L’accès à la Source, inclut l’observation des dépendances.

 

 

Nous vivons une époque difficile dans laquelle de nombreuses personnes (probablement par insécurité profonde) assènent des vérités tranchantes, sans bien savoir de quoi elles parlent et le plus souvent après avoir glané leurs informations sur des réseaux sociaux partisans, peu sûrs de leurs sources.
Ainsi, à peu près tout est dit et son contraire. Cette atmosphère met gravement en danger l’équilibre psychique et spirituel des êtres humains ballotés par des contradictions délétères.
Ces prises de position passionnées, contradictoires sont en fait un empêchement profond à ce voyage inévitable, que doit entreprendre tout chercheur spirituel sérieux, vers le centre, la Source de soi-même.
C’est le fameux « Qui suis-je ? » de Socrate ou de Ramana.
Il est tellement plus simple quand quelque chose ne va pas, de tout projeter sur l’extérieur qui serait cause de tous nos maux. Or ces autres que nous condamnons ne sont bien souvent que le miroir dans lequel se reflètent nos tendances les plus inavouées.
Chaque civilisation a ses « boucs émissaires patentés » : les noirs, les toxicos, les arabes, les sales blanc, les capitalistes, les gauchistes,les homos, les curés, les communistes, les milliardaires, les pollueurs, l’extrême droite, les sales flics…la liste est sans fin. Nous ne sommes que trop enclins à voir la paille dans l’œil du voisin ignorant la poutre qui déforme le nôtre !
Revenir à la source de soi-même n’est pas une démarche narcissique de complaisance mais nécessite un désir profond et passionné, de faire comme je l’ai souvent exprimé : « l’état des lieux », et même si les dégâts sont plus importants que nous ne le pensions, cette observation, sans jugement, est déjà en elle-même un début de guérison.
La guérison, contrairement à ce que beaucoup pensent n’est pas une affaire de volonté (qui n’est encore que le signe d’un ego dilaté) mais elle survient (ou pas) suite à la vision profonde de ce qui est.
C’est cette vision qui nous délivrera de nos dépendances les plus perturbantes. En effet l’être humain croule sous les dépendances multiples qui l’assaillent dès sa naissance.
Certains bien naïfs, croient qu’ils en sont exempts parce qu’ils ne sont pas alcooliques ou toxicomanes.
Les dépendances se modifient constamment selon les époques, il n’est qu’à voir à quel point le smartphone est devenu quasi vital dans nos vies.De telle sorte que tant de gens plutôt que de vivre intensément l’instant présent, s’empressent de le mettre en boite (dans leur smartphone). C’est flagrant dans les concerts où les gens filment plutôt que d’écouter. Dans la rue où les gens écoutent leurs oreillettes plutôt que d’observer l’alentour. Dans les restaurants où chacun se détourne de son partenaire pour voir le dernier SMS.
Tout chercheur sérieux sait bien que son problème majeur, est la dépendance, la dernière, la plus nocive, la plus tenace, étant la dépendance à ce qu’il « croit être ».
Les modes et les degrés de dépendance varient selon les individus. Chaque être humain a des conditionnements différents et est unique. Il faut beaucoup d’Amour et de respect pour soi-même pour s’observer sans complaisance, ni excès dans un sens ou l’autre (on n’est ni le meilleur, ni le pire : vision qui est encore une boursouflure de l’ego) on est tout simplement un parmi d’autres et chacun a sa place)
Devant ces dépendances les moyens d’action sont multiples et c’est aussi un des travers de l’époque de proposer avec un certain aplomb des remèdes plus miraculeux les uns que les autres. Ces propositions sont parfois tout simplement malhonnêtes et ont juste pour cause l’appât du gain ou du pouvoir, mais beaucoup d’autres, même proposées avec sincérité et honnêteté ne tiennent pas compte de la spécificité de chaque être humain.
Ce qui a « fonctionné » pour une personne à un moment donné sera peut être totalement inefficace pour une autre. Et même chez la même personne des choses qui ne fonctionnent pas à un moment « t » peuvent être parfaitement adaptées à un autre moment. L’être humain est un tissu complexe soumis à différents conditionnements, à différentes influences depuis son enfance, et il n’est pas aisé pour quiconque de sortir indemne de cette jungle parfois hostile, qui nous entoure.
Avant toute chose il faut accepter d’avoir un problème pour éventuellement pouvoir le résoudre. Lapalissade me direz-vous : certes ! Mais je suis souvent surpris de constater à quel point de nombreuses personnes sont dans la dénégation de leur problème. Il faut en fait beaucoup de courage et de détermination pour « faire honnêtement l’état des lieux » et encore plus pour accepter d’en sortir, car le deuxième piège, encore plus redoutable est la dépendance à notre malheur. Combien de gens seraient désemparés si d’un seul coup, par une baguette magique, leurs soucis quotidiens leur étaient enlevés.
