Maître Wanshi : conseils pour la pratique 6 : Les choses différentes ne sont pas semblables, mais derrière chacune d’elles se trouve la Voie.

« Toutes les connaissances du monde ne sont pas comparables au fait de retourner à l’Originel et d’obtenir la confirmation . »

 

Je désire mettre à la disposition des chercheurs sur ce site, dans sa totalité et en plusieurs épisodes, le merveilleux texte du Maître Zen Wanshi, intitulé : Conseils pour la pratique et qui démontrera, s’il en était encore besoin , à quelle hauteur de vue se situaient ces grands maîtres anciens. Point de psychologie de bazar, point d’exégèse philosophique complexe, de la poésie pure jouxtant avec la métaphysique la plus élevée. Comme je l’ai souvent constaté, ces textes sont d’ailleurs tellement profonds, qu’ils sont malheureusement trop vite utilisés par des gens qui répètent comme des perroquets leurs concepts les plus forts, sans se rendre compte du niveau qu’ils requièrent. La lecture de ces textes doit donc être accompagnée d’un grand travail en profondeur sur soi-même, de manière à ne pas vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué ! . Rien ne sert de répéter toute sa vie des phrases magnifiques, si les mots ne provoquent pas au fur et à mesure, une transformation profonde.
C’est donc le seul bémol que je mettrais aux merveilleux textes de la tradition zen , qui, s’ils ne sont pas accompagnés de cette ascèse intense, peuvent rester de beaux fleurons esthétiques de la tradition, et produire des Maîtres fort éloignés des maîtres Réalisés d’antan.

Ces textes parlent d’eux-mêmes et je ne désire y adjoindre aucune explication ou commentaire : au lecteur de faire le travail et d’élucider par ses propres moyens les mots qui lui sont obscurs. Les longues explications, même si elles paraissent parfois utiles, ne font que diluer le pur nectar qu’ils recèlent  et influencent d’une manière ou d’une autre leur réception profonde. Mieux vaut ne comprendre et retenir que quelques phrases qui frappent vraiment au cœur plutôt que de devoir adhérer aux idiosyncrasies d’un commentateur.

Disciple de Tanka Shijun, Maître Wanshi Shōgaku (1091-1157) n’a pas eu de successeur connu. Devenu moine à 11 ans, il s’installa à 39 ans sur le mont Tendō, dans un petit temple de nonnes taoïstes qui ne tarda pas à se transformer en temple zen. C’est à peu près tout ce que nous connaissons de sa vie, en revanche, son œuvre est bien connue. Il est notamment l’auteur du fameux Zazenshin que reprendra maître Dogen.

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Chacun fait partie de ce champ

Immaculées et éblouissantes,
Les limites du champ ne peuvent être perçues par l’œil.
Sereines et grandissantes,
Ses directions et ses coins ne peuvent être découverts
Par le conditionnement de l’esprit.
Les gens qui méditent sincèrement
Et de façon authentique sont persuadés
Que ce champ les a toujours accompagnés.
Les Bouddhas et les démons ne peuvent l’envahir,
La pollution ne peut l’empoisonner.
Carré ou rond, ils en apprécient le centre.
Leur conduite et leur pratique s’accordent avec la norme.
Avec une efficacité amusante,
Aussi nombreux que les grains de sable du Gange,
Ils mûrissent harmonieusement les uns les autres.
Notre vie s’élève de ce champ ;
A partir de ce champ, elle est satisfaite.
Ce cas inclut tout le monde.
Allez juste de l’avant et essayer de voir.
Les gens qui connaissent cette vérité hochent la tête avec compréhension.

