Le texte fondamental de Ramana à emmener sur une île déserte : « Qui suis-je? »

 

Voici un des textes fondamentaux de Ramana Maharshi dont on peut dire sans exagérer qu’il résume tout ce qu’il a transmis et pourrait être emporté sur une île déserte si l’on n’avait qu’un texte de lui à choisir. Il fut écrit très tôt, alors que Ramana avait environ 21 ans, mais était déjà Réalisé. Ce traité fut tout d’abord conçu sous forme de réponses que Ramana fit à 14 questions posées par un de ses premiers disciples. Ce disciple édita ensuite plusieurs versions au cours des années, mais vers 1927 Ramana lui- même reprit une version et la retranscrivit totalement. Dans cet article je me suis appuyé sur cette version remise en circulation par Michael James éminent spécialiste des oeuvres de Ramana ayant séjourné longuement en Inde et sur la version des oeuvres complètes de Ramana des éditions traditionnelles. J’ai fait en sorte d’allier la fidélité au texte avec une lecture aisée.

C’est en fait LE DERNIER EXPOSÈ EN PROSE rédigé par lui.

C’est une occasion de rappeler à quel point il est plus que fondamental de lire, relire et travailler les textes de base de chaque tradition qui sont d’une richesse telle qu’ils peuvent nous permettre de progresser énormément sur la voie, bien plus que tous les textes insipides, « digest » de l’époque actuelle qui ne font bien souvent que diluer le nectar de la transmission. Que vous soyez de sensibilité Chrétienne, hindoue, musulmane ou autre revenez toujours aux textes de base de votre tradition qui n’ont pas été encore contaminés, édulcorés, par l’esprit délétère du siècle.

Je tiens à l’occasion de la parution de cet article à rendre hommage à la mémoire de MAX DARDEVET qui partageait régulièrement avec moi sur la VOIE et qui ayant découvert avec enthousiasme le site de Michael James, m’a transmis cette nouvelle traduction qui m’a permis de réajuster le texte en fonction de cet apport. Jean marc Vivenza, Max Dardevet et moi-même avions régulièrement des entretiens spirituels, les derniers assez intenses ont eu lieu le mardi 29 Novembre toute la journée et Max Dardevet est décédé subitement d’un arrêt cardiaque le mercredi 30 Novembre 2022 au matin.

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1-Tout être brûle du désir d’être toujours heureux, inaffecté par la tristesse ; et chacun a le plus grand amour pour soi-même, ce qui est dû au simple fait que le bonheur est sa vraie nature.Par conséquent, afin de réaliser ce bonheur inhérent et inaltérable, qu’il éprouve bien chaque jour lorsque son esprit est plongé dans le sommeil profond, il est essentiel qu’il se connaisse. Pour obtenir une telle connaissance la question « Qui suis-je, » est le meilleur moyen dans la voie de la recherche de soi.

2- « Qui suis-je ? »
-Je ne suis pas ce corps physique, ni ne suis les 5 organes de perception sensorielle (L’œil-la vue-, l’oreille -l ’ouïe_, le nez-l ’odorat-, la langue -le goût- et la peau-le toucher-.)
-Je ne suis pas les 5 organes d’activité externe (Les organes vocaux qui articulent le langage et produisent le son, les mains et les pieds qui gouvernent les mouvements du corps physique, l’anus et l’organe génital.)
-Je ne suis pas les 5 forces vitales (la respiration, la digestion, la circulation sanguine, la transpiration et l’excrétion.
-je ne suis pas l’esprit pensant (manas)
-Je ne suis pas non plus cet état inconscient d’ignorance qui retient les vasanas subtiles (empreintes du passé, tendances latentes dans le mental), pendant qu’il est libre de l’activité fonctionnelle des organes sensoriels et du mental, et qu’il n’est pas averti de l’existence des objets de la perception sensorielle.
Par conséquent, rejetant sommairement tous les ajouts physiques mentionnés ci-dessus et leurs fonctions et disant : « Je ne suis pas ceci ; non, ni ceci, ni ceci »- ce qui demeure alors distinct et seul par soi-même, cette pure Conscience, est ce que je suis. Cette Conscience est par sa nature même Sat-Chit-Ananda (Être -Conscience totale -Béatitude.)

