Kanji Satori: Eveil, Satori, Réalisation
Je désire dans les temps à venir, publier sur ce site les merveilleux textes de Maître Wanshi (1091-1157), figure célèbre de la tradition Zen Soto, à laquelle j’ai appartenu durant de nombreuses années.
C’est le moment, en ce qui me concerne,14 années après mon départ, de faire le point sur mon expérience.
Contrairement à ce que d’aucuns ont pu en penser, et malgré le terme peu sympathique de « défroqué » que certains ont fait courir à mon égard, je reste très respectueux de cette tradition.
Je constate simplement, et c’est bien normal, que mon départ du Zen n’a pas été toujours bien compris. D’autres avaient même déclaré que je n’avais pas saisi « la verticalité de cette voie. ».
C’est justement et paradoxalement, au nom de cette verticalité que je suis parti, refusant la fonction de Maître Zen.
Je ne renie absolument rien de cette voie radicale que j’ai pratiquée depuis tant d’années (plus de 20 ans en « in », et que je continue à pratiquer depuis 14 ans « en off »), faisant d’ailleurs l’étonnement de certains proches qui me disent qu’au fond : « je suis resté Zen ! ».
Mon bien-aimé Guru, de son côté, m’appelle souvent affectueusement « mon moine Zen », car lui sait très bien depuis longtemps que les étiquettes sont totalement surannées au cœur de la Réalisation et qu’il peut ainsi se permettre de jouer avec.
La diffusion sur ce site de ces textes me donne l’occasion de repréciser certains points importants.
La pratique du Zen, transmise par ses Patriarches, a toujours été pour moi un très grand cadeau, et je l’ai intégrée bien vite à ma vie quotidienne, dès que j’ai eu la chance de la rencontrer.
Les textes qui l’accompagnaient ont toujours résonné avec force en moi.
Alors me dira-t-on, non sans raison : pourquoi n’es-tu pas resté Maître Zen ?
Justement et je le dis sérieusement : au nom de la verticalité !
C’est très simple et évident pour moi : le point catalyseur de mon départ fût la Rencontre avec celui que je considère comme mon Guru, Rencontre qui fut explosive.
Pour mieux préciser les choses je fus d’emblée en face d’un être humain qui incarnait profondément, ce que tous ces textes de Patriarches mettaient en lumière, mais qui n’étaient restés pour moi que de beaux textes, commentés certes par des maîtres sincères et engagés mais qui, selon mon humble avis, n’avaient pas abordé définitivement à l’Autre rive.
Là, en un instant, j’étais en face de l’Évidence, et c’est je puis vous l’assurer une déflagration considérable.
La fréquentation de ces écrits avait enraciné au profond de mon être, la certitude de l’existence de l’Éveil total dont avait témoigné le Bouddha. Et en présence de mon Guru, je pouvais, en un instant en savourer la saveur, qui irradiait sous mes propres yeux.
L’histoire du zen confirme d’ailleurs la Réalisation de ces Maîtres, validée par leur propre Maître et les exhortant parfois à fuir le temple pendant la nuit, pour ne pas être soumis à la vindicte de disciples jaloux.
Leurs textes suintent de cette Réalisation, qui selon moi, est le but de tout chemin spirituel véritable, qu’il soit Chrétien, Bouddhiste ou autre d’ailleurs.
Mais les temps ont bien changé et j’ai constaté dans mon expérience que ce but était trop souvent délaissé, soit comme étant trop élevé et inaccessible, soit comme témoignant d’une prétention égotique incompatible avec « le catéchisme » zen.
De fait, et certains maîtres actuels le reconnaissent eux-mêmes, la Réalisation qui dans les temps anciens donnait lieu à la transmission de maître à disciple, s’est commuée en un certificat d’aptitude à enseigner, que tout disciple acquiert facilement s’il a un peu de ferveur, et qui dans la tradition des temples japonais est même accordé presque automatiquement après 7 années de pratique.
Tout ceci, bien entendu, n’a absolument plus rien à voir, avec une reconnaissance de la Réalisation.
Je ne juge pas de cela qui est un fait. Et les structures, je le comprends, ont bien dû s’adapter au nombre de plus en plus réduit de personnes éveillées (réalisées).
La préoccupation légitime des cadres religieux étant de transmettre à minima la pratique (source d’éveil potentiel) en dépit du manque de Réalisés.
Cette démarche n’est d’ailleurs pas spécifique à la voie Zen et se retrouve dans toutes les religions. Si l’on attendait d’être Réalisé pour transmettre une pratique, ou une religion, elle s’éteindrait de suite.
Toute structure, comme toute civilisation a une naissance, une période de pleine expansion très riche et une dégénérescence.
Ce qui apparaît, se fortifie, se dégrade et disparait inévitablement.
Si les religions sont délaissées progressivement, cela est dû à deux causes essentielles et concomitantes : d’une part l’affaiblissement du sentiment religieux chez les êtres humains, d’autre part la dégénérescence des structures spirituelles, dont les cadres perdent peu à peu la force du charisme primitif. Découvrir les causes ne nous dispense en rien d’agir.
