Partage avec un lecteur sur la spécificité de la recherche.

Quelques lecteurs du site, en recherche, partagent parfois avec moi leur questionnement. J’ai pensé que l’échange qui va suivre pouvait concerner d’autres chercheurs, et c’est pour cela que je l’insère sur le site.Comme je le répète avec insistance dans ma réponse, chaque voie est totalement spécifique mais il y a des points communs de questionnement et de parcours que l’on retrouve chez plusieurs et qui peuvent de ce fait être éclairants.

Bernard Harmand.

Bonjour Alain ,

Par mon éducation, je suis un peu gêné de parler de Bernard, utilisant son prénom, alors que je ne le connais pas intimement. Mais je pense que pour notre échange c’est peut-être plus simple et j’espère que ni lui, ni vous, ne m’en voudrez pas.
Comme je vous le disais dans le courrier de ce début d’année je me retrouve face à certaines difficultés, certains blocages et écueils. Je ne sais pas si vous avez besoin que je vous parle de façon plus détaillée de mon parcours, des déclics et compréhensions et de mes expériences. Est-ce bien important ?  Cela ne concerne que le personnage en fin de compte.
À l’heure où je vous écris, on peut dire que ça va mieux. Relire l’enseignement des Réalisés, de Bernard, ça aide toujours. Ces doutes qui n’appartiennent qu’au mental, se dissipent. Mais je veux bien vous en parler.
Je crois, mais n’en suis pas totalement sûr, qu’il y a dans notre chemin des périodes, des étapes et des cycles.  En ce qui concerne ces cycles, on dirait qu’il y a des périodes de pratiques (recherche) plus intenses, des moments de relâchement, de torpeur et dans mon cas de « perte du fil », avec identification total à l’ego. Ces « yoyos » sont douloureux mais se révèlent moins intenses avec le temps.
Dans ces périodes de nuit de l’âme, j’ai remarqué que je peux me détourner de la pratique, contre ma volonté, mais maintenant je commence à accepter cela et sais que des périodes de passion de la recherche vont revenir. Aussi durant ces périodes de « perte du fil » je souffre de la nostalgie de ces moments (très courts au début puis plus long avec le temps) d’Union, de Dissolution (même partielle) de l’individu. Cette nostalgie fait vivre dans le passé d’une expérience et dans l’attente, je pense que c’est un obstacle.
Savez-vous comment se libérer de cela ?
Souvent mes périodes intenses de pratiques se sont exprimées par des retraites solitaires, de mon propre chef, afin d’affronter/accueillir des « drames » ou troubles intérieurs. Ce furent des périodes de replis, ne sachant pas comment aborder certains états et certaines situations, durant lesquelles je suis resté assis sur un coussin, décidé à en finir avec cette souffrance, avec cet ego. On pourrait dire qu’à chaque fois il y a eu un cadeau, un déclic, une grâce. Le souci c’est qu’on se croit arrivé, une certaine équanimité s’est installée, les choses ne vous paraissent plus si terribles ou si  « super chouettes », mais …Insatisfait, non heureux, je constate que je perds le fil, le mental se réactive et s’inquiète. Alors je décide de rependre ma pratique et me retrouve face un mental retors et récalcitrant, piégé et impuissant face à des samskaras et des vasanas, dont je croyais m’être libéré.
Est-ce bien normal ? Les choses sont-elles mises à nu ? Que faire face à cela ?
Je crois qu’on doit alimenter sa recherche quoiqu’il se passe, moments de grâce ou nuit de l’âme, afin d’aller jusqu’au bout. Sûrement je n’ai pas le même tempérament que Bernard, sa passion et sa détermination, pourtant je vois bien qu’on peut vite se perdre dans le monde et que seule la Réalisation est la garantie du véritable bonheur. Je sais que la question sur les pratiques a très souvent était posée, mais Bernard préconise-t ’il l’Atma Vichara ? Ou le désir d’Union est-il suffisant , et nous poussera aux pratiques qui nous sont nécessaires à un moment donné ?
Je pense que quand on veut faire des pratiques compliquées, c’est l’ego qui parle. Car je me souviens d’un fort déclic dont la grâce s’est prolongée de façon douce durant plusieurs semaines, voire plusieurs mois, suite à une retraite où constatant mon impuissance, je me suis rendu, abandonné au Divin. Aujourd’hui, j’ai le sentiment que c’est un mélange de Bhakti/Karma/Jnana Yoga.
Par avance, je vous remercie pour votre prochaine réponse. Vous souhaitant le meilleur à vous et à Bernard.

