Etienne Zeisler.
Je désire terminer ces retranscriptions du merveilleux Maître Wanshi par deux de ses textes essentiels, qui sont de véritables piliers et condensés de tout l’enseignement zen transmis dans les monastères. le chant de l’illumination silencieuse fut traduit et commenté par Etienne Zeisler, l’un des premiers disciples de maître Deshimaru qui mourût prématurément en 1990.
Je suis doublement ému par ce texte: d’une part parce que c’est un condensé métaphysique de l’essentiel de la Voie, d’autre part parce que j’ai assisté aux commentaires de ce texte faits par Etienne en 1988, alors que j’étais jeune moine zen, et que je participais au camp d’été de la Gendronnière , durant lequel nous étions plus de 300 ,réunis pour pratiquer ensemble la Voie. Avant sa mort en Juin 1990, j’eus encore l’occasion d’approcher de près Etienne dans des sessions régionales. D’un abord réservé, il avait cependant au-delà de sa connaissance des textes, une gentillesse extraordinaire.
34 ans ont passé et ces paroles n’ont absolument rien perdu de leur saveur. Je dirais même que comme les bons vins elles se bonifient avec la maturité. Ma rencontre fulgurante avec Bernard, un de ces rares êtres étant blotti à la source de cette illumination silencieuse, n’a fait que valider ces paroles et son témoignage est en parfait accord avec leur contenu. La Réalisation véritable dépasse les frontières des religions organisées et touche à l’indicible.
Ces textes parlent d’eux-mêmes et je ne désire y adjoindre aucune explication ou commentaire : au lecteur de faire le travail et d’élucider par ses propres moyens les mots qui lui sont obscurs. Les longues explications, même si elles paraissent parfois utiles, ne font que diluer le pur nectar qu’ils recèlent et influencent d’une manière ou d’une autre leur réception profonde. Mieux vaut ne comprendre et retenir que quelques phrases qui frappent vraiment au cœur plutôt que de devoir adhérer aux idiosyncrasies d’un commentateur.
Disciple de Tanka Shijun, Maître Wanshi Shōgaku (1091-1157) n’a pas eu de successeur connu. Devenu moine à 11 ans, il s’installa à 39 ans sur le mont Tendō, dans un petit temple de nonnes taoïstes qui ne tarda pas à se transformer en temple zen. C’est à peu près tout ce que nous connaissons de sa vie, en revanche, son œuvre est bien connue. Il est notamment l’auteur du fameux Zazenshin que reprendra maître Dogen.
« Toutes les connaissances du monde ne sont pas comparables au fait de retourner à l’Originel et d’obtenir la confirmation. »
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Zazenshin, l’esprit de zazen
La voie de l’Éveil, transmise directement de Bouddha à Bouddha
Et de patriarche à patriarche,
Ne peut être actualisée que par la non-pensée
Et accomplie par la non-discrimination.
Comme elle est actualisée sans pensée,
Sa compréhension est directe, intime et parfaite.
Comme elle est accomplie sans discrimination,
Elle est vérifiée spontanément et inconsciemment.
Comme son actualisation est inconsciemment
Et naturellement intime,
Elle est éternellement sans souillure.
Comme son accomplissement est vérifié spontanément,
Il transcende toute contradiction.
Sa lumière, ne dépendant de rien,
Brille d’elle-même,
Tel un joyau précieux.
Étant sagesse intuitive du Bouddha,
Elle est pure de toute trace d’illusion et d’Éveil.
Comme sa vérification est libre de tout concept,
Elle découle de la pratique persévérante et sans but.
Elle est comme une eau pure qui pénètre jusqu’au tréfonds de la terre,
Aussi libre que le poisson qui nage.
Elle est comme le ciel sans limite,
Aussi libre que l’oiseau qui vole.
Quand vous réalisez que toutes choses sont vides,
Votre esprit est libre et peut aller par-delà chaque atome de poussière.
Le premier rayon de lumière pénètre partout
Et se transforme selon les énergies et les circonstances.
Tout ce qu’il rencontre est l’origine,
Éclairant profondément toutes les formes, vide et sans partenaire.
Le vent dans les pins, la lune sur l’eau,
L’esprit qui n’erre pas, sans se buter aux phénomènes.
L’essence est d’être vide dedans
Et d’avoir l’espace libre à l’extérieur,
Sans les mélanger,
Comme le printemps apporte les fleurs,
Comme le miroir reflète les images ;
Au cœur des troubles et des tumultes,
Vous vous tiendrez naturellement au-delà, calmes et sereins.
