« Toutes les connaissances du monde ne sont pas comparables au fait de retourner à l’Originel et d’obtenir la confirmation. »
Je désire mettre à la disposition des chercheurs sur ce site, dans sa totalité et en plusieurs épisodes, le merveilleux texte du Maître Zen Wanshi, intitulé : Conseils pour la pratique et qui démontrera, s’il en était encore besoin , à quelle hauteur de vue se situaient ces grands maîtres anciens. Point de psychologie de bazar, point d’exégèse philosophique complexe, de la poésie pure jouxtant avec la métaphysique la plus élevée. Comme je l’ai souvent constaté, ces textes sont d’ailleurs tellement profonds, qu’ils sont malheureusement trop vite utilisés par des gens qui répètent comme des perroquets leurs concepts les plus forts, sans se rendre compte du niveau qu’ils requièrent. La lecture de ces textes doit donc être accompagnée d’un grand travail en profondeur sur soi-même, de manière à ne pas vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué ! . Rien ne sert de répéter toute sa vie des phrases magnifiques, si les mots ne provoquent pas au fur et à mesure, une transformation profonde.
C’est donc le seul bémol que je mettrais aux merveilleux textes de la tradition zen , qui, s’ils ne sont pas accompagnés de cette ascèse intense, peuvent rester de beaux fleurons esthétiques de la tradition, et produire des Maîtres fort éloignés des maîtres Réalisés d’antan.
Ces textes parlent d’eux-mêmes et je ne désire y adjoindre aucune explication ou commentaire : au lecteur de faire le travail et d’élucider par ses propres moyens les mots qui lui sont obscurs. Les longues explications, même si elles paraissent parfois utiles, ne font que diluer le pur nectar qu’ils recèlent et influencent d’une manière ou d’une autre leur réception profonde. Mieux vaut ne comprendre et retenir que quelques phrases qui frappent vraiment au cœur plutôt que de devoir adhérer aux idiosyncrasies d’un commentateur.
Disciple de Tanka Shijun, Maître Wanshi Shōgaku (1091-1157) n’a pas eu de successeur connu. Devenu moine à 11 ans, il s’installa à 39 ans sur le mont Tendō, dans un petit temple de nonnes taoïstes qui ne tarda pas à se transformer en temple zen. C’est à peu près tout ce que nous connaissons de sa vie, en revanche, son œuvre est bien connue. Il est notamment l’auteur du fameux Zazenshin que reprendra maître Dogen.
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S’asseoir vide de toute angoisse mondaine
Si vraiment vous appréciez à sa juste valeur,
Un unique rayon de lumière,
Alors votre œil peut bien affronter le monde et ses changements.
Doués d’une vision claire,
Ne vous laissez pas induire en erreur,
Ainsi les dix mille situations ne pourront vous aveugler.
Le clair de lune flotte sur l’eau ;
Le vent souffle sur les pins.
L’ombre et la lumière ne vous troublent pas.
Le vent qui siffle peut bien résonner,
S’infiltrant sans peine partout.
Surfant sur les phénomènes,
Nous harmonisant sans dévier,
Abandonnant complètement notre rideau de poussière,
Nous n’arrivons toujours pas dans notre refuge originel.
Calmez les relents de votre conditionnement.
Asseyez-vous vidés de toute angoisse mondaine,
Silencieux et brillants,
Clairs et lumineux,
Nets et prêts à tout accepter,
Universels et ouverts.
Sans vous préoccuper des poussières extérieures,
Soyez comblés dans votre propre esprit,
Arrivez dans ce champ
Et reconnaissez immédiatement,
Les Patriarches qui vous ont précédés.
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Comment observer Bouddha
Observer votre propre forme authentique,
Est la façon d’observer Bouddha.
Si vous pouvez faire l’expérience de vous-même,
Sans être la proie de distractions,
Alors dépassez toute partialité
Et allez au-delà de tout concept.
Tous les Bouddhas et tous les esprits
Atteignent l’essentiel dénué de toute dualité.
Les moines qui portent le kesa marchent silencieusement
Et demeurent tranquilles,
L’esprit vide, merveilleusement pénétrant,
Exactement comme la vacuité suprême
Pénètre ce kalpa de poussière.
Pleine de dignité,
Sans compter sur qui que ce soit d’autre
Et radieuse au-delà de tout doute,
Préservant cette priorité,
L’énergie fait un demi-tour
Et transforme toute aliénation.
Passant à travers le monde,
En faisant face aux situations,
L’illumination est dénuée de luttes
Et marche sans laisser de traces.
Depuis le début des temps,
Les nuages libèrent joyeusement la pluie,
Emportant les obstacles du passé.
L’enseignement direct est très pur et régulier.
Rien ne peut le bloquer.
Immédiatement
Et sans permettre au passé de vous faire revenir en arrière,
Mettez-le en pratique de façon authentique.
