Bhaja Govindam : Texte concis et percutant de Sankara.

 

Adi Sankara parfois appelé Adi Sankaracharya (d’après sankara signifiant : « celui qui apporte la félicité », est, au VIIIe siècle, un des plus célèbres maîtres spirituels de l’hindouisme, philosophe de l’école orthodoxe Advaita Vedanta, et commentateur des Upanishad védiques, du Brahma Sūtra et de la Bhagavad-Gita. Il eut pour maître Govindanatha(lui-même disciple du fameux Gaudapada) et mena une vie de renonçant itinérant (sannyasin) allant d’un monastère ou d’un temple à un autre, d’une communauté à une autre. Ce fut un « réformateur religieux » qui chercha à créer une entente entre les divers courants et écoles religieuses de son époque.
Il est extrêmement difficile selon tous les spécialistes de se faire une idée exacte de sa biographie qui comporte autant de légendes et de faits merveilleux que de faits réels. Même ses dates de naissance et mort sont hypothétiques. La majorité des spécialistes s’accorde à dire qu’il serait mort jeune vers 32 ans. Il y a également de sérieuses hésitations sur les textes qui lui sont attribués.
Comme beaucoup d’œuvres sanskrites du premier millénaire, l’anonymat était de règle et rien ne prouve que la rédaction des grands commentaires de « Sankara » ne soit pas collective. Mais cette incertitude n’est gênante que pour la pensée occidentale moderne qui ne comprend pas bien le fonctionnement de la tradition pour laquelle l’historicité est d’importance secondaire : ce qui est essentiel c’est la teneur du message transmis.
Bhaja Govindam est un hymne composé de 32 vers en sanskrit attribué à Adi Shankara (788 – 820 ?). Cet hymne met l’accent sur l’aspect dévotionnel (Bhakti) de la voie spirituelle incarnée en Inde par le Bhakti yoga.

Il se passe de commentaire car sa limpidité même nous mène de suite à l’essentiel.