3-Si le mental, qui est l’instrument de la connaissance et la base de toute activité, disparaît, la perception du monde en tant que réalité objective cesse. À moins que la perception illusoire du serpent dans la corde ne cesse, la corde sur laquelle se forme l’illusion n’est pas perçue en tant que telle.* Pareillement, à moins que la nature illusoire de la perception du monde en tant que réalité objective ne cesse, la vision de la vraie nature du Soi, sur lequel se forme l’illusion, n’est pas obtenue.
*Cette analogie est fondée sur une histoire traditionnelle d’un homme qui voit une corde au crépuscule et qui, la prenant pour un serpent, est effrayé sans raison.

4- Le mental (manas) est une puissance (shakti) unique, un pouvoir extraordinaire, dans l’Atman (Le Soi), par laquelle des pensées nous surviennent.
En examinant de près ce qui demeure après avoir éliminé toutes les pensées, on trouvera qu’il n’y a pas de mental en dehors de la pensée. De fait les pensées elles-mêmes constituent le mental.
Point n’existe non plus de monde physique en dehors et indépendamment de la pensée.
DANS LE SOMMEIL PROFOND IL N’Y A PAS DE PENSÊES ET IL N’Y A PAS LE MONDE NON PLUS.
Dans les états de veille et de rêve des pensées sont présentes, et il y a aussi le monde. Tout comme l’araignée tire le fil de la toile de son intérieur même et le résorbe à nouveau en son intérieur, le mental projette le monde en dehors de lui-même et le réabsorbe en lui-même. Le monde est perçu comme une réalité objective apparente quand le mental est extériorisé, abandonnant par là son identité avec le Soi. Quand le monde est ainsi perçu, la véritable nature du Soi n’est pas révélée : inversement, quand le Soi est Réalisé, le monde cesse d’apparaître comme une réalité objective.
À l’aide d’une investigation constante et continue dans la nature du mental, le mental est transformé en Cela à quoi le « Je » réfère ; et Cela est en fait le Soi. Pour son existence le mental doit nécessairement dépendre de quelque chose de grossier ; il ne subsiste jamais seulement par soi-même. C’est ce mental qu’on appelle en outre corps subtil, ego ou âme.

5- Ce qui surgit dans le corps physique en tant que « je » c’est le mental. Si l’on recherche d’où surgit en premier lieu la pensée « je » dans le corps, on découvrira que c’est du cœur. C’est la source et le siège du mental. Ou encore, même si on se répète simplement et intérieurement de façon continue « je-je » en y fixant l’esprit tout entier, cela mène également à la même source.
La première et la plus importante de toutes les pensées qui surgissent dans le mental est la primordiale pensée « je ». Ce n’est qu’après l’apparition ou l’origine de la pensée « je » que d’innombrables autres pensées apparaissent. Autrement dit, ce n’est qu’après l’apparition du premier pronom personnel « je », que le deuxième et troisième pronoms personnels (« toi , il » etc.) surviennent à l’esprit ; et ils ne peuvent subsister sans le premier.