Quand vous serez exactement paisibles
Et que votre vie sera fraîche et tranquille,
Vous percevrez le vide des âges ;
Rien ne peut le troubler, rien ne peut l’obstruer.
Vide, absolu, complet, clair, lumineux,
Cela existe depuis toujours et n’est jamais obscurci.
Si vous comprenez cela,
Alors, ici et maintenant, d’un hochement de tête,
Vous ne suivrez ni la naissance ni la mort,
Ni ne demeurerez dans l’annihilation ou l’éternité.
Si vous voulez changer,
Alors vous vous transformerez
Avec les myriades de formes des multitudes d’apparences.
Si vous voulez rester immobiles,
Alors vous pourrez couvrir et maintenir
Comme le font le ciel et la terre.
Ce qui apparaît ou disparaît,
Ce qui se ferme ou s’ouvre, tout cela dépend de vous.
Marchant dans l’espace, oubliant tout,
Éclairant à travers l’obscurité,
Un instant de spiritualité radiant et illimité.
L’esprit du passé, du présent et du futur est tranché,
Les enchevêtrements des cinq éléments s’épuisent.
Vide et clair, lumineux, brillant seul à travers les âges ;
Lorsque les moines en kesa* peuvent être ainsi,
Ils ne sont plus attachés, ni par la naissance ni par la mort.
*Kesa: Habit sacré du moine que la tradition fait remonter au Bouddha . Ce dernier pour couvrir ses moines , a ramassé de multiples pièces de tissu souillées et usagées, les a lavées dans le Gange sacré et après les avoir teintes, les a cousues, faisant ainsi de l’habit le plus souillé : l’habit le plus sacré !
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Le chant de l’illumination silencieuse.
Lorsque dans le silence tout mot est oublié,
Cela apparaît devant vous avec netteté.
Lorsque vous le Réalisez, le temps n’a plus de limites
Et c’est le moment où votre milieu vient à la vie.
Cet esprit merveilleux brille
De pureté et de rareté.
Comme l’aspect de la lune, comme une rivière d’étoiles,
Comme les pins vêtus de neige
Et les nuages enveloppant les cimes.
En rayonnant, leur halo merveilleux
Luit dans l’obscurité.
Pareil au rêve du héron volant dans l’espace illimité,
Pareil à l’étang immobile d’un automne lumineux.
Le temps sans limites se résout à l’inutile(vide)
Et rien n’est discernable.
Dans cette lumière,
Tout effort est oublié,
Quelle est le lieu de cette splendeur
Où lumière et clarté chassent toute confusion ?
L’essence d’un atome
Pénètre l’infinitésimal,
C’est la navette d’or sur le métier de jade.
Sujet et objet s’influencent mutuellement
Lumière et obscurité dépendent l’une de l’autre.
Lorsque leur action réciproque est harmonie
Il n’y a plus dépendance de l’esprit et de la lettre.
Buvez la médecine des vues justes,
Frappez le tambour des calomnies vénéneuses.
Lorsque silence et lumière sont parfaits,
Vie et mort sont ma possession.
En définitive, le Un passe le pas de porte,
Le fruit mûrit sur sa branche.
Seul ce silence est l’enseignement ultime,
Seule cette lumière est la réponse universelle.
La réponse sans efforts,
L’enseignement inaudible.
Tout dans l’univers brille,
Et prêche le dharma.
En se répondant mutuellement,
Ils témoignent l’un pour l’autre (se certifient)
Question, réponse et certification
Sont en parfaite harmonie.
Lorsque la lumière est sans silence,
Les distinctions apparaîtront.
Du témoignage et de la réponse
Ne naîtront que disharmonies.
Lorsque dans le silence
La lumière s’est égarée,
Tout deviendra inculte (laissé à l’abandon)
Et inutile.
Lorsque l’illumination silencieuse est parfaite
Le lotus fleurira,
Le rêveur s’éveillera,
Les rivières couleront jusqu’à l’océan
Les mille montagnes verront le pic élevé (noble, altier)
Pareil au cygne séparant le lait de l’eau,
Pareil à l’abeille butinant le pollen.
Lorsque la lumière silencieuse
Touche le point ultime,
Je perpétue la tradition originelle de mon école .
Cette pratique est appelée illumination silencieuse,
Elle pénètre du plus profond
Jusqu’au plus haut (pénètre partout).
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