Maître Wanshi : conseils pour la pratique 8 : laissez vous tomber du bord de la haute falaise !

« Toutes les connaissances du monde ne sont pas comparables au fait de retourner à l’Originel et d’obtenir la confirmation. »

 

Je désire mettre à la disposition des chercheurs sur ce site, dans sa totalité et en plusieurs épisodes, le merveilleux texte du Maître Zen Wanshi, intitulé : Conseils pour la pratique et qui démontrera, s’il en était encore besoin , à quelle hauteur de vue se situaient ces grands maîtres anciens. Point de psychologie de bazar, point d’exégèse philosophique complexe, de la poésie pure jouxtant avec la métaphysique la plus élevée. Comme je l’ai souvent constaté, ces textes sont d’ailleurs tellement profonds, qu’ils sont malheureusement trop vite utilisés par des gens qui répètent comme des perroquets leurs concepts les plus forts, sans se rendre compte du niveau qu’ils requièrent. La lecture de ces textes doit donc être accompagnée d’un grand travail en profondeur sur soi-même, de manière à ne pas vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué ! . Rien ne sert de répéter toute sa vie des phrases magnifiques, si les mots ne provoquent pas au fur et à mesure, une transformation profonde.
C’est donc le seul bémol que je mettrais aux merveilleux textes de la tradition zen , qui, s’ils ne sont pas accompagnés de cette ascèse intense, peuvent rester de beaux fleurons esthétiques de la tradition, et produire des Maîtres fort éloignés des maîtres Réalisés d’antan.

Ces textes parlent d’eux-mêmes et je ne désire y adjoindre aucune explication ou commentaire : au lecteur de faire le travail et d’élucider par ses propres moyens les mots qui lui sont obscurs. Les longues explications, même si elles paraissent parfois utiles, ne font que diluer le pur nectar qu’ils recèlent  et influencent d’une manière ou d’une autre leur réception profonde. Mieux vaut ne comprendre et retenir que quelques phrases qui frappent vraiment au cœur plutôt que de devoir adhérer aux idiosyncrasies d’un commentateur.

Disciple de Tanka Shijun, Maître Wanshi Shōgaku (1091-1157) n’a pas eu de successeur connu. Devenu moine à 11 ans, il s’installa à 39 ans sur le mont Tendō, dans un petit temple de nonnes taoïstes qui ne tarda pas à se transformer en temple zen. C’est à peu près tout ce que nous connaissons de sa vie, en revanche, son œuvre est bien connue. Il est notamment l’auteur du fameux Zazenshin que reprendra maître Dogen.

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Debout au bord de la falaise

Pratiquez dans la vacuité
Et oubliez les conditions,
Semblables à la lumière éblouissante
Qui brille au milieu de l’ombre.
Lorsque chaque partie de votre esprit
Est lumineuse et active,
L’esprit des trois temps n’est pas interrompu
Et les quatre éléments sont en équilibre.
Transparent et merveilleusement lumineux,
Dans une gloire solitaire pour une multitude de kalpas,
Un moine portant le kesa* peut pratiquer de cette façon
Et n’être lié ni par la vie et ni par la mort.
Dans une pratique élevée,
Laissez-vous tomber du bord de la haute falaise
Sans vous rattraper à quoi que ce soit.
Les cordes autour de vos pieds sont tranchées.
Faites un pas dans la totalité.
Les Bouddhas et les patriarches
N’atteignent pas tous ce champ merveilleusement lumineux
Qui leur appartient en propre, appelé soi-même.
Dans ces circonstances aidez aux affaires de famille.
Si vous êtes impliqués dans des délibérations,
Détournez-vous de ce flot de pensées.
Vides dans un esprit de grande détermination,
Purs dans une illumination constante,
Clairs et blancs, les fleurs de roseaux et le clair de lune brillant
Se mélangent intimement.
Les avirons rentrés, le bateau solitaire dérive au-delà sans difficulté.
A cet instant, s’il vous plaît
Dites-moi qui pourrait vouloir vraiment
Montrer un œil de discrimination .

*Kesa: Habit sacré du moine que la tradition fait remonter au Bouddha . Ce dernier pour couvrir ses moines , a ramassé de multiples pièces de tissu souillées et usagées, les a lavées dans le Gange sacré et après les avoir teintes, les a cousues, faisant ainsi de l’habit le plus souillé : l’habit le plus sacré !

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Faire tourner la roue et la senteur de la sérénité

Voyageant dans l’achevé sans centre ni bords,
Ne s’attardant pas dans les coins,
Le cercle tourne en ne laissant aucun résidu dans la grotte vide.
Dans le ciel clair d’automne
La lune est froide, son éclat baigne la nuit.
Le climat parfait du printemps
Est brodé de nuages et de fleuves élégants.
Le passage est ouvert et peut être franchi.
La roue de l’attention pleine d’énergie revient au particulier.
Tout ceci est l’affaire
Que les moines portant le kesa acceptent comme leur fonction.
Aucune poussière des sens ne vous fait écran.
Les dix mille dharmas sont la lumière de l’esprit.
Etape par étape allez au-delà de tout endroit fixe.
Sans attaches sur le sentier de la naissance,
Faites simplement face à chaque événement du monde.
L’esprit de la vallée ne résonne d’aucun son,
Mais dans son essence il ne peut être confondu.
Son but ne peut être égalé.
D’instant en instant, depuis le début,
Toutes les poussières, tous les esprits, et toutes les pensées
Sont sans formes extérieures.
Seule une simple vraie brillance persiste.
Cette fonction interne
Donne l’occasion merveilleuse
De montrer que votre conditionnement résiduel
Est rassemblé et intégré.
Le soi unique et brillant
Est rendu perspicace et purifié
Au point de n’avoir plus aucun défaut.
Avancez majestueusement
Et dispersez toutes classifications.
Si vous comprenez par vous-même et brillez,
La senteur de la sérénité peut s’étendre.
La sagesse entre dans le cercle ;
Les affaires sont laissées sur le pas de la porte.
Ceci est la profondeur unique
Au-delà de la vie et de la mort.
Vous devez faire un pas en arrière
Et retourner dans votre propre maison.
Je dis cela de façon sincère.