Dans ces domaines les deux maîtres mots, me semble-t-il, sont détermination à y voir clair et grande humilité.
Notre époque ne comporte pas, et de loin, que des négativités et de nombreuses possibilités nous sont proposées pour faire notre route, afin qu’elle soit constamment la plus adaptée à notre profil : l’effort est nécessaire certes, mais pas la souffrance inutile. Ce n’est pas la peine de s’habiller deux tailles en dessous, pour « faire comme si » !  Être « bien » avec ce que l’on est : changer ce que l’on peut et apprendre à accepter et gérer ce que l’on ne peut, de toute évidence, pas changer. Merveilleux voyage, unique, vers la connaissance de soi qui s’ouvre automatiquement sur le don véritable.
Pour illustrer ce qui précède je tiens à mettre ici in extenso un article remarquable de Joan Tollifson, paru dans le numéro 145 de septembre 2022 de l’excellente revue Troisième millénaire. Ce numéro est d’ailleurs entièrement consacré à l’addiction.
Ayant moi-même consacré toute mon activité professionnelle et mes recherches à ce domaine j’ai trouvé dans l’article de cette femme un concentré merveilleux de tout ce qui pouvait être dit, avec surtout, cette ouverture d’esprit et de conscience qui ne peut qu’appartenir à une « vraie » chercheuse spirituelle.
Bien plus qu’un article sur la dépendance c’est également une sorte de parcours spirituel qui invite à la réflexion profonde, qui stimule notre détermination tout en nous rendant très humble. Au-delà du sujet concerné, est abordé la base de la spiritualité rejoignant en cela beaucoup de points de vue du bouddhisme, de l’advaïta ou de beaucoup d’enseignements spirituels. C’est pour cela que cet article très long doit être si c’est possible lu et relu avec attention et travaillé sérieusement, pour en ressentir les effets bénéfiques.
Constamment l’auteur sort des sentiers battus, des poncifs et des recettes miracles pour approcher au mieux la Réalisation de l’être véritable. De plus chose essentielle, elle parle d’expérience et non pas comme un perroquet de seconde main. Comme le dit si justement mon Guru : si l’on ne parlait que de choses dont nous avons une réelle expérience, notre discours serait considérablement réduit. Et chose rare et précieuse à notre époque, l’auteur de l’article peut concilier une détermination sans faille avec une humilité profonde.  Je vous en laisse juge et bonne lecture !
Je tiens cependant à préciser avec force que ce genre de pensée se situe à un niveau très subtil et a nécessité pour l’auteur des années de recherche, de travail et de tâtonnement. Comme elle le dit à un endroit, l’acceptation totale et l’attention ouverte, à laquelle elle est parvenue, N’EST PAS UN CONCEPT OU UNE CROYANCE OU UNE IDEOLOGIE. J’insiste lourdement sur ce point car j’ai trop vu (et je vois encore) de nombreuses personnes , qui s’emparent de ces précieux enseignements de non dualité, d’attention, de totalité, de -non faire-, sans avoir accompli eux-mêmes un travail sérieux . Ils se croient déjà arrivés, disant qu’il n’y a rien à faire, alors qu’ils sont simplement en train d’éviter tout travail et toute remise en question en plaquant artificiellement des concepts creux sur une immaturité flagrante. Il ne faut guère s’étonner qu’ils aillent irrémédiablement à l’échec, préjudiciable bien sûr pour eux-mêmes, mais aussi pour la valeur énorme de ces enseignements qu’ils dévalorisent sans les avoir compris.
D’autres aussi immatures , acceptent aisément qu’il y ait quelque chose à faire, et croient résoudre le problème en quelques séances de thérapie, quelques heures de méditation ou de yoga. Souvent rien n’a bougé fondamentalement, mais ils pensent qu’ils ont terrassé en quelques mois ou années un monstre retors qui requiert en fait de longues années de travail intensif.
L’échec n’est pas dû à la nature de l’enseignement transmis mais à l’immaturité de celui qui s’en empare sans suffisamment de respect, d’humilité et de courage. Lorsque je tiens de tels propos on me renvoie immanquablement au fait que Ramana n’a fait aucune sadhana et a Réalisé sa Véritable Nature à 16 ans etc… Soyons sérieux : combien y a-t-il de Ramana ou de Ma Ananda Mayi par siècle ? Et comme je le dis souvent avec humour, si on en était à ce niveau, nous et d’autres s’en seraient déjà aperçu…N’utilisons pas les cas extrêmes pour nous dédouaner ! On ne devient pas médecin en faisant trois ou quatre stages de week-end, on ne devient pas un thérapeute sérieux avec quelques cours sur internet et des formations « bidon ». Mais chacun bien sûr croit qu’il échappe à la règle et incrimine les autres.