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Retournez à la source et soyez au service des Patriarches
Ceux qui engendrent une descendance,
Sont appelés des Patriarches.
L’endroit d’où le courant jaillit est appelé la source.
Après avoir vu la source
Et avoir reconnu les Patriarches,
Avant que votre éveil ne se disperse,
Soyez inébranlables
Et ne suivez ni la vie ni la mort, ni le passé.
Si vous ne succombez pas,
Alors tous les êtres manifesteront la totalité.
Eveillez-vous
Et alors, la terre, les racines et les particules de poussière
Sont libérées.
Bien que vide de désirs,
Et sans délibérations internes,
La compréhension au-delà
N’est certainement pas enfermée.
La compréhension parfaitement brillante
Ne se soucie aucunement des dix mille images
Et ne peut s’égarer.
Dans chaque grain de poussière
Se trouve une vaste abondance.
Dans cent mille Samadhis
Toutes les voies sont majestueuses,
Tous les dharmas sont satisfaits.
Encore devez-vous les rassembler
Et les emporter en vous.
Pour atteindre cette glorification,
Retournez à la source
Et soyez au service des Patriarches.
Joignez-vous ensemble dans l’unité,
Observez-vous vous-même et continuez.
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La totalité émerge dans son éclat originel
Le lieu de l’illumination silencieuse et sereine
Est la voûte céleste dans le clair automne,
Brillant sans effort,
Étincelant à travers la lumière et l’ombre.
À ce point de jonction,
La totalité est suprême
Et émerge de façon authentique.
La source claire est réalisée avec l’esprit,
L’axe est large et l’énergie vivante,
Tout apparaît dans sa brillance originelle.
Le centre est évident et reconnu comme tel.
Tous les événements divers sont accomplis,
Le yin et le yang sont en équilibre
Et les dix mille représentations
Ne sont plus différenciées.
Doux et égal,
Magnifiquement en paix,
Du nord au sud,
De l’est à l’ouest,
Le ciel est semblable au ciel,
Les gens sont semblables aux gens,
Sensibles jusque dans leurs corps,
Manifestés dans leurs formes,
Répandant le dharma.
Cette capacité est complètement actualisée,
Abolissant tout obstacle.
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Les images spectaculaires de nuages et de dragons
Dans la demeure du vent,
Les nuages et les dragons
Se poursuivent harmonieusement.
Très naturellement
Ils n’éprouvent aucun besoin d’exprimer leurs intentions
Ni aux uns ni aux autres.
De la même façon les moines portant le kesa
S’accommodent entre eux
Et, s’appuyant sur les causes et les conditions,
Peuvent pratiquer ensemble harmonieusement.
Arrivant subrepticement,
Se révélant de façon évidente,
Les merveilleux nuages et les dragons
Entrent en scène et ne peuvent être confondus.
Volant au-dessus des dix mille phénomènes,
Chacun présente distinctement une image spectaculaire.
Sans même l’écart d’un cheveu entre eux,
Jaillissant avec spontanéité,
Ils démontrent de façon claire,
Ce que signifie retourner à son refuge.
Mais ils doivent encore étudier
Jusqu’à ce qu’ils aient mangé à satiété.
Les nuages se dispersent et les vents cessent.
Le ciel d’automne s’éclaircit
Et la lune monte à l’horizon.
Les eaux des cieux sont sans limites.
Lorsque la terre est tranquille,
La clarté commence à être réalisée.
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Les fleurs de Bouddha, les feuilles, les racines et les poussières
La Voie n’est pas ce que les Patriarches transmettent.
Avant que les Patriarches n’apparaissent,
Elle remplissait déjà tout l’espace.
La vacuité en elle-même ne possède aucune caractéristique ;
La spiritualité ne peut être imitée.
De par elle-même,
L’illumination surgit des causes et des conditions.
Vivre constamment en dehors des apparences de surface,
Est être appelé un Patriarche.
Simplement certifiez et unissez-vous avec cela ;
Cela ne peut vous être transmis.
Tous les Bouddhas arrivent à ce point
Et le considèrent comme le point ultime.
Ils affrontent les transformations
Et dispersent leurs corps,
Comme des fleurs, des feuilles, des racines et des poussières.
La sagesse pénètre les trois temps
Et les dix mille changements
Ne nous dérangent nullement,
Aucun grain de poussière ne nous est étranger.
Cette merveille est au-delà des vastes milliers de textes classiques,
Alors comment pourriez-vous vous accrocher au monde des ombres?
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Un pas en arrière et la marmite placée debout
Clairs jusque dans vos entrailles,
Complètement silencieux,
Illuminez la source,
Vides et remplis de l’esprit,
Vastes et brillants.
Bien que vous ayez examiné votre image avec lucidité
Et qu’aucun écho ni ombre ne la trouble, en cherchant plus à fond
Vous voyez que vous avez toujours fait des distinctions
Entre les mérites de centaines d’entreprises.