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Réponse :

Ce que vous évoquez sur le fait de citer Bernard sans le connaître est normal et pas grave du tout. En fait chacun voit « son bernard » à travers ses idiosyncrasies, son expérience de lui, et sa femme voit encore quelqu’un d’autre. Ce n’est pas important, ce qui est essentiel c’est d’être en accord avec ce que l’on ressent profondément et votre expérience de Bernard est unique et ce qui passe de lui dans les livres que vous avez lus et dans nos échanges est sûrement ce qu’il y a de mieux et de plus opportun pour vous.
C’est un point essentiel du témoignage que je peux transmettre en préambule à d’autres éléments auxquels je vais essayer de vous répondre :
TOUT CE QUI NOUS ARRIVE EST BIEN ET EST EN RAPPORT AVEC NOTRE PROGRESSION SUR LA VOIE DE LA DÉSIDENTIFICATION.
Les choses agréables sont bonnes à prendre et pointent également vers ce Bonheur total (elles en sont un aperçu plus ou moins conséquent) les choses désagréables nous montrent notre éloignement et aident à rectifier le cap ! Il y a comme une sorte de cybernétique parfaite adaptée à chacun.
AUCUN PARCOURS N’EST SEMBLABLE.
Un des plus graves empêchements sur la voie est la comparaison que nous établissons sans cesse avec les autres, y compris le Guru. C’est une totale absurdité qui nous bloque dans notre progression. Nous devons bien sûr avoir des modèles qui nous stimulent et c’est merveilleux, mais à chaque fois nous ne devons en retenir que l’essence en adaptant cette puissante énergie du modèle à NOTRE FONCTIONNEMENT SPECIFIQUE.
Votre pudeur et votre hésitation à parler de l’expérience du personnage ne sont  pas tout à fait justes. Mais là-dessus je dois m’expliquer car comme toujours c’est extrêmement subtil.
Deux excès sont à proscrire : d’un côté effectivement l’étalage d’expériences très spécifiques à l’individu et qui ne sont souvent mises en avant que pour flatter son ego et demander une reconnaissance de son soi-disant niveau spirituel (je vois telle lumière, je voyage au-delà de mon corps, je suis dans la non-dualité etc…). Bernard m’a souvent évoqué ces personnes (vite évincées!) , qui ne le joignaient que pour attendre une « confirmation de leur éveil », suite à quelques expériences, que tant de personnes vivent avec une pratique quelque peu sérieuse. Le second excès, à l’inverse, est de garder un silence absolu sur ce que nous sommes, le justifiant par le fait que cela appartient au personnage.
Ce qui au passage, est encore une forme d’ego inversé et une fausse humilité, car cacher son ego revient au même que le gonfler démesurément : dans les deux cas on lui donne trop d’importance.
Mais de fait ce ce n’est qu’à l’aide de cet ego que nous avançons, et des indications sur votre âge, votre travail, vos lectures, votre famille peuvent être très éclairantes en ce qui me concerne.
Il y a une énorme différence entre s’épancher sur sa voie et ses pseudo misères en bavardages inutiles (comme le font la plupart des gens) et une description succincte mais éclairante sur les éléments essentiels de sa vie.
Je ne répondrai pas de la même manière à quelqu’un de 18 ans ou de 70 ans ! Je ne dirai pas les mêmes choses si vous êtes analphabète ou agrégé de lettres, même si bien sûr le fond reste le même, chaque chose doit être adaptée à la compréhension de celui qui la reçoit : adaptée ne veut pas dire dégradée.
Même à des niveaux de culture similaires certains sont imperméables à Nisargadatta, d’autres à Shankara, certains ne jurent que par Ramana. Les voies d’accès sont multiples et varient également chez le même individu au cours de sa vie ou selon certaines périodes.
Donc tout cela pour vous dire en résumé que je sais très peu de choses de vous et que vous restez dans un registre assez conventionnel et général. Bien sûr je peux déjà vous répondre quelque peu à ce niveau : notre recherche est en effet jalonnée par des cycles et c’est rarement un long fleuve tranquille. Là aussi il faut aller au-delà de la querelle : voie subite et voie progressive.