Toute démarche sincère et profonde mène de plus en plus à l’humilité et au sentiment que le moi que nous croyons être n’est qu’une accumulation bien creuse de pseudo- savoir, qui nous sépare de LA VIE. 

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 Joan Tollifson.

VOIR L’ADDICTION : VIVRE LA GUÉRISON.

 « Dans un sens, la dépendance est notre problème humain fondamental (même si, dans un autre sens, rien -y compris l’addiction- n’est jamais vraiment un problème.).
Il ne s’agit pas nécessairement d’une dépendance à l’alcool ou aux drogues.
Je définirais la dépendance comme tout comportement habituel ou toute consommation de substances qui semble hors de contrôle, compulsif, auto-entretenu et destructeur.
L’addiction ou la dépendance implique souvent un conflit intérieur entre le désir d’arrêter et le désir de continuer, qui sont tous deux un mouvement qui s’éloigne de l’actualité de l’Ici/Maintenant, et un mouvement vers quelque chose que l’on imagine plus désirable, que cette chose soit le plaisir de la dépendance ou le rêve d’être libéré de la dépendance.
Essayer d’arrêter fait partie de la dépendance (et est différent d’arrêter réellement.
Il convient de noter que la recherche du plaisir et l’évitement de la douleur sont des mécanismes de survie parfaitement logiques dans un contexte purement biologique, mais aucun autre animal ne fume et ne boit jusqu’à la mort.
Evidemment, ce qui commence comme un mécanisme de survie naturel peut être d’une certaine manière déplacé, mal orienté ou exagéré chez les êtres humains, avec notre capacité complexe d’imagination et d’abstraction conceptuelle.
La société capitaliste consumériste, qui est une création de l’esprit humain (l’esprit humain étant lui-même une création de l’univers ou de la Conscience.) cultive en fait la dépendance. Paul mazer, un banquier de Wall Street travaillant pour Lehman Brothers dans les années 1930, a été cité dans un documentaire comme ayant déclaré : « Nous devons faire passer l’Amérique d’une culture des besoins à une culture des désirs. Les gens doivent être formés à désirer, à vouloir de nouvelles choses, avant même que les anciennes aient été entièrement consommées… Les désirs de l’homme doivent éclipser ses besoins. » Et je crois que c’est l’actuel PDG d’Apple que j’ai entendu dans une interview décrire leur mission comme étant de « créer quelque chose que vous ne saviez pas que vous vouliez et dont, une fois que vous l’avez, vous ne pouvez plus vous passer. ».
Le capitalisme et l’industrie de la publicité se sont consacrés à créer un sentiment de manque dans pratiquement tous les aspects de la vie moderne, de la politique à la spiritualité, puis à proposer de le combler avec des choses dont nous n’avons pas vraiment besoin et qui ne nous rendrons pas vraiment heureux. Il n’est donc pas vraiment surprenant que la dépendance soit un problème majeur.