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Les occupations de famille

Les moines portant le kesa*
Parcourent le monde
En évacuant et en élargissant constamment leur esprit.
Sans le plus petit relent agrippé à l’intérieur,
Ils peuvent agir de façon appropriée,
Sans être retenus par quoi que ce soit,
Sans être noués par les dharmas.
Apparaissant et disparaissant ouvertement,
Vous pouvez librement partager,
Mais si vous adoptez une attitude un tant soit peu intellectuelle
Vous serez enfoncés.
Si vous faites preuve de maturité pure,
Alors vous pouvez voyager aisément
Parmi les dix mille changements
Sans les toucher et sans vous en échapper.
La boîte et le couvercle se rejoignent
Et les pointes de flèches se rencontrent,
Touchant harmonieusement la cible.
Que vous abandonniez,
Ou que vous rassembliez les phénomènes extérieurs,
Ne fuyez rien.
Une telle personne peut remplir ses occupations de famille.
A partir de là, faites demi-tour.
Les nuages blancs pénètrent dans la vallée
Et la lune brillante encercle la montagne.
A cette occasion vous partagez la même substance que les anciens.
Aussi est-il dit
Que trois personnes sont soutenues par un bâton
Et se couchent dans un seul lit.
Ne laissez aucune trace
Et l’intérieur et l’extérieur fusionneront dans la totalité,
Aussi joyeusement que le ciel s’éclaircit des nuages de pluie,
Aussi profondément que l’averse détrempe l’automne.
Vous tous, gens vertueux, souvenez-vous bien de cela.

*Kesa: Habit sacré du moine que la tradition fait remonter au Bouddha . Ce dernier pour couvrir ses moines , a ramassé de multiples pièces de tissu souillées et usagées, les a lavées dans le Gange sacré et après les avoir teintes, les a cousues, faisant ainsi de l’habit le plus souillé : l’habit le plus sacré !

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Surprenants, les êtres vivants

Notre maison est un simple champ,
Pur, vaste et scintillant, s’illuminant de lui-même.
Lorsque l’esprit est vide de toutes conditions,
Lorsque l’éveil est serein sans cogitation,
Alors les Bouddhas et les Patriarches
Apparaissent et disparaissent, transformant le monde.
Le lieu originel du nirvana est parmi les êtres vivants.
Il est vraiment surprenant que tout le monde possède cela
Mais ne puisse le polir pour donner une clarté brillante.
Endormis dans l’obscurité,
Ils font en sorte
Que leur folie recouvre leur sagesse et dépasse tout.
Un souvenir d’illumination peut faire irruption
Et bondir en dehors de la poussière des kalpas.
Lumineux, clair et blanc,
Le simple champ ne peut être détourné
Ni changé dans les trois temps ;
Les quatre éléments ne peuvent le modifier.
La gloire solitaire est profondément préservée,
À travers les temps anciens et présents,
Comme le mélange de l’identique et du différent
Devient la mère de la création entière.
Ce royaume manifeste l’énergie de plusieurs milliers d’êtres,
Toutes les apparences manifestent simplement
Les ombres de ce champ.
Certainement vous devez mettre en pratique cette réalité.

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L’errance parfaite

L’œil qui rencontre les changements
Et le corps qui voyage autour du monde
Sont vides et spirituels, tranquilles et lumineux,
Et apparaissent miraculeusement parmi les dix mille formes.
Ils ne peuvent être enterrés dans la poussière de la terre
Et ne peuvent être emmêlés dans le cocon du conditionnement passé.
La lune traverse le ciel, Les nuages quittent la vallée,
Ils réfléchissent leur lumière sans y penser,
Agissent sans ego, devenant radieux et bienveillants.
C’est ainsi que tout est parfait,
Complètement délivré et agissant librement.
Ceci est appelé le corps surgissant de l’entrebâillement de la porte.
Mais ceci doit toujours être mis en pratique
Alors même que vous continuez les occupations de famille.
La vacuité est votre siège,
La tranquillité est votre refuge.
Entretenu subtilement sans être existant,
Il n’englobe pas le conditionnement ;
Lumineux sans être non existant,
Il ne tombe pas dans les catégories.
Solitaire et splendide à l’intérieur du cercle,
Tournant profondément au-delà de toute mesure,
L’errance parfaite est guidée par les esprits.
Le grand parc est sans coins.
Ici, vous exercez votre énergie
Et, naturellement sans empêchements,
Englobez tous les changements
Et acceptez votre fonction.

 

Traduction brute de l’anglais par Vincent Keisen Vuillemin (dojo de Genève, disciple de Maitre Mokusho Zeisler) à partir du texte anglais de Taigen Dan Leighton Roshi.