6- Puisque toute autre pensée ne peut survenir qu’après l’apparition de la pensée « je » et puisque le mental n’est rien qu’un faisceau de pensées, ce n’est que par l’enquête « Qui suis-je ? » que le mental disparaît. De plus la pensée « je » intégrale, implicite dans une telle enquête, ayant détruite toutes les autres pensées, est elle-même finalement détruite ou consumée, tout comme le bâton utilisé pour remuer le bûcher funéraire est lui-même consumé.
Même lorsque des pensées étrangères surgissent pendant une telle recherche, évitez d’achever la pensée naissante, et par contre recherchez profondément à l’intérieur : « à qui cette pensée est-elle survenue ? » ? Quel que soit le nombre de pensées qui vous surviennent ainsi, si vous cherchiez immédiatement avec une vigilance aigüe, lors de l’apparition de chacune des pensées, à qui elle est survenue, vous découvririez que c’est à « moi ». Alors si vous poursuivez « Qui suis-je ? », le mental s’introvertit et la pensée naissante disparaît également. De cette façon lorsque l’on persévère de plus en plus dans la pratique de la recherche du Soi, le mental acquiert une force et une puissance croissante pour s’établir dans sa Source.
Ce n’est que lorsque le mental subtil est extériorisé par l’activité de l’intelligence et des organes sensoriels, que le nom et la forme grossiers constituant le monde apparaissent. Quand par contre, le mental s’établit fermement dans le cœur, ils se retirent et disparaissent. L’opposition à la sortie du mental et l’absorption de celui-ci dans le cœur, constituent ce que l’on appelle « la perspective introvertie ». Le relâchement du mental et son évasion hors du cœur, constituent par contre : « la perspective extravertie ».
Si de cette façon le mental arrive à être absorbé dans le cœur, l’ego ou le « moi », qui est le centre de la multitude des pensées, s’évanouit finalement, et la pure Conscience ou le Soi*, qui subsiste pendant tous les états du mental, reste seul resplendissant.
C’est cet état où il n’y a pas la moindre trace de la pensée « je », qui est le véritable être de chacun. On l’appelle Parfaite Solitude, Silence ou Mouna.
Cet état de simple inhérence dans l’Être pur est connu comme la vision de Sagesse. Une telle inhérence signifie et implique la complète disparition du mental dans le Soi.Rien d’autre que cela, et aucun pouvoir psychique du mental tel que la lecture de la pensée, la télépathie et la clairvoyance, ne peut être la Sagesse.
*NDLR : Signalons une fois de plus et c’est encore manifeste dans ce passage que le terme conscience avec un grand C n’a rien à voir avec la conscience individuelle qui s’éveille le matin et disparaît le soir à l’endormissement, cette Conscience est assimilée au Soi.

7- Seul Atman (le Soi) existe et est réel. La réalité ternaire, monde, âme individuelle et Dieu, est, comme la superposition illusoire de l’argent sur le nacre, une création imaginaire dans l’Atman. Ceux-ci apparaissent et disparaissent simultanément. Le Soi est à lui seul le monde, le « je » et Dieu. Tout ce qui existe n’est que la manifestation du suprême.

8-Pour l’élimination du mental il n’est pas de moyen plus efficace et adéquat que la Recherche du Soi. Même si par d’autres moyens le mental disparaît, cela n’est qu’en apparence ; il apparaîtra de nouveau. Par exemple, le mental disparaît par la pratique du contrôle de la respiration et des forces vitales ; néanmoins une telle disparition ne dure qu’autant que continue le contrôle de la respiration et des forces vitales, et lorsque celles-ci sont relâchées le mental aussi est relâché et immédiatement, en s’extériorisant, il continue d’errer par la force de ses tendances subtiles. (Vasanas)
La source du mental est la même que celle de la respiration et des forces vitales : le Soi. C’est en réalité la multitude des pensées qui constitue le mental : et la pensée « je » est la pensée première du mental, et elle est elle-même l’ego. Mais le souffle aussi a son origine au même endroit que celui où apparaît l’ego. C’est ainsi que lorsque le mental disparaît, le souffle et les forces vitales disparaissent également ; et inversement lorsque le souffle et les forces vitales disparaissent, le mental disparaît aussi.
Le souffle et les forces vitales sont également qualifiés comme manifestation grossière du mental. Jusqu’à l’heure de la mort le mental sustente et soutient ces forces dans le corps physique, et lorsque la vie s’éteint, le mental les enveloppe et les emporte. Par conséquent le contrôle du souffle n’est qu’une aide pour restreindre ou faire cesser temporairement le mental, mais n’entraîne en aucun cas son extinction finale.

