Maître Wanshi : conseils pour la pratique 7 : faire le vide de la sensation de son existence propre est merveilleux.

« Toutes les connaissances du monde ne sont pas comparables au fait de retourner à l’Originel et d’obtenir la confirmation. »

 

Je désire mettre à la disposition des chercheurs sur ce site, dans sa totalité et en plusieurs épisodes, le merveilleux texte du Maître Zen Wanshi, intitulé : Conseils pour la pratique et qui démontrera, s’il en était encore besoin , à quelle hauteur de vue se situaient ces grands maîtres anciens. Point de psychologie de bazar, point d’exégèse philosophique complexe, de la poésie pure jouxtant avec la métaphysique la plus élevée. Comme je l’ai souvent constaté, ces textes sont d’ailleurs tellement profonds, qu’ils sont malheureusement trop vite utilisés par des gens qui répètent comme des perroquets leurs concepts les plus forts, sans se rendre compte du niveau qu’ils requièrent. La lecture de ces textes doit donc être accompagnée d’un grand travail en profondeur sur soi-même, de manière à ne pas vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué ! . Rien ne sert de répéter toute sa vie des phrases magnifiques, si les mots ne provoquent pas au fur et à mesure, une transformation profonde.
C’est donc le seul bémol que je mettrais aux merveilleux textes de la tradition zen , qui, s’ils ne sont pas accompagnés de cette ascèse intense, peuvent rester de beaux fleurons esthétiques de la tradition, et produire des Maîtres fort éloignés des maîtres Réalisés d’antan.

Ces textes parlent d’eux-mêmes et je ne désire y adjoindre aucune explication ou commentaire : au lecteur de faire le travail et d’élucider par ses propres moyens les mots qui lui sont obscurs. Les longues explications, même si elles paraissent parfois utiles, ne font que diluer le pur nectar qu’ils recèlent  et influencent d’une manière ou d’une autre leur réception profonde. Mieux vaut ne comprendre et retenir que quelques phrases qui frappent vraiment au cœur plutôt que de devoir adhérer aux idiosyncrasies d’un commentateur.

Disciple de Tanka Shijun, Maître Wanshi Shōgaku (1091-1157) n’a pas eu de successeur connu. Devenu moine à 11 ans, il s’installa à 39 ans sur le mont Tendō, dans un petit temple de nonnes taoïstes qui ne tarda pas à se transformer en temple zen. C’est à peu près tout ce que nous connaissons de sa vie, en revanche, son œuvre est bien connue. Il est notamment l’auteur du fameux Zazenshin que reprendra maître Dogen.

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Faire tourner la perle

La source originelle
S’écoule, vide de toute représentation.
Si vous la remuez, elle se trouble.
Aussi vous devez vous efforcer
De voir à travers elle.
Se tenir debout et solitaire,
Semblable à une falaise à pic,
Ouvert et accessible,
Spirituel et indépendant,
Clair et brillant,
Tout ceci n’appelle aucune condition extérieure.
Une telle activité est appelée l’occasion brillante unique,
Qui apparaît avec les dix mille formes
Qui naissent et qui s’éteignent.
Le royaume du Samadhi de toutes les poussières –
Où l’on entre dans tous les samadhis à travers un seul samadhi –
Est clair comme le sceau de l’océan.
Faites-le tourner comme vous feriez tourner une perle.
Laissez tout partir au loin,
Et rassemblez-le sans aucune condition extérieure.
Ceci est appelé l’occasion du désintéressement
Solitaire et glorieux.
La nuit la lune se lève et les flots scintillent,
Le vent du printemps souffle et les fleurs s’ouvrent.
Nul besoin d’activité méritoire
Tout est parfait naturellement.
Causes, conditions,
Fruits et rétributions,
Rien n’est extérieur.
De plus, vous devez savoir
Que la lumière et les circonstances
Se sont tous deux évanouis.
A nouveau, qu’est-ce que c’est ?

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L’héritage d’un moine et les nuages qui disparaissent

Le foyer simple d’un moine
Utilise un seul bol de mendiant pour une vie entière
Et considère les dix mille formes du monde comme son héritage.
Sujet et objet sont pareils à des images dans un miroir,
À la lune dans l’eau, intimement mélangés.
D’abord n’affermissez pas votre propre identité,
Et les choses ne vous imposeront pas leurs conditions.
Chaque forme n’en a aucune.
Uniquement dans cette totalité les choses ne sont pas isolées.
De cette façon la perfection est totalement pratiquée.
Lorsque l’occasion parfaite se présente
La navette peut passer.
Arrivant au-delà des images,
Toutes les poussières des sens disparaissent.
Même là vous devez faire un pas en arrière
Et rentrer en vous-même
Pour examiner tout cela en méditation
Jusqu’à ce que vous soyez satisfaits.
Les nuages disparaissent dans une couleur unique.
La neige couvre les milliers de montagnes.
La vision pénétrante permet de voir le corps entier.