Funeste erreur de l’époque, en effet, dès lors que l’on ressent un malaise, ou un dysfonctionnement quelconque, on veut de suite en attribuer la cause à un responsable, pour se dédouaner du travail à accomplir.
Donc, soyons bien clairs, je n’accuse et ne juge absolument personne, la vie m’ayant d’ailleurs appris que chacun fait au mieux de ce qu’il peut, avec les moyens qui sont les siens.
Ces textes, d’un niveau si élevé, indiquent justement que tout est à sa place dans l’univers, qu’il y a un ordre cosmique, que nous ne comprenons pas toujours, car nous ramenons tout à l’échelle réduite de notre petite personne. Nous sommes hypnotisés par nos sensations agréables, désagréables ou neutres comme disait le Bouddha. Cette polarisation excessive nous empêche de percevoir la subtilité de l’univers et ses lois propres. Il y a donc un saut qualitatif à accomplir pour appréhender celui-ci sous un autre angle, éminemment plus libérateur. C’est à ce saut que nous invitent ces textes, remplis de l’esprit d’Éveil (Bodaïshin)
Ma position à l’époque fut radicale parce que tout simplement c’était et cela reste ma nature. Certains, je les comprends, ont pensé que j’aurais pu tempérer mon ressenti et faire profiter chacun, de cet apport inattendu, en demeurant dans les structures en place. Je dois d’ailleurs signaler qu’à aucun moment mon Guru ne m’a dit qu’il fallait quitter le zen ; au contraire, lorsque je lui annonçais que j’allais partir il s’écria :
« C’est bien d’apprendre aux gens à méditer ! Mais fais comme tu le sens. ».
Comme je viens de le préciser ma nature est telle qu’elle ne peut s’accommoder, à tort ou à raison, de compromis et cette Rencontre fut si forte, que je ne pus faire autrement que de prendre de la distance avec cette voie.
Ses structures me devenaient de plus en plus lourdes et en décalage, me semblait-il, avec le souffle d’Éveil qui venait de me traverser pour toujours. Cette volonté des cadres, d’intégrer notamment de plus en plus, les rituels japonais, me semblait s’éloigner encore davantage de l’essentiel. Et chose beaucoup plus grave à mon sens, beaucoup de pratiquants m’affirmaient « n’en avoir rien à f….. de la Réalisation ! ». Affirmation sidérante dans la bouche de gens qui pratiquent une voie dont le fondateur est nommé : « l’Éveillé. ». Mais affirmation encouragée, confortée, par l’enseignement donné qui lui-même relativisait subtilement l’Éveil par des arguties qu’il serait trop long de nommer ici, mais qui en ce qui me concernait et vu ma propre expérience étaient absolument inacceptables.
C’est un ensemble de choses qui me menèrent là où je devais aller et comme je le précisais précédemment : là était ma limite et l’expression de ma nature quelque peu sauvage. Je ne revendique en cette affaire aucune position de supériorité.
Je suis toujours pleinement heureux à ce jour de cette décision, totalement en accord avec elle et ne l’ai absolument jamais regrettée. J’en fus d’ailleurs étonné, car j’aurais pu logiquement, après une telle rupture, m’attendre à quelques regrets et manques bien normaux. Ce fut à l’inverse un incroyable soulagement et une respiration profonde me recentrant sur l’essentiel. C’est d’ailleurs une indication qui peut aider tout Chercheur : lorsqu’une démarche est « juste », aussi difficile semble-t-elle, elle ne peut que mener l’individu vers son plein épanouissement.
Les gens qui m’appréciaient ne se sont pas détournés et ma pratique s’est approfondie. J’ai d’ailleurs de proches amis, devenus à leur tour Maîtres Zen avec qui je garde d’excellents contacts, car ils savent que je respecte profondément leur choix. Certains d’entre eux d’ailleurs remettent en cause exactement les mêmes points qui m’ont fait partir, mais eux ont décidé de rester pour essayer de faire passer des changements, ce qui est une solution louable mais qui ne me convenait pas. D’autres comme moi, sont partis et nous continuons à partager autour de la recherche. L’essentiel étant que chacun soit en accord profond avec lui-même pour rayonner sur la Voie.
Il est important de signaler et ce site en témoigne, que beaucoup d’autres textes de traditions différentes m’imprégnaient depuis fort longtemps, notamment tous les textes de l’Advaïta Vedanta, si proches de la vision zen non duelle, ainsi que toutes les paroles des sages tels que Ramana Maharshi, Nisargadatta, dégustées depuis des dizaines d’années. Je me rendis compte que mon Guru appréciait énormément ces êtres.
Mais quelle ne fût pas ma surprise quand je découvris qu’il était passionnément attaché à Elisabeth de la Trinité. Le christianisme ne m’était pas étranger, d’une part parce que je suis chrétien de naissance, mais aussi parce que je m’étais imprégné de la hauteur des enseignements des Maîtres Rhénans comme Eckart ou Tauler. Mais cela restait encore « tendance » si je puis dire, car reconnu intellectuellement.
En revanche, pourquoi mon Guru était-il si attaché à une humble carmélite morte à 26 ans, qui avait renoncé à une carrière musicale et mondaine pour rentrer au couvent ?