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1.
Adore le SOI,
Vénère le SOI,
Chante le SOI !
Tu es fou de penser que tes règles de grammaire au jour de ta mort pourraient bien t’aider.
Tu es fou !
Abandonne cette idée d’entasser,
Tourne ton esprit vers ce qui est réel
Et jouis du fruit des actes du passé.
2.
Il ne faut pas te noyer dans l’illusion des passions et des plaisirs
Qui viennent d’un nombril ou d’un torse.
Ce ne sont que des variations sur le thème de la viande,
Et ne faiblis pas quand tu dois te le rappeler à toi-même, encore, et encore.
3.
La vie d’un homme est aussi incertaine
Que l’est la goutte qui tremble sur la feuille du lotus,
Alors sache que ce monde est la proie de la maladie,
De l’Ego et des peines.
4.
Aussi longtemps qu’un homme est fort
Et capable de nourrir sa famille,
Vois l’affection que tous lui portent !
Mais nul dans sa maison ne prendra peine de lui dire un seul mot
Quand son corps fléchira par son âge.
5.
Tant qu’il est vaillant,
Les membres de sa famille s’enquièrent de son bien-être,
Mais dès que l’âme partira du corps,
Même sa propre épouse s’enfuira en voyant sa dépouille.
6.
L’enfance est passée à jouer.
La jeunesse s’attache aux femmes.
La vieillesse se meurt à ruminer les choses du passé.
Mais bien peu prennent le temps de s’intéresser
A ce qui fait l’universel.
7.
Qui est ton épouse ?
Qui est ton fils ?
Comme cette boucle est étrange !
De qui viens-tu et d’où ?
Frère, questionne-toi sur ces vérités-là.
8.
De la compagnie des sages vient le détachement,
Le détachement libère de l’illusion
Et mène la Réalisation
Qui conduit à être libéré-vivant.
9.
À quoi bon le désir quand la jeunesse est morte ?
Que faire de tout un lac qui n’aurait plus d’eau ?
Où est cet équipage quand la prospérité s’est évanouie ?
Que dire de l’apparente multiplicité du monde
Si la vérité est connue ?
10.
Ne te vante pas trop de ta richesse,
De tes amis ou de ta jeunesse
Car chacun d’eux peut être détruit en moins d’une seconde
Et libère-toi des illusions de ce monde d’apparence
Pour atteindre la vérité éternelle.
11.
Jours et nuits, aubes et crépuscules, hivers et printemps vont et viennent.
Le temps joue comme la vie s’éteint.
Mais l’orage de nos désirs jamais ne renonce.
12.
Oh fou que tu es !
Pourquoi cette obsession de la richesse ?
Y-a-t-il quelqu’un qui te guide ?
Il n’y a qu’une chose parmi les trois mondes pour te sauver du tourbillon de l’océan de tes vies.
Viens et monte vite dans le bateau qui vogue vers ta Réalisation.
13.
Il y en a qui vont les cheveux emmêlés,
D’autres avec le crâne fraîchement rasé,
D’autres s’arrachent les cheveux,
D’autres s’habillent de safran
Et d’autres de couleurs variées.
Cela est juste un gagne-pain.
Tu sauras avant eux toute la vérité quand ces fous à jamais ne la verront pas.
14.
La force a laissé le corps de cet homme vieux,
Sa tête est devenue chauve,
Ses dents ont quitté ses gencives
Et il tient sur des béquilles.
Même alors il s’accroche
Et s’arrime fermement à des désirs
Qui ne porteront nul fruit.
15.
Voici donc l’homme qui chauffait son dos et sa face au soleil
Et qui la nuit venue se blottit pour éloigner le froid.
Il mange dans son bol la nourriture qui convient au mendiant
Et dort sous l’arbre.
Quand bien même tout cela,
II n’est qu’une poupée aux mains de ses passions.
16.
Celui-là peut bien aller dans la ville sainte en pèlerinage,
Jeûner, faire la charité,
Puisqu’il est ignorant :
Rien ne peut le sauver de cent autres naissances.
17.
Prenant résidence dans un temple ou bien dessous un arbre,
S’habillant de peau et dormant par terre,
Lâchant ses attaches et renonçant au confort,
Celui-là pourtant pris pour un saint est-il seulement content ?
18.
Celui-là qui prend plaisir aux pratiques et aux rituels
Peut bien avoir ou pas un attachement.
Mais seul celui qui fermement ancre son esprit dans l’univers
Peut jouir de la béatitude.
19.
Qu’un homme lise un peu de texte sacré,
Boive un peu d’eau du Gange,
Adore quelque dieu
Et il n’aura alors pas de combat avec la mort.
20.
Né, encore,
La mort, encore,
À nouveau la naissance dans la maternelle matrice !
Comme il est difficile de traverser cet océan.
Oh Univers !
Sauve-moi de cela !
21.
Il ne manque pas de vêtement, le sage errant,
Quand il y a quelques loques au bord du chemin.
Libéré du vice et de la vertu, il marche.
Celui qui vit en harmonie avec l’univers vit dans la béatitude,
Pur, net, comme un enfant
Ou comme quelqu’un qui n’aurait pas encore bu le poison.
22.
Qui es-tu ?
Qui je suis, moi ?
D’où est-ce que je viens ?
Qui furent ma mère et mon père ?
Réfléchis donc à tout ce qui n’a pas d’essence
Et laisse ce monde qui n’est qu’une chimère.
23.
En moi, en toi, en tout, habite la même saveur.
Ta colère et ton impatience n’ont pas de sens.
Si tu veux atteindre cet état bientôt,
Sois toujours égal.
24.
Ne perds pas ton énergie
À gagner l’amour ou
À combattre tes amis ou tes ennemis, tes enfants ou tes parents.
Vois toi en eux tous
Et laisse derrière toi cette impression qu’ils seraient des autres.
25.
Laisse les désirs, la colère, la fierté, l’avidité
Et considère ta Vraie Nature
Puisque les fous sont ceux qui sont aveugles d’eux-mêmes
Et jetés dans cet enfer,
Souffrent sans fin.
26.
Souvent récite,
Médite sur l’univers dans ton cœur,
Chante ses milles gloires.
Prends plaisir au noble et au sacré.
27.
Celui qui cède à ses obsessions
Laisse son corps à la maladie
Et bien que la mort lui apporte une fin,
Jamais il ne laissera son âme malade.
28.
La richesse n’est pas le bonheur
Et il n’y a vraiment nulle joie en elle.
Pense à cela tout le temps.
L’homme riche a peur de son propre fils,
C’est la malédiction de l’argent partout.
29.
Contrôle ton souffle,
Ne sois pas affecté par les influences extérieures
Et sépare le vrai du futile.
Chante le sacré et fais taire l’esprit turbulent,
Fais cela avec soin, avec un soin extrême.
30.
Oh vénérant au pied du lotus !
Sois bientôt libre de toutes les boucles.
Au travers des sens maîtrisés et de l’esprit contrôlé,
Tu feras l’expérience du Dieu qui réside dans ton cœur.
31.
Ainsi le grammairien stupide
Qui était perdu dans les règles,
A nettoyé sa vue
Et montré la lumière.
32.
Adore le SOI,
Vénère le SOI,
Chante le SOI,
Oh fou que tu es !
Rien d’autre que ce chant
Ne t’aidera à traverser l’océan de ta vie.