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La demeure originelle

Une personne pratiquant la Voie
Subtilement se situe au-delà des mots et des pensées.
Immédiatement authentique,
Chacun se trouve sur le vrai chemin
Et ne s’attache à aucun raisonnement.
Tout entremêlés, la lune coule dans toutes les rivières,
Le vent souffle au travers de la vacuité suprême,
De façon naturelle sans rien toucher ni obstruer.
Illumination transcendante et pratique
Illuminent simplement sans taches
Et opèrent sans laisser de traces.
Alors vous pouvez entrer en Samadhi
Dans chaque grain de poussière
Et rassembler les dix mille formes dans le même sceau.
Ne vous dissipez pas et laissez faire.
Ceci est appelé l’affaire des moines portant le kesa.
De plus, vous devez vous souvenir
Et retourner sur le chemin
Qui mène à votre demeure.
Les nuages s’évaporent dans le ciel tranquille.
L’automne est loin et la montagne est en sécurité.
Ceci est l’endroit où nous demeurons originellement.

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Le laboureur dans le champ scintillant

Dès le début les moines portant le kesa*
Possèdent en eux ce champ clair,
Spacieux comme une large plaine.
Fixant leur regard au-delà des pics et des précipices,
Dans ce champ, ils labourent les nuages
Et ensemencent la lune.
Avec une compréhension claire et brillante,
Vaste et élargie,
Le véritable soi accepte sa fonction,
De naître ou de disparaître,
De recevoir ou de laisser aller.
Engagez-vous directement
Dans les mêmes travaux que le ciel et la terre,
Naissant et vous dispersant au gré des dix mille formes.
Nobles et majestueux, d’où viennent-ils ?
Toujours solitaires, où vont-ils ?
Ainsi nous est-il dit que le ciel vide ne peut pas l’englober,
Que la grande terre ne peut pas le confirmer.
Existant subtilement au-delà des formes et des mots,
Le mérite d’être et de non-être est épuisé ;
Les chemins du monde et les sages sont transcendés.
Alors vous avez l’occasion de rentrer chez vous.
Mais à cet instant, que savez-vous ?
Sur cent cinquante mille acres
Vous pouvez voir la neige tranquille, pure et scintillante.
Observant ceci avec attention,
Alors nous pouvons être des laboureurs.

*Kesa: Habit sacré du moine que la tradition fait remonter au Bouddha . Ce dernier pour couvrir ses moines , a ramassé de multiples pièces de tissu souillées et usagées, les a lavées dans le Gange sacré et après les avoir teintes, les a cousues, faisant ainsi de l’habit le plus souillé : l’habit le plus sacré !

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La méditation du dragon

Corps et esprit abandonnés et tranquilles
Purifient ce champ.
Toutes les poussières sont mélangées
Et réduites ensuite en fumée,
Laissant chaque royaume libre et brillant.
La lune dans l’eau reflète la lumière dans le ciel clair.
Les nuages embrassent la montagne aux couleurs d’automne.
Quelles soient noires et mates
Ou d’un vert luxuriant,
Les vallées profondes possèdent un grand esprit.
La racine originelle naturellement illuminée
N’est gênée ni par les feuilles ni par les branches.
C’est le moment et le lieu
De sauter au-delà des dix mille obstacles émotionnels
Venant de kalpas innombrables.
Contempler dix mille années
Va finalement au-delà du transitoire
Et vous apparaissez spontanément.
Les nuages planant dans les vallées vides sont libres,
Qu’ils bougent ou restent sur place.
Entrez avec bonheur dans chaque sensation,
Tout en restant constamment en Samadhi.
Par conséquent il nous a été dit
Que les dragons sont toujours en méditation
Et ne sont jamais séparés de cet état sublime.

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Examiner le merveilleux

Dans la clarté existe le merveilleux,
Avec une énergie spirituelle qui brille d’elle-même.
Il ne peut être attrapé
Et donc ne peut être qualifié d’être.
Il ne peut être effacé
Et donc ne peut être qualifié de non-être.
Au-delà de l’esprit de discussion et de délibération,
Éloignez-vous des relents d’images et d’ombres.
Faire le vide
De la sensation de son existence propre
Est merveilleux.
Cette merveille pénètre le corps
Grâce à cet esprit qui peut être activé.
L’esprit de la lune entourée de son corps de nuages
Est révélé directement dans chaque direction
Sans faire appel à aucun signe ni symbole.
Irradiant de lumière partout,
Il manifeste sa présence aux êtres
Sans aucune confusion.
Dépassant tout obstacle,
Il illumine chaque dharma vide.
Abandonnant les conditions discriminatoires,
Entrez dans la sagesse claire
Et gambadez et jouez dans le Samadhi.
Quelle erreur pourrait-il y avoir ?
C’est ainsi que l’on doit examiner l’Essence de façon authentique.

 

Traduction brute de l’anglais par Vincent Keisen Vuillemin (dojo de Genève, disciple de Maitre Mokusho Zeisler) à partir du texte anglais de Taigen Dan Leighton Roshi.