 La voie est évidemment progressive et sauf de très rares exceptions la « purification »  des vasanas ne se fait pas du jour au lendemain.Certains mettent souvent en avant que dans son CD (d’ailleurs en intégralité sur ce site) Bernard dit à un moment, qu’il n’y à rien à purifier, à améliorer car tout cela finit entre quatre planches! Ce genre d’assertion souvent entendue dans les enseignements de la non dualité, sous une forme ou une autre, est certes vraie d’un point de vue absolu, mais est très dangereuse pour la majorité des gens qui sont très loin d’avoir l’énergie , la subtilité et la détermination nécessaires pour intégrer un tel niveau d’enseignement. C’est d’ailleurs ce qui mène à une prolifération « d’enseignants » d’internet qui surévaluent leur « éveil » et sont encore très empétrés par un ego qui n’a pas été suffisament purifié.
Je peux moi-même témoigner par expérience, qu’à 75 ans, des vasanas restent soigneusement ancrées, peut être jusqu’à la fin de ce corps. La grande différence en effet c’est que la désidentification est de plus en plus forte et rapide et que certaines choses qui posaient des problèmes pendant des mois se résolvent en quelques minutes et n’alourdissent plus la recherche car elles sont vues pour ce qu’elles sont : des vagues impermanentes qui ne touchent pas à l’intégrité de LA BASE comme aime à l’appeler avec justesse Bernard.
Il faut également se méfier des « expériences » dites spirituelles qui ne sont bien souvent qu’une exaltation des sens plus ou moins agréable. Comme je le dis toujours assez abruptement (mais c’était mon métier : thérapeute de toxicomanes) les drogues sont largement suffisantes pour cela et plus efficaces ! Nous sommes dans le monde des hyper sensations, celui du « développement personnel »…Tout cela m’exaspère et pour le coup ramène toujours à l’individu, à sa progression dans le bien être alors que la voie juste c’est SA DISPARITION. Bernard parle d’ailleurs avec justesse d’un :  « tombé de scène. »
Plus on progresse plus on relativise les phénomènes de la vie, agréables ou désagréables et plus on est disponible à CE QUI EST.
Il y a effectivement comme vous le signalez avec justesse, des moments de la « nuit de l’âme ». Saint Jean de la Croix parlait de la nuit obscure. Ils font partie intégralement de la recherche et sont des tremplins pour progresser, si on les observe avec équanimité. Même si c’est très dur à accepter, on comprend peu à peu qu’ils font partie  au même titre que les moments joyeux,de l’individu que nous sommes. Mais comme dit Bernard et c’est fondamental : NOUS NE SOMMES PAS QUE CELA !   Revenir toujours à QUI observe cela ?
Il ne s’agit donc pas d’essayer de retrouver des expériences agréables mais de REVENIR SANS CESSE A L’ETAT TEMOIN, c’est effectivement l’Atma Vichara mais là encore n’en faisons pas un pensum. Cela doit devenir souple, fluide. Tout comme pour tout le reste, sachant que plus on est jeune dans l’expérience plus on va être tendu au début : c’est normal.
C’est comme dans la posture de méditation, il faut parfois se tendre un peu trop au début pour retrouver l’axe juste, perdu par des années de faux maintien, mais peu à peu on se détend à l’intérieur de cet axe retrouvé pour ne pas faire de la méditation un pensum masochiste.
C’est la notion d’EFFORT JUSTE, si importante, DE TENSION JUSTE ; C’est valable pour tout, pour la méditation, pour la nourriture. Je suis végétarien strict depuis 55 ans et après des excès de jeunesse dans l’essai de différents régimes, je sens automatiquement ce qui est bon ou juste pour moi en dehors de tout catéchisme alimentaire. Comme je le dis et le répète souvent LA VOIE DU MILIEU N’EST pas la voie médiocre mais la plus haute et difficile à suivre.
Tout au long de notre parcours de la désidentification nous pouvons nous aider des outils que nous rencontrons : cela peut-être la méditation, le mantra, le yoga etc…Toute chose qui nous permet un recul par rapport à l’absorption dans la spirale effrénée de la vie est intéressante et doit être essayée si elle nous convient et même gardée et entretenue si on sent qu’elle nous rapproche du centre.
Ce ne sont pas effectivement les choses les plus compliquées qui sont efficaces, je dirais même que chaque chose que nous faisons DOIT ÊTRE ÉVIDENTE, COULER DE SOURCE.
Ainsi j’explique souvent que j’ai fait dans le zen de nombreuses heures de méditation MAIS QUE JAMAIS CELA N’A
ÉTÉ DU MASOCHISME POUR MOI. Il y a une énorme différence entre le masochisme destructeur et inutile et l’effort juste accepté en profondeur. Je me suis levé pendant des années à 5 h du matin pour aller ouvrir la porte du dojo, qu’il pleuve, qu’il vente ou qu’il neige à 20 Km de chez moi, parce que j’étais en accord profond et évident par rapport à la joie que m’apportait cette pratique.
Bernard, dont j’ai relaté le cheminement dans le livre: « Tout par Amour » a eu une sadhana excessive,dans le cadre d’une passion et d’une détermination énormes,et cependant lorsqu’il en parle, il ne s’agit pas, à l’évidence, de masochisme mais d’un Amour fou de sa recherche.
Si le fond est assumé alors on est prêt à faire un effort, même très dur et c’est naturel !
Pour conclure momentanément cet échange je dirais avec certitude et expérience que plus on progresse plus la vie quotidienne devient relative et se « déroule » et qu’à la limite : peu importe ce qui arrive.
On pourrait confondre à tort cet état avec du désabusement, un début d’indifférence au monde, certains y voient même un début de dépression : ce n’est absolument pas cela, c’en est même très éloigné et c’est beaucoup plus subtil et profondément joyeux. La vie se déroule simplement SELON LES CAUSES ET CONDITIONS, elle ne peut pas être autrement, mais nous sommes de plus en plus conscients que c’est « une toute petite chose » face à cette BASE qui nous appelle, nous happe. Bien que nous l’ayions oubliée par excès d’individualité, elle nous constitue depuis toute éternité.
Et nous sommes alors stimulés dans notre recherche, remplis du pressentiment de ce Bonheur total dont Bernard témoigne à chaque instant depuis sa Réalisation et malgré  15 années d’un douloureux cancer.
De tout cœur avec vous
Alain