Que vous ayez eu ou non des dépendances ou des compulsions de type évident, presque tout le monde (si ce n’est tout le monde) a connu la dépendance sous une forme ou sous une autre. La plupart des gens sont dépendants de modes de pensée douloureux, habituels et compulsifs. Nombreux sont ceux qui entretiennent une relation de dépendance avec des activités normalement saines comme l’alimentation, le sexe ou le travail. À l’échelle mondiale, nous sommes dépendants des combustibles fossiles, même si cette dépendance menace de nous détruire, et l’humanité semble également dépendante des cycles douloureux de conflits et de guerres et de tous les facteurs qui créent ces conflits et ces guerres. Beaucoup d’entre nous sont dépendants de la poursuite d’expériences agréables ou excitantes. Nous sommes souvent dépendants de l’accumulation de diverses choses-Informations, connaissances, richesses, amis, possessions, pouvoir, statut. Nous pouvons être dépendants d’identités de toutes sortes, tant positives que négatives.
NOUS POUVONS MÊME ÊTRE DÉPENDANT DE LA RECHERCHE SPIRITUELLE-chercher plutôt que trouver, devenir plutôt qu’être, courir après des expériences spirituelles ou des réponses réconfortantes. En fin de compte, la plupart des êtres humains sont dépendants de la survie de cette forme apparente que nous identifions comme « moi » et du maintien de l’illusion du contrôle et de la paternité personnelle de nos vies. À un degré ou à un autre, la dépendance et la compulsion sont des phénomènes que nous connaissons tous.
Face à des sentiments inconfortables tels que l’anxiété, l’irritation ou la douleur, ou à des histoires douloureuses sur le fait d’être inadéquat ou incompris, ou à des sentiments d’être piégé ou impuissant, ou à des énergies et des sensations dans le corps qui semblent insupportables, les êtres humains cherchent généralement une issue ou un moyen de se calmer. Et si le fait d’éviter la douleur  et de rechercher le plaisir ou le confort (peur et désir) sont des fonctions de survie biologique conditionnés qui sont parfaitement logiques dans un certain contexte pratique, chez les êtres humains, avec leur cerveau complexe, ces instincts de survie de base peuvent être transposés dans le domaine psychologique d’une manière qui peut facilement devenir dysfonctionnelle et destructrice.

Poussés par des peurs imaginaires et des désirs mal orientés, nous mangeons trop, dépensons trop, travaillons de manière compulsive, buvons de l’alcool de manière excessive, fumons des cigarettes, prenons de l’héroïne ou quoi que ce soit d’autre.
Plus nous recherchons le plaisir et fuyons la souffrance par ces moyens compulsifs et addictifs, plus la douleur augmente.

C’est comme un cas de sumac vénéneux où plus on se gratte, plus ça démange et plus ça se propage. Des hauts momentanés sont suivis de bas dévastateurs. Parfois la gueule de bois fait même partie de la dépendance : nous sommes alors accro à l’autopunition, ou nous trouvons l’échec moins menaçant que le succès.
La forme particulière que prennent ces comportements d’évitement et de recherche chez chacun d’entre nous, est liée à la nature et à l’éducation (génétique, neurologie, neurochimie, expériences de l’enfance, conditionnement, pressions sociales, forces environnementales, état du cerveau…etc.). Certaines personnes ne se laissent entraîner dans des comportements de dépendance que de façon très minime, tandis que pour d’autres, cela fait boule de neige et détruit le tissu même de leur vie et souvent de nombreuses autres vies. Certaines dépendances sont très légères, d’autres sont fatales. Certaines personnes sont attirées par le surmenage, d’autres par l’alcool, d’autres par l’héroïne, d’autres encore par la pédophilie ou les meurtres en série.
Evidemment, il existe un désir naturel de se rétablir, de guérir, d’être libéré de ces cycles douloureux. Mais à mon avis, le véritable rétablissement doit être ancré dans la reconnaissance du fait que TOUT est l’activité d’un tout indivisible, une unicité qui inclue des façons d’être que nous considérons comme saines et des façons d’être que nous jugeons pathologiques.
De notre point de vue humain limité, nous ne pouvons pas savoir comment tout s’agence ou ce qui est le mieux pour l’univers, même si nous pensons souvent le savoir.
Tout est le mouvement d’un tout sans couture et sans limites, et en fin de compte, tout le spectacle (y compris ce que nous appelons la dépendance et ce que nous appelons le rétablissement) est une apparition inconcevable, insaisissable, insoluble, semblable à un rêve qui n’arrive à personne, une apparition dans (et de) la Conscience, une expression momentanée de cette Présence rayonnante qui est au-delà de toutes nos tentatives de la juger ou de la catégoriser. Réaliser cela, c’est la fin de la honte, de la culpabilité, du blâme, de la haine de soi, de la haine des autres et du désir de punir.  Nous voyons que tout le monde agit de la seule manière possible en ce moment, que tout cela est irréprochable et impersonnel, que personne n’a le contrôle ou n’est séparé de cette unicité, et que nous ne pouvons jamais vraiment savoir ce qui va ou « devrait » se passer ensuite. C’est dans ce contexte plus large que j’aborde le rétablissement.

