres éphémères, et préfèrent sacrifier leur individualité dans le feu de l’Absolu, en s’identifiant au Brahman impersonnel, qu’ils vénèrent. Ils passent leur temps à d’infinies spéculations philosophiques, où ils espèrent découvrir la nature de l’Absolu. Bref, l’homme avide du fruit de ses actes sacrifie ses biens matériels, en vue d’accroître ses plaisirs matériels, tandis que l’impersonnaliste sacrifie lui, son identité matérielle, afin de se fondre dans l’existence de l’Absolu. Pour ce dernier, le feu du sacrifice, c’est le Brahman Suprême, l’offrande, c’est l’individualité, que consume le feu du Brahman. Le bhakta, sur le modèle d’Arjuna, sacrifie, pour la satisfaction de Krishna, tout son avoir, ses biens comme sa personne, mais sans perdre jamais son individualité. Il est le plus parfait des yogis.