Maître Wanshi: Conseils pour la pratique 5 : Une personne de la Voie ne réside fondamentalement nulle part !

 

« Toutes les connaissances du monde ne sont pas comparables au fait de retourner à l’Originel et d’obtenir la confirmation. »

 

Je désire mettre à la disposition des chercheurs sur ce site, dans sa totalité et en plusieurs épisodes, le merveilleux texte du Maître Zen Wanshi, intitulé : Conseils pour la pratique et qui démontrera, s’il en était encore besoin , à quelle hauteur de vue se situaient ces grands maîtres anciens. Point de psychologie de bazar, point d’exégèse philosophique complexe, de la poésie pure jouxtant avec la métaphysique la plus élevée. Comme je l’ai souvent constaté, ces textes sont d’ailleurs tellement profonds, qu’ils sont malheureusement trop vite utilisés par des gens qui répètent comme des perroquets leurs concepts les plus forts, sans se rendre compte du niveau qu’ils requièrent. La lecture de ces textes doit donc être accompagnée d’un grand travail en profondeur sur soi-même, de manière à ne pas vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué ! . Rien ne sert de répéter toute sa vie des phrases magnifiques, si les mots ne provoquent pas au fur et à mesure, une transformation profonde.
C’est donc le seul bémol que je mettrais aux merveilleux textes de la tradition zen , qui, s’ils ne sont pas accompagnés de cette ascèse intense, peuvent rester de beaux fleurons esthétiques de la tradition, et produire des Maîtres fort éloignés des maîtres Réalisés d’antan.

Ces textes parlent d’eux-mêmes et je ne désire y adjoindre aucune explication ou commentaire : au lecteur de faire le travail et d’élucider par ses propres moyens les mots qui lui sont obscurs. Les longues explications, même si elles paraissent parfois utiles, ne font que diluer le pur nectar qu’ils recèlent  et influencent d’une manière ou d’une autre leur réception profonde. Mieux vaut ne comprendre et retenir que quelques phrases qui frappent vraiment au cœur plutôt que de devoir adhérer aux idiosyncrasies d’un commentateur.

Disciple de Tanka Shijun, Maître Wanshi Shōgaku (1091-1157) n’a pas eu de successeur connu. Devenu moine à 11 ans, il s’installa à 39 ans sur le mont Tendō, dans un petit temple de nonnes taoïstes qui ne tarda pas à se transformer en temple zen. C’est à peu près tout ce que nous connaissons de sa vie, en revanche, son œuvre est bien connue. Il est notamment l’auteur du fameux Zazenshin que reprendra maître Dogen.

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La fascination des nuages et l’amour de la lune

Une personne de la Voie
Ne réside fondamentalement nulle part.
Les nuages blancs sont fascinés
Par le bas de la montagne verte.
La lune brillante aime être emportée par le flot de l’eau.
Les nuages s’en vont et la montagne apparaît.
La lune se pose et l’eau est tranquille.
Chaque petite facette de l’automne
Contient un vaste échange sans limites.
Chaque poussière englobe la totalité
Mais elle ne m’atteint pas ;
Les dix mille changements sont pacifiés
Mais cela ne m’ébranle pas.
Si vous pouvez être assis ici,
Emplis de stabilité,
Alors vous pouvez librement faire un pas de l’autre côté
Et vous engager dans le monde avec énergie.
Un excellent dicton précise
Que les six portes des sens ne sont pas voilées
Et que les routes menant dans toutes les directions
Sont vierges de toute empreinte de pas.
Arrivant toujours partout sans erreur,
Doux mais sans aucune hésitation,
Une personne Réalisée sait où elle va.

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Passer à travers le monde

Le vaste espace englobe tout,
La vacuité ultime aussi.
Toute connaissance s’applique efficacement
De la même manière aux dix mille formes.
Si aucune distinction n’est faite
Entre aucun grain de poussière de l’extérieur,
Alors vous pouvez vous adapter à toutes les circonstances.
Si aucun grain de poussière n’est dédaigné à l’intérieur,
Alors vous pouvez demeurer en méditation.
Etant donné que l’intérieur est vide
Et peut interagir,
Absorber ou ne pas absorber quoi que ce soit est équivalent.
Etant donné que l’extérieur est étroitement relié
Et constamment vide et disponible,
Demeurer ou ne pas demeurer est équivalent.
Les moines portant le kesa* entrent en samadhi
Juste comme le vent familier
Passe à travers le monde entier.

*Kesa: Habit sacré du moine que la tradition fait remonter au Bouddha . Ce dernier pour couvrir ses moines , a ramassé de multiples pièces de tissu souillées et usagées, les a lavées dans le Gange sacré et après les avoir teintes, les a cousues, faisant ainsi de l’habit le plus souillé : l’habit le plus sacré !