1-QUEL EST LE MEILLEUR REMÈDE CONTRE LA DÉPENDANCE ?

À ma connaissance, il n’existe pas de remède qui fonctionne pour tout le monde ou qui donne toujours les résultats escomptés. De nombreux facteurs entrent en jeu dans la dépendance et la compulsion, et je mettrais donc toujours en garde contre l’hypothèse selon laquelle il existe une explication unique qui expliquerait ou guérirait toutes les dépendances ou fonctionnerait pour chaque individu. De nouvelles découvertes sont faites en permanence dans le domaine des neurosciences et dans notre compréhension du cerveau et de l’esprit et de leur fonctionnement. Pendant longtemps, les gens ont supposé à tort que certaines affections telles que la dépression ou la dépendance étaient des problèmes entièrement moraux, psychologiques ou spirituels, pour découvrir plus récemment que de nombreuses autres forces sont manifestement à l’œuvre, notamment la neurochimie, la génétique, les traumatismes physiques et émotionnels, les lésions ou anomalies cérébrales et une foule d’autres conditions physiques, émotionnelles et socio-économiques. Les compulsions (comme se mordre les doigts) et les dépendances (tel l’alcoolisme) peuvent toutes provenir de problèmes différents dans des zones différentes du cerveau. Nous pouvons trouver des différences entre les différentes dépendances, et entre les dépendances et les compulsions, et nous pouvons trouver des similitudes. Dans cet article, je mets l’accent sur les similitudes, les points communs, mais je ne veux pas non plus nier les différences. Et j’encourage chacun d’entre nous à garder l’esprit ouvert et à ne pas s’imaginer que nous savons tout ce qu’il y a à savoir sur la dépendance et le rétablissement.
Il semblerait par exemple que le manuel de diagnostic de L’American Psychiatric Association (APA) ait complètement abandonné les termes « alcoolisme » et «  abus d’alcool » pour parler de « trouble lié à la consommation d’alcool ». La guérison des dépendances est un domaine en pleine évolution. Puissions-nous être ouverts aux découvertes et aux idées en constante évolution.
Le rétablissement est en quelque sorte une question de grâce, autrement dit de chance. L’envie d’arrêter une addiction et la capacité de rester sobre, ne sont pas le lot de tous les toxicomanes. Nombre de nos plus grands maîtres spirituels ont été des alcooliques actifs. Un maître zen contemporain s’est noyé dans sa baignoire, ivre. La question de savoir si l’un des remèdes proposés fonctionnera pour un individu donné est en fin de compte un événement de la Totalité Cela dit, il y a des choses qui semblent fonctionner dans certains cas. Mais si elles échouent, ne le prenez pas personnellement. De même si elles réussissent, ne le prenez pas personnellement.

Bien qu’il existe de nombreuses approches différentes de la guérison d’une dépendance, d’une manière ou d’une autre, je dirais que la guérison d’une dépendance a toujours quelque chose à voir avec le pouvoir de transformation de la prise de conscience et avec l’apprentissage de la manière d’être avec la démangeaison de notre peur fondamentale, de notre inconfort, de notre malaise ou de notre agitation sans gratter la démangeaison et l’aggraver. Il s’agit d’apprendre à être présent et à être éveillé sans fuir et sans attendre la perfection. Il s’agit de prêter attention et de se réveiller de la transe de la pensée conceptuelle (toutes nos idées, croyances et suppositions de la vie). Certaines personnes dans le modèle de la guérison, utilisent le modèle de l’impuissance et de l’abandon, d’autres utilisent le modèle de la découverte de notre véritable pouvoir et de l’apprentissage de meilleurs choix. D’après mon expérience, ces deux modèles sont valables et peuvent être utiles. Nous n’avons pas besoin de choisir entre eux, ni de les opposer, ni de donner raison à l’un et tort à l’autre. Ce sont simplement des façons différentes de conceptualiser, de cartographier et de travailler avec la réalité vivante- des cartes différentes avec lesquelles nous pouvons potentiellement trouver le chemin de la maison. (La maison, bien sûr, étant l’endroit que nous n’avons jamais quitté).
Il n’y a pas une seule « bonne » façon de se rétablir. Le meilleur chemin pour un autre peut ne pas être le meilleur chemin pour vous, et ce qui ressemble à un échec peut être le déroulement parfait. Il existe de nombreux « experts » autoproclamés dans le domaine de la toxicomanie qui semblent convaincus qu’ils savent tout ce qu’il y a à savoir sur le sujet. J’ai entendu beaucoup de ces experts émettre des affirmations avec une certitude absolue, alors que ma propre expérience me montre qu’elles sont fausses ou, à tout le moins, très discutables et contestables. N’allez donc pas croire que quelqu’un sait tout ce qu’il y a à savoir.