Je partis donc à la découverte d’Elisabeth et je découvris non sans surprise un brasier d’Amour incandescent, épris d’absolu. Bien que profondément touché par son témoignage, mon mental quelque peu turbulent et retors, me faisait tout de même demander à mon Guru : « Mais comment toi qui a rejeté maintenant ta pratique chrétienne, peux-tu encore être si passionné par une carmélite qui n’a que le nom de son Jésus à la bouche ? » et il me répondit, une phrase qui m’éclaire encore à ce jour, sur le rapport que l’on doit avoir avec nos modèles de la voie : « En la lisant, je ne voyais même pas qu’elle était carmélite, elle aurait pu être n’importe quoi d’autre, c’est seulement le feu qui l’animait que je ressentais et qui me donnait des frissons ! ».
Cette phrase apparemment insignifiante montre à quel point l’essentiel de tout chercheur doit résider dans les modèles qui le touchent profondément. Et cet exemple nous prouve bien qu’au-delà de la forme, de la culture, c’est la qualité d’Être qui fait vibrer.
Voilà pourquoi le rapport que nous avons avec les textes varie selon les individus et selon même les périodes de la vie. Certaines choses nous font plus vibrer que d’autres et viennent, fortifier, nourrir, notre pressentiment que nous sommes plus que ce corps mental limité.
Comme dit mon guru dans une phrase qui est devenue essentielle tout au long de ma recherche : « Je préexiste à la conscience que j’ai de moi-même » phrase qui est en elle-même un phare, un Koan et un programme et que je ne désire pas expliquer.
N’ayons donc pas de filtre réducteur par rapport aux modèles sur la voie, l’important étant qu’ils nous ébranlent et nous rapprochent du centre. Chaque voie spirituelle possède ses modèles inimitables et ses textes inspirés.
Il est souvent rappelé aux chercheurs de ne pas se disperser et je comprends parfaitement ce conseil car beaucoup trop de gens papillonnent à notre époque sans réellement s’engager. Mais je fais une énorme distinction entre un chercheur « touriste » comme les appelle mon guru qui engrange les citations de tous les maîtres possibles et écume internet pour regarder sans fin des vidéos et un chercheur sérieux, passionné par la voie, bien centré, engagé, qui accepte avec respect toute nourriture qui le mène à l’Être, à la Présence intérieure.
Pour clore le regard sur ces 14 années, après mon départ du zen, j’ai acquis la certitude que la voie suivie n’est que la forme extérieure. Elle est conditionnée culturellement et s’accorde aux affinités, également conditionnées de chaque Chercheur. Mais ce qui importe avant tout c’est la passion et la sincérité de la recherche, que l’on appelle dans le bouddhisme Bodaïshin : esprit d’Eveil. Mon Guru lui, parle de Chercheur ou non Chercheur, sans jeter l’opprobre sur le non Chercheur, il dit que c’est un état de fait. Je suis convaincu en effet que l’on peut être inscrit dans une voie bouddhiste, chrétienne ou autre sans être un Chercheur et qu’en revanche il existe des Chercheurs qui ne s’inscrivent dans aucune voie extérieure.
Depuis mon enfance je m’aperçois que j’ai été traversé par cette passion, cette force, qui n’appartient à aucune voie. La meilleure preuve en est, qu’après avoir quitté le Zen, j’ai gardé totalement cette ferveur, cet esprit d’Eveil. Il faut faire énormément confiance à celui-ci qui nous dirige au travers des embûches inévitables de la vie, et qui selon les moments nous fait rencontrer telle ou telle voie, telle ou telle expérience, toujours pleinement utile à notre épanouissement, si toutefois nous savons en profiter.
Si ce terme n’était malheureusement si connoté j’affirmerais sans ambages que :
LA VOIE N’EST AU FOND QU’UNE HISTOIRE D’AMOUR.
Puissent tous les êtres découvrir cette évidente Merveille.
Le sens de mon engagement (je l’ai précisé dans mon article précédent : Memento pour un chercheur passionné.) c’est de donner toute sa place à cet esprit d’Éveil, ce Bodaïshin, qui se décline à travers les 3 axes essentiels que j’ai énumérés :
-La ferme détermination et la passion dans sa recherche
-La connaissance de soi qui s’approfondit
-le contact de cœur avec un référent spirituel (Maître, Guru, ami…quel que soit le nom qu’on lui donne !)
En se rappelant toujours que ce voyage nous donnera l’occasion d’utiliser certains outils, qui ne sont que le doigt qui montre la lune. Et ces outils seront abandonnés ou non, comme le radeau du Bouddha sur l’Autre rive.
Ne faisons donc pas de ces outils des entraves au partage avec nos frères Chercheurs : tel texte qui nous fait vibrer aujourd’hui laissera un autre insensible et cela pourra même changer selon les moments.
Gardons simplement au fond du cœur cet Amour immodéré pour l’Eveil, (la Réalisation), dont témoignent le Bouddha et les Patriarches ainsi que tous les merveilleux textes qu’ils nous ont transmis.