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Le troisième œil et le coude replié

Avec l’avant-bras replié vers le corps
Chacun peut faire face à tout événement.
Le troisième œil illumine de lui-même l’abandon solitaire du corps.
Les deux s’assemblent ou se séparent sans rien d’intérieur ni d’extérieur.
Plusieurs milliers de royaumes
Apparaissent aussi avec soi-même ;
Les trois temps sont naturellement transcendés.
La vaste vacuité est sans limites,
Illuminée intrinsèquement par sa propre clarté.
Ceci se passe quand toutes les apparences illusoires sont épuisées.
Ce qui n’est pas épuisé est l’esprit profond,
Qui n’est concerné ni par la vie ni par la mort.
Arrivez dans ce champ,
Abandonnez ouvertement toute dépendance.
Lorsque les poussières des conditions ne le polluent pas,
Toutes les situations se marient intimement.
La boîte et le couvercle
et la rencontre des pointes de flèches sont de bon augure
Et ne manquent pas la cible.
Parcourant et jouant dans le Samadhi,
Les gens dans cet état acceptent leur fonction.
L’œil supérieur et le coude complètement replié
Sont les seules choses que ce moine transmet
Et que vous devez profondément mettre en pratique.

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Au-delà des différentes variétés

Recevez correctement ce flot de paroles d’un moine,
Ce flot n’est ni congelé, ni ne s’écoule,
Ni transparent ni opaque.
Lorsque vous l’essorez pour en faire sortir toute l’eau,
Profitez de l’occasion ;
Lorsque vous pénétrez dans l’agitation des affaires,
Percevez-les avec une vision globale.
La compréhension minutieuse
Et le monde en changement
Se réalisent l’un l’autre totalement sans obstacles.
La lune accompagne le courant,
Le vent couche l’herbe.
Ils scintillent et se balancent.
Personne n’est dans la confusion.
Ainsi est-il dit
Que des choses différentes ne sont pas semblables,
Mais que derrière chacune d’elles se trouve la Voie.
Sachant cela,
À chaque occasion, vous pouvez agir en conséquence.
Au-dessus des pointes des herbes blanches,
Ramassez ce que vous avez rassemblé,
Ramenez-le et agissez de façon appropriée.
Trouvez votre place,
Portez votre kesa*,
Avancez et occupez-vous de vous-même.

*Kesa: Habit sacré du moine que la tradition fait remonter au Bouddha . Ce dernier pour couvrir ses moines , a ramassé de multiples pièces de tissu souillées et usagées, les a lavées dans le Gange sacré et après les avoir teintes, les a cousues, faisant ainsi de l’habit le plus souillé : l’habit le plus sacré !

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Aucune interférence sur la question de l’unité

L’unité n’est pas une matière qui puisse être apprise.
L’essence en est de vider et d’ouvrir le corps et l’esprit,
Dans une expansion aussi immense
Que celle de la vacuité de l’espace.
De façon naturelle,
Dans cet espace tout entier,
Tout est satisfait.
Cet esprit puissant ne peut être détourné ;
Instant après instant il ne peut être dans la confusion.
La lune accompagne l’eau qui coule,
La pluie suit les nuages qui s’envolent.
Calme et déterminée,
Sans chercher quoi que ce soit,
Une telle intensité peut être réalisée.
Simplement ne vous laissez pas entrer en conflit avec les choses,
Et alors certainement rien ne le sera avec vous.
Corps et esprit sont pareils ;
En dehors de ce corps il n’y a rien d’autre.
La même substance et la même fonction,
Une nature et une forme,
Toutes les facultés et tous les objets
Sont immédiatement transcendés.
Ainsi il est dit,
Le sage est sans soi
Et pourtant rien n’est pas lui-même.
Tout ce qui apparaît est instantanément compris,
Vous savez comment le récolter
Ou comment le laisser.
Soyez un bœuf blanc dans un champ sans clôture.
Quoi qu’il se passe,
Rien ne peut l’en chasser.