 

2-QUELLE EST MON EXPÉRIENCE DE LA DÉPENDANCE ET DE LA COMPULSION ?

 Si vous avez lu un de mes livres, vous savez que j’ai une expérience directe de la dépendance et de la compulsion. J’ai arrêté de boire en 1973 après 8 ans de consommation d’alcool presque fatale, à fond, à outrance. J’étais une grosse fumeuse de cigarettes et une grande consommatrice de drogues (marijuana, psychédéliques, héroïne, cocaïne, PCP, stimulants, tranquillisants- tout ce que vous pouvez imaginer, je l’ai pris.) mais ces habitudes ont disparu au milieu des années 1970, peu après mon sevrage. Puis après des décennies de sobriété, j’ai eu une expérience beaucoup plus légère de consommation occasionnelle d’alcool à des fins de dépendance, qui s’est produite de temps à autre à la fin de la cinquantaine. J’ai une compulsion à me mordre les doigts(dermatophagie, classée comme un trouble du contrôle des impulsions)depuis l’enfance, qui se manifeste encore. À différents moments de ma vie, j’ai eu des tendances à la dépendance à un certain nombre de substances et de comportements, allant de la caféine aux pensées obsessionnelles. Au fil des ans, j’ai exploré de nombreuses approches différentes de la dépendance et de la compulsion. En fin de compte, je ne peux pas vraiment expliquer pourquoi l’une ou l’autre de ces dépendances a pris fin à un moment donné. J’ai essayé d’arrêter de fumer à plusieurs reprises sans succès, et lors de ma dernière tentative, je n’ai plus jamais allumé de cigarette. Je n’ai aucune idée en quoi cette dernière fois était différente des précédentes. La dépendance et la compulsion (et la chute de la dépendance et de la compulsion) sont des mouvements de la vie elle-même. Nos jugements sur ces événements et le sens que nous leur donnons, peuvent toujours être remis en question, tout comme nos tentatives de les comprendre et de les contrôler.

Nous pouvons facilement devenir dépendants des explications, des réponses, des théories et des croyances sur la dépendance auxquelles nous nous identifions et que nous défendons.

C’est pourquoi j’encourage chacun d’entre nous à rester ouvert à de nouvelles perspectives et à de nouvelles informations, et à porter un regard neuf sur le moment présent, sans anticiper sur ce qui peut être révélé.
J’ai dessoûlé d’un abus d’alcool (et de drogues) presque fatal en 1973 avec un médecin-thérapeute qui utilisait une approche non conventionnelle-une combinaison de théorie gestaltiste, d’analyse transactionnelle, de thérapie féministe et de thérapie radicale à court terme. Ma thérapeute ne croyait pas au modèle de maladie de l’alcoolisme ni à l’approche en 12 étapes qui a dominé le domaine de la guérison aux États-Unis. (Alcooliques Anonymes). Elle ne croyait pas qu’une personne était « alcoolique ». Elle pensait même qu’il était possible de boire à nouveau de manière non addictive après avoir réglé les problèmes sous-jacents. Elle utilisait le modèle du choix, et non de l’impuissance, et elle considérait la dépendance comme un choix malhabile qui avait été adopté inconsciemment. Les raisons de ce choix inconscient pouvaient être découvertes et reconnues, puis nous pouvions (consciemment) faire un choix différent (plus sain). Mon thérapeute estimait que le pouvoir appartenait à la personne (ou plus précisément à la conscience) et non à la substance.