Alors vous devez faire un pas en arrière
Et atteindre directement le centre du cercle
D’où provient la lumière.
Magnifiques et indépendants,
Vous devez encore abandonner tout prétexte de mérite.
Comprenez vraiment que les nommer
Engendre les êtres
Et que ceux-ci s’élèvent et tombent, entremêlés.
Lorsque vous pouvez partager votre vous-même,
Alors vous pouvez gérer les affaires,
Et vous possédez le tampon pur qui certifie les dix mille formes.
Voyageant dans le monde,
À la rencontre des phénomènes,
Chacun entre soi-même joyeusement
Dans toutes les illusions
Comme dans des Samadhis
Et accepte ce comportement
Qui est de se vider soi-même
De façon à ne pas être plein de soi-même.
La vallée vide reçoit les nuages.
Le fleuve tranquille reflète la lune.
Sans partir et sans demeurer,
Bien au-delà de tous les changements,
Vous pouvez enseigner sans but ou attente personnelle.
Tout, partout, retourne à la terre d’antan.
Pas un seul cheveu n’a été bougé, plié ou soulevé.
En dépit de centaines d’horreurs
Ou de milliers de stupidités,
La marmite placée debout est naturellement salutaire.
Les réponses de Zhao Zhou « lave ton bol » et « bois ton thé »
Ne requièrent aucune explication ;
Depuis le début elles ont toujours été parfaitement limpides.
Observer chaque chose avec un oeil complètement ouvert
Est la conduite spontanée d’un moine portant le kesa.*
*Kesa: Habit sacré du moine que la tradition fait remonter au Bouddha . Ce dernier pour couvrir ses moines , a ramassé de multiples pièces de tissu souillées et usagées, les a lavées dans le Gange sacré et après les avoir teintes, les a cousues, faisant ainsi de l’habit le plus souillé : l’habit le plus sacré !
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Resplendissant à travers l’obscurité
Etudiez profondément le Bouddha
Et recherchez la subtilité de sa lignée.
Vous devez clarifier votre cœur,
Plonger dans l’esprit
Et vous promener en silence dans la contemplation,
Saisissant la source du dharma.
Sans étroitesse d’esprit,
Ou sans couper les cheveux en quatre pour créer des obstacles,
Soyez magnanimes au-delà des apparences.
Splendides et chatoyants,
Comme les rosées rafraîchissant l’automne,
Nobles comme la lune terrassant l’obscurité, depuis le commencement,
Resplendissez à travers l’obscurité, libres de tout entrave.
Toujours tranquille et glorieuse,
La tranquillité n’est pas éteinte par des causes,
La gloire n’est pas gâchée par les ombres.
Libre, lisse et pur, le kalpa de la vacuité ne bougera pas,
Ni ne secouera, ni n’obscurcira cette source.
Capables de rester sereins, et de savoir,
Alors vous pouvez marcher ici en sécurité.
Le vaisseau de jade fait demi-tour,
Vous donnant l’énergie d’en faire de même,
De partager ce que vous êtes
Et de réagir au monde.
Dans ce royaume se situent les formes séparées et limitées,
Mais toutes celles-ci ne sont que celles que nous établissons nous-même,
Ceci résultant de nos quatre propres éléments.
Comment pourrait-il y avoir d’obstacle ?
Etant donné que cet esprit est totalement sans obstacle,
Il n’y a aucune différence entre celui-ci et moi,
Moi-même et les autres ne sont pas séparés par leurs noms.
Les couleurs et les sons se bousculent ensemble,
Insouciants et transcendants,
Bondissants les uns sur les autres.
Alors il est dit que les montagnes et les rivières ne sont point séparées.
Vous devez mettre ceci en pratique,
Comme la lumière qui luit partout.
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Le champ du dharma, terre de l’esprit, et la graine unique
Le champ de l’esprit brillant
Est une ancienne région sauvage
Qui ne change pas.
Avec une détermination illimitée,
Parcourez cette large plaine immaculée.
Les nuages qui passent enlacent la montagne ;
Le vent de la famille est calme et simple.
Les eaux de l’automne reflètent la lune dans sa pure brillance.
Lorsque vous arriverez là,
Vous serez capables de reconnaître directement
Ce champ du dharma, terre de l’esprit,
Qui est la racine originelle des dix mille formes
Qui germent dans une fertilité qui ne se fane jamais.
Ces fleurs et ces feuilles sont le monde entier.
Alors il nous est dit qu’une seule graine
Contient tout un champ en friche.
N’arrachez pas les nouvelles pousses
Et le Soi fleurira.
Traduction brute de l’anglais par Vincent Keisen Vuillemin (dojo de Genève, disciple de Maitre Mokusho Zeisler) à partir du texte anglais de Taigen Dan Leighton Roshi.