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Le comportement de la lune et des nuages

Le comportement juste
Des personnes de la Voie
Est semblable aux nuages qui passent
Sans accrocher quoi que ce soit,
Semblable à la pleine lune qui se reflète partout dans l’univers,
Sans être confinée nulle part,
Se miroitant dans chacune des dix mille formes.
Dignes et droits,
Éveillez-vous !
Et rencontrez toute la variété des phénomènes,
Sans contrainte ni confusion.
Comportez-vous de la même manière
Vis-à-vis de tous
Car tous sont faits de la même essence que vous.
Aucun langage ne peut transmettre un tel comportement,
Aucun résonnement ne peut l’atteindre.
Bondissant au-delà de l’infini
Et tranchant toute dépendance,
Soyez serviables sans rechercher un quelconque mérite.
Ce joyau ne peut être évalué
Ni consciemment ni émotionnellement.
Dans ce voyage acceptez votre fonction,
Nourrissez-le en vous-même.
Saisissez la vie et la mort,
Quittez les causes et conditions,
Réalisez pleinement
Que depuis le début votre esprit est libéré.
Alors nous a-t-il été dit
Que l’esprit qui embrasse les dix directions
Ne demeure nulle part.

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Le repos des fleuves et des marées

Juste s’asseoir
Est semblable au grand océan
Qui accueille des centaines de fleuves,
Tous absorbés dans sa saveur unique.
Avancer librement
Est semblable aux immenses marées
Chevauchant le vent,
Et arrivant ensemble sur le rivage.
Comment ne pourraient-elles pas atteindre la source véritable ?
Comment pourraient-elles ne pas réaliser la grande oeuvre
Qui apparaît devant nous ?
Un moine portant le kesa*
Suit le mouvement
Et fait face aux changements en toute harmonie.
De plus, n’avez-vous pas vous-même créé l’esprit
Qui élabore toutes les illusions ?
Cette perspicacité doit être parfaitement intégrée.

*Kesa: Habit sacré du moine que la tradition fait remonter au Bouddha . Ce dernier pour couvrir ses moines , a ramassé de multiples pièces de tissu souillées et usagées, les a lavées dans le Gange sacré et après les avoir teintes, les a cousues, faisant ainsi de l’habit le plus souillé : l’habit le plus sacré !

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Trente ans de vacuité et d’existence

La clarté authentique est sans défauts.
Les cinq degrés de l’éveil sont finalement consommés.
Du moment qu’aucune discrimination n’apparaît,
À cet instant le corps entier apparaît.
L’œil ne peut se voir lui-même
Mais sa fonction n’en est pas diminuée.
La lumière coule de la source, pure et blanche, illuminant tout.
Les fleurs de roseaux se mélangent à la neige ;
La lune brillante baigne l’automne.
Là vous avez l’occasion,
Remplis d’énergie de vous unir.
Sur la voie de l’observation attentionnée,
Portez-la vaillamment et mettez-la bien en pratique.
Il n’y a aucun autre endroit que vous-même ;
Aucun endroit ne peut vous contenir.
Bondissez au-delà des dix mille formes.
Le doigt zen de Juzhi n’est pas usé par trente ans de pratique.
Sa subtilité réside dans sa simplicité,
Qui en silence, sans mots,
En affermit la fonction selon son bien plaire.
Par conséquent il fait face aux choses sans les saisir.
La Voie est en marche
Avec tous les esprits qui la protègent.
Ceci est le principe originel.
Mais si soudainement vous vous attachez à un seul fil
Ou à une seule fibre,
Alors l’esprit qui vous guide est obscurci
Et ne peut plus se frayer un chemin,
Le passage est bloqué et ne peut être ouvert.
Lorsque la vacuité est vide
Elle contient toutes existences,
Lorsque l’existence existe
Elle rejoint la vacuité unique.
Néanmoins je pose la question,
Qu’est-ce que c’est ?

 

 Traduction brute de l’anglais par Vincent Keisen Vuillemin (dojo de Genève, disciple de Maitre Mokusho Zeisler) à partir du texte anglais de Taigen Dan Leighton Roshi.