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La merveille confirmée et réalisée

Le royaume du dharma dans les dix directions
Naît de l’esprit unique.
Lorsque l’esprit unique est tranquille,
Toutes les apparences sont entièrement épuisées.
Qui est là-bas ?
Qui suis-je moi-même ?
C’est seulement lorsque vous ne faites
Aucune différence entre les formes
Qu’aucun grain de poussière ne prend pas d’existence propre,
Et qu’aucun souvenir n’est généré.
Soyez conscients que
Même avant que vous ne soyez dans le ventre de votre mère
Et même après que votre enveloppe de peau n’ait disparu,
Chaque instant est d’un éclat étonnant, plein et entier,
Ne tolérant aucune peccadille.
Lorsque véritablement rien ne peut être obscurci,
Ceci est appelé connaissance de soi-même.
Par conséquent seul le fait de se connaître soi-même
Est appelé réalisation véritable,
Ni même un seul cheveu ne reste sans attention.
Magnifique, avec une originalité subtile,
L’écoute authentique est sans aucun son.
Alors il est dit
Qu’où se trouve la perception sans yeux ni oreilles,
Là se trouve la merveille confirmée et Réalisée.
Des fleuves de lumière en jaillissent
Et des milliers d’images apparaissent.
Chaque être est cette merveille,
Rassemblés dans le royaume
Où les moines qui portent le kesa agissent seuls.
Il est essentiel de ne rien emprunter de la demeure des autres.
Pour cultiver votre propre demeure
Vous devez en faire l’expérience de façon claire et intime vous-même.

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Tous les êtres sont vos propres Patriarches

Rendez-vous compte totalement de la vacuité de tous les dharmas.
Alors tous les esprits sont libres
Et toutes les poussières s’évaporent,
Dans la clarté originelle qui luit partout.
Vous transformant au gré des circonstances,
Rencontrez tous les êtres comme vos propres Patriarches.
Illuminez de façon subtile toutes les conditions,
Soyez magnanimes au-delà de toute dualité.
Clairs et sans désir,
Le vent dans les pins et la lune dans l’eau
Sont satisfaits par eux-mêmes.
Sans que leurs esprits interagissent entre eux,
Celui du vent et des pins,
Celui de la lune et de l’eau,
Ils ne se gênent ni les uns ni les autres.
Fondamentalement vous existez dans la vacuité
Et avez la capacité d’agir vers l’extérieur sans être contrariés,
Comme le printemps en fleurs,
Comme un miroir reflétant les formes.
En plein milieu du vacarme,
Transcendez-le spontanément.

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Partir ou rester

Lorsque le champ est tranquille et familier,
Lorsque la grande œuvre
Est semblable à l’étang clair et tranquille,
Alors vous verrez le kalpa du vide.
Ne permettez à aucun cheveu
Ni de vous attacher ni de vous aveugler.
Soyez entièrement vides et clairs,
Purs, sans accrocs et glorieux.
Les dix mille anciens apparaissent
Les uns après les autres successivement,
Sans être aucunement cachés.
Si par un signe de votre tête
Vous pouvez exprimer la connaissance de toutes choses,
Vous ne courrez pas après la naissance et la mort
Et ne tomberez ni dans le nihilisme,
Ni dans l’hérésie éternaliste.
Si vous voulez faire preuve de décision juste,
Alors vous devez vous transformer
En suivant les dix mille formes.
Si vous voulez rester tranquilles et constants,
Vous devez vous harmoniser avec la boîte et le couvercle,
Comme la terre et le ciel.
Apparaître ou disparaître, partir ou rester,
Sont entièrement votre choix.
De cette manière,
Les personnes qui connaissent leur visage originel
Doivent savoir comment se rassembler ou se séparer.

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Abandonnez votre peau, acceptez votre fonction

Le jour le soleil,
La nuit la lune,
Chacun à son tour n’aveugle pas l’autre.
Ceci est la façon régulière de pratiquer d’un moine portant le kesa,
Naturellement sans bords ni coutures.
Pour obtenir une telle pratique régulière
Vous devez complètement vous retirer
Du tapage et de l’agitation de vos idées enracinées.
Si vous voulez être libérés de toute agitation invisible,
Vous devez simplement vous asseoir
Et abandonner tout.
Atteignez la Réalisation et soyez complètement lumineux,
Tout en oubliant la lumière et l’ombre.
Abandonnez votre propre peau
Et toutes les poussières des sens seront complètement purifiées,
l’oeil discernant facilement la clarté.
Acceptez votre fonction et soyez complètement satisfaits.
Rien ne vous arrête dans le monde entier ;
En tout temps vous agissez en accord avec tout.
Au milieu de la lumière il y a l’obscurité ;
Au milieu de l’obscurité il y a la lumière.
Le bateau solitaire transporte la lune ;
Durant la nuit il réside au milieu des fleurs de roseaux,
Oscillant doucement dans un éclat total.

Traduction brute de l’anglais par Vincent Keisen Vuillemin (dojo de Genève, disciple de Maitre Mokusho Zeisler) à partir du texte anglais de Taigen Dan Leighton Roshi.