Pendant le sommeil, cependant, les forces vitales continuent de fonctionner, bien que le mental ne soit pas manifeste. Ceci est en accord avec la loi divine et destiné à protéger le corps et à écarter tout doute possible sur son état de vie ou de mort durant le sommeil. Sans une telle disposition de la nature, des corps endormis seraient souvent incinérés vivants. La vitalité apparente dans la respiration est laissée en arrière par l’esprit comme un « veilleur ». Mais dans l’état de veille et dans le Samadhi, lorsque le mental s’arrête, le souffle s’arrête aussi.

Nota Bene important : ( à méditer sans cesse et à y revenir car c’est un des points essentiels de l’enseignement  de Ramana qui peut mener à des prises de conscience profondes)
Ce dernier paragraphe en italique n’existait pas dans le manuscrit original de Ramana, ni dans les premières éditions. Il est apparu plus tard comme une concession à la compréhension limitée de certains disciples peu disposés à accepter son enseignement selon lequel : le corps, les forces vitales, le monde et tous les autres phénomènes semblent n’exister que du point de vue de l’ego et donc cessent d’exister chaque fois que le mental cesse d’exister, comme dans le sommeil sans rêves.
Cela d’ailleurs tourne autour de cette phrase de Ramana qui doit fonctionner comme un koan zen, c’est-à-dire provoquer une rupture de conscience au-delà de l’intellect :
« Où êtes-vous lorsque vous êtes dans le sommeil profond ? ».
Au lieu de laisser exploser ce koan, les gens dubitatifs et au mental développé, se croyant malins, et évitant la déflagration, s’écrient : « Cette question est bête, je ne suis certes pas conscient durant mon sommeil, mais mon corps est dans mon lit et d’autres peuvent le voir ! ». Ils passent ainsi à côté de l’énorme portée métaphysique de ce que veut pointer Ramana et qui ne peut être entrevu qu’en laissant tomber les ratiocinations habituelles.

 9- le contrôle de la respiration, la méditation sur forme, les incantations, les invocations et l’observance de régimes, ne sont que des aides pour le contrôle du mental. Par la pratique de la méditation ou de l’invocation, le mental devient uni-pointé. Tout comme la trompe de l’éléphant, qui autrement s’agite, se stabilisera si on lui fait tenir une chaîne de fer, de sorte que l’éléphant avance sans chercher à atteindre quelqu’autre objet, de même le mental toujours remuant, s’il est exercé et accoutumé à un nom ou à une forme par la méditation ou l’invocation, s’en tiendra fermement à cela seul.
Lorsque le mental est partagé et dissipé en d’innombrables pensées variées, il en résulte que les pensées particulières sont chacune très faibles et inefficaces. Lorsque, au contraire, de telles pensées disparaissent de plus en plus jusqu’à être finalement détruites, le mental devient uni-pointé et, acquérant ainsi force et puissance d’endurance, il atteint facilement la perfection dans la recherche méthodique du Soi.
Le régime d’alimentation, limité à la nourriture sattvique*, prise en quantité modérée, est de toutes les règles de conduite, la meilleure : cela est très favorable au développement des qualités sattviques* du mental. Celles-ci, à leur tour, nous aident à la pratique de la quête du Soi.
*Selon la philosophie indienne, les éléments sont porteurs en quantité variable de 3 qualités : (les gunas)
-Sattva : pureté, harmonie, stabilité
-Rajas : action, énergie, mouvement
-Tamas : Impureté, paresse, obscurité
Dans cette optique une nourriture sattvique est simple et nutritive, elle entretient le corps mais ne le stimule pas outre mesure.
Un mental sattvique quant à lui donne une pureté de cœur, de la modération, de l’égalité d’humeur de la tendresse envers tous les êtres, de la force d’âme, de l’absence de désir, de haine et d’arrogance.

 10- D’innombrables vasanas (tendances subtiles du mental en relation avec les objets de la satisfaction sensorielle), venant l’un après l’autre en succession rapide comme les vagues de l’océan, agitent le mental. Néanmoins eux aussi disparaissent et sont finalement détruits par une pratique progressive de la méditation sur le Soi. (notre vraie nature). Sans accorder une place à la pensée même survenant sous forme de doute : « Est-il possible de demeurer simplement dans le Soi ? Tous les vasanas peuvent-ils être détruits ? », il faut fermement et sans cesse poursuivre la méditation sur le Soi.
Aussi pécheur que quelqu’un puisse être, s’il voulait seulement s’arrêter de gémir inconsolablement : « Hélas ! Je suis un pécheur, comment atteindrai-je la Réalisation ? et, rejetant même la pensée qu’il est pécheur, s’il voulait persévérer avec zèle, dans la méditation sur le Soi, sans aucun doute se réformerait-il.

11- Aussi longtemps que les tendances subtiles (vasanas) continuent d’habiter le mental, il faut poursuivre la recherche du « Qui suis-je ? ». À l’instant précis où des pensées surviennent, elles devraient, de la première à la dernière, être annihilées immédiatement au lieu même de leur origine, par la méthode de la recherche du Soi. (investigation ou auto-attention aiguë.)
Ne s’occuper de rien d’autre que soi-même constitue le vairagya (impartialité du détachement) ou le nirasa (absence de désir). Ne pas abandonner sa recherche du Soi est jnana, la vraie connaissance. Mais en réalité vairagya et jnana ne font qu’un. De même que le pêcheur de perles, s’attachant des pierres à la ceinture, plonge dans les profondeurs et rapporte la perle du fond de la mer, de même tout chercheur qui s’adonne au vairagya (impartialité du détachement) peut plonger profondément en lui-même et Réaliser le précieux Soi. Si l’on pouvait s’accrocher fermement au rappel de soi ininterrompu, jusqu’à ce qu’on Réalise sa Vraie Nature, cela seul serait suffisant. Les pensées distrayantes sont comme l’ennemi dans la forteresse. Aussi longtemps qu’elles tiennent la place, elles feront certainement des sorties. Mais si, à l’instant précis où elles sortent, on les passe au fil de l’épée, la forteresse sera finalement prise.

12- Dieu et le Guru ne sont pas différents en réalité : ils sont identiques. Celui qui a obtenu la grâce du Guru sera indubitablement sauvé et ne sera jamais abandonné, tout comme la proie qui est tombée dans les mâchoires du tigre ne pourra jamais plus s’échapper. Mais le disciple, pour sa part, doit marcher infailliblement conformément au chemin indiqué par son Guru.

13- Se tenir avec fermeté et discipline, dans le Soi, sans laisser le moindre champ pour l’apparition d’une autre pensée, que la pensée profonde et contemplative du Soi, constitue la reddition au Suprême Seigneur.
Qu’on repose sur Lui n’importe quel fardeau, il le portera tout entier. C’est en fait, l’indéfinissable pouvoir du Seigneur qui ordonne, soutient et contrôle tout ce qui arrive. Alors, pourquoi nous inquiéter, nous laisser tourmenter par des pensées contrariantes et dire : « Faut-il agir comme ceci ? Non, comme cela ! » au lieu de nous soumettre humblement mais avec joie à cette Puissance ?
Sachant que le convoi porte tout le poids, pourquoi donc devrions-nous, nous les passagers qu’il transporte, porter nos bagages individuels sur nos genoux pour notre plus grand inconfort, au lieu de les mettre de côté et nous asseoir parfaitement à l’aise ?

 14- Ce qui est Béatitude est également le Soi. La Béatitude et le Soi ne sont pas distincts et séparés : ils sont une seule et même chose. Et CELA seul est réel.
Pas un seul des innombrables objets du monde terrestre ne renferme quoi que ce soit qui puisse être appelé bonheur. C’est par pure ignorance et absence de sagesse que nous nous imaginons que le bonheur peut en procéder.
Au contraire, lorsque le mental est extériorisé, il subit peine, insatisfaction, malheur. La vérité est que chaque fois que nos désirs sont comblés, le mental se tourne vers sa source et alors seulement goûte ce bonheur qui est naturel au Soi.
De même dans le sommeil profond, ou dans l’état d’extinction spirituelle (Samadhi), ou lors d’un évanouissement, ou encore lorsqu’on obtient un objet désiré, ou lorsqu’une chose nuisible est détruite, le mental se tourne vers l’intérieur et jouit de la Béatitude du Soi.
Ainsi errer, abandonner le Soi et y retourner sans cesse, tel est le lot interminable et lassant du mental.
Il fait bon à l’ombre d’un arbre et brûlant en dehors dans la chaleur du soleil. Quelqu’un qui peine au soleil recherche l’ombre fraîche de l’arbre et s’y trouve heureux. Après y être resté quelques instants, il la quitte à nouveau, mais incapable d’endurer la chaleur impitoyable du soleil, il revient à l’ombre. Ainsi il ne cesse de passer de l’ombre au soleil et du soleil à l’ombre.
Seul quelqu’un manquant de discernement agit de la sorte, tandis que l’homme avisé ne quitte jamais l’ombre : pareillement le mental du sage illuminé (jnani) ne se tient jamais en dehors de Brahman (l’Absolu). Le mental de l’ignorant, en revanche, en entrant dans le monde phénoménal, subit insatisfaction et souffrance ; et alors se tournant vers le Soi pendant un court instant, il goûte le bonheur. Tel est l’esprit de l’ignorant.
Ce monde phénoménal, pourtant, n’est que pensée.
Quand le monde se dérobe à la vue -c‘est-à-dire lorsque l’on est débarrassé de la pensée -le mental jouit de la béatitude du Soi.
Inversement lorsque le monde apparaît- c’est-à-dire lorsque survient la pensée- le mental éprouve insatisfaction et souffrance.

15- Ce n’est pas à cause de quelque désir, résolution ou effort de la part du soleil levant, mais simplement à cause de la présence de ses rayons, que la lentille (ou pierre solaire) émet de la chaleur, que le lotus fleurit, que l’eau s’évapore et que les gens vaquent à leurs tâches variées dans la vie. À proximité de l’aimant, l’aiguille bouge. De même l’âme ou jiva sujette à la triple activité de la création, de la préservation et de la dissolution (Brahma- Vishnou- Shiva) qui n’ont lieu qu’à cause de l’unique présence du suprême Seigneur, accomplit des actes en conformité avec son karma et disparaît pour se reposer après une telle activité.
Mais le Seigneur lui-même n’a pas d’intention ; aucun acte ou événement ne touche même la frange de son Être.*

*Il est assez étonnant de constater à quel point les êtres humains, projetant sans cesse leurs propres espoirs ou pensées, attribuent à ce qu’ils appellent « Dieu » des intentions, qui n’ont pas lieu d’être. Cette prédisposition assez infantile, n’est pas grave en soi, mais empêche de se plonger dans la fulgurance de LA VIE telle qu’elle est: cet immense domaine sans naissance et sans mort, sans pourquoi ni comment qu’est LE SOI, au delà de toute description.

Cet état de transcendance immaculée peut se comparer à celui du soleil, qui n’est pas touché par les activités de la vie, ou à celui de l’éther qui pénètre tout, qui n’est pas affecté par l’interaction des propriétés complexes des quatre éléments.

16- Toutes les écritures sans aucune exception, proclament que pour atteindre la Réalisation, le mental doit être maîtrisé ; et une fois que l’on sait que le contrôle du mental est le but de celles-ci, il devient futile d’en faire une étude interminable.
Un tel contrôle requiert la véritable recherche en soi-même au moyen de l’interrogation personnelle « Qui suis-je ? ». Comment pourrait-on réaliser cette recherche du Soi simplement au moyen d’une étude des Écritures ?
Il faut Réaliser le Soi par l’œil de la sagesse (jnana). Rama a-t-il besoin d’un miroir pour se reconnaître comme Rama ? Ce à quoi le « je » se réfère se trouve à l’intérieur des 5 enveloppes, tandis que les Ecritures leur sont extérieures.
Ces 5 enveloppes ou koshas sont :
-1) Le corps physique
-2) Le corps vital ou énergétique
-3) Le corps mental et sensoriel.
-4) le corps de l’intellect et de l’intuition.
-5) le corps de la béatitude.
Par conséquent il est futile de chercher au moyen de l’étude des Ecritures le Soi qui doit être Réalisé par le rejet sommaire des 5 enveloppes mêmes.
Rechercher « Qui suis-je moi qui suis en esclavage ? » et connaître sa nature véritable, cela seul est la libération. Maintenir son mental constamment tourné vers l’intérieur et demeurer ainsi dans le Soi, cela seul est L’Atma-Vichara (investigation, recherche, du Soi) tandis que la méditation (dhyana) consiste en une contemplation fervente du Soi en tant que Sat-Chit-Ananda (Être-Conscience-Béatitude).
EN VÊRITÊ À UN CERTAIN MOMENT IL FAUDRA OUBLIER TOUT CE QUE L’ON A APPRIS.

 17- De même qu’il est futile d’examiner les ordures qui ne doivent être balayées que pour être jetées, de même il est futile pour celui qui cherche à connaître le Soi de s’astreindre à énumérer les tattvas qui enveloppent le Soi et à les examiner au lieu de les rejeter.
Celui-là ne doit considérer le monde phénoménal par rapport à lui-même que comme un simple rêve.
(Les tattvas sont les éléments constitutifs de l’existence phénoménale, partant de l’esprit subtil jusqu’à la matière grossière, la tradition hindoue en comte 25.)

18- Si ce n’est que l’état de veille est long et l’état de rêve court, il n’y a pas de différence entre les deux. Les activités de l’état de rêve apparaissent, sur le moment, tout aussi réelles que les activités de l’état de veille quand on est éveillé.
Seulement pendant l’état de rêve, le mental assume une autre forme ou une enveloppe corporelle différente. Car les pensées d’une par et le nom et la forme de l’autre, surviennent simultanément aussi bien durant l’état de veille que durant l’état de rêve.

19- Il n’y a pas deux mentals dont l’un serait bon et l’autre mauvais. Ce ne sont que les vasanas ou tendances du mental qui sont de deux sortes, bonnes et favorables, mauvaises et défavorables.
Quand le mental est associé aux premières il est dit bon ; et quand il est associé aux secondes il est dit mauvais.
Mais quelque mauvais que le mental des autres êtres puisse vous apparaître, il n’est pas convenable de les haïr ou de les mépriser.
Sympathies et antipathies, amour et haine sont également à éviter.
Il n’est pas convenable non plus de laisser le mental se poser souvent sur des objets ou des affaires du monde.
DANS TOUTE LA MESURE DU POSSIBLE IL NE FAUT PAS SE MÊLER DES AFFAIRES DES AUTRES.
TOUT CE QUE L’ON OFFRE AUX AUTRES EST EN RÊALITÊ UNE OFFRE À SOI-MÊME, ET SI SEULEMENT CETTE VÊRITÊ ÊTAIT RÊALISÊE, QUI EN EFFET RESTERAIT SANS DONNER ?

20- Si l’ego apparaît, tout le reste apparaîtra également ; s’il disparaît, tout le reste disparaîtra de même.
PLUS L’HUMILITÊ AVEC LAQUELLE NOUS NOUS CONDUISONS EST PROFONDE, MIEUX CELA VAUT POUR NOUS. SI SEULEMENT LE MENTAL EST GARDÊ SOUS CONTRÔLE, QU’IMPORTE LE LIEU OÙ L’ON SE TROUVE !