Lorsque j’ai commencé une thérapie, j’ai passé un contrat avec ma thérapeute selon lequel je ne boirai pas sans préalablement lui en parler. Pendant presque un an je n’ai rien bu. Puis, avec sa permission, j’ai essayé de boire un verre. Cela s’est bien passé, et ma thérapeute a accepté que je boive si je le voulais, mais avec modération. Dans l’ensemble, pour moi, cela a semblé fonctionner. J’ai été complètement ivre à quelques reprises au début, mais même à ces occasions, je n’ai jamais ressenti le besoin de continuer à boire le lendemain et je n’ai plus jamais eu de crise de boulimie (comme je l’aurais eu auparavant). Et dans les années qui ont suivi, je buvais rarement, et si je le faisais, c’était toujours modérément…un verre de vin, une bière, rien de plus. Il y a eu des années entières qui se sont écoulées, une fois même une décennie entière, sans une seule goutte d’alcool. Et je ne fumais plus de cigarettes ni ne prenais de drogues récréatives. La plupart de mes amis ne buvaient pas, et aucun ne buvait beaucoup. L’alcool ne semblait pas être un problème. J’ai vécu ce qui était fondamentalement une vie sobre (sans drogue ni alcool pendant près de 30 ans).
Pendant cette période, j’ai commencé à m’intéresser au zen et j’ai fini par travailler avec une ancienne professeure de zen nommé Toni packer, dont le travail mettait l’accent sur la nature sans choix de la réalité et l’absence d’un moi séparé doté d’un libre arbitre personnel. Cela semblait être l’exact opposé de l’approche adoptée par mon thérapeute précédent. J’ai parlé une fois à Toni de ma compulsion à me mordre les doigts, qui se produisait toujours. Elle m’a suggéré de ne pas essayer de m’en débarrasser. C’était radical ! Au lieu de cela, lorsque cela se produisait, elle me suggérait de laisser la chose être simplement telle qu’elle est, et de lui accorder une attention ouverte que je pourrais accorder à mon ami le plus cher. En d’autres termes, ressentir les sensations dans ma mâchoire, mes doigts, mon épaule, mon estomac…Voir les pensées, y compris le désir d’arrêter et les jugements sur moi-même…entendre le bruit de l’avion qui passe au-dessus de ma tête et le croassement des corbeaux…sentir la respiration. Juste écouter ouvertement l’ensemble, sans jugement, sans intention, sans recherche de résultat. « Tu ne peux pas t’imposer des améliorations » m’a dit Toni. « Avec la volonté vient la résistance : vérifie par toi-même ! »
Toni m’a aussi encouragé à chercher le « moi » qui semblait vivre ma vie et prendre mes décisions. Elle m’a suggéré de m’y plonger avec conscience et de voir s’il était possible de trouver cet auteur de « choix/contrôleur/auteur » apparent.
Tout ce que j’ai trouvé, ce sont des pensées contradictoires : « je veux mordre », « Je veux arrêter » « Je ne peux pas arrêter », « Je devrais arrêter », « Comment puis-je arrêter ? », « Si j’arrive à régler ce problème , alors tout ira bien », « Je dois mordre », « Je suis dépendante », « Je suis un désordre névrotique », « Ce serait insupportable de ressentir ce que je ressentirais si j’arrêtais », »Je suis coincée, c’est sans espoir » « Ça dure depuis si longtemps, c’est hors de contrôle », « Je ne me libérerai jamais », « Je devrais pouvoir me contrôler », « C’est une maladie en fait », »Je veux m’en libérer et en guérir »…..Et ainsi de suite : que des pensées sans fin ! J’avais l’impression d’une lutte acharnée entre « Moi l’observateur »(qui veut arrêter) et « Moi la dépendante qui veut mordre ». Mais plus je prêtais attention, plus il était évident que ces deux « moi » n’étaient rien d’autre que des pensées et des images mentales, accompagnées de sensations dans le corps. Je pouvais également voir que personne ne « faisait » rien de tout cela ; tout se passait tout seul. Tout n’était qu’un mouvement conditionné de la nature qui n’avait rien à voir avec le « moi », car ce « moi » qui était censé être aux commandes n’était qu’un mirage.
Comme le fit remarquer Toni, le côté de ce tiraillement, la croyance ou l’impulsion qui a le plus d’énergie à un moment donné, l’emporte à ce moment-là, et la morsure se produit ou ne se produit pas. Puis la pensée qui se fait passer pour « moi » intervient après coup en s’attribuant le mérite ou le blâme : « Je suis une réussite spirituelle parce que j’ai eu la volonté d’arrêter » ou « Je suis un échec parce que je n’ai pas eu assez de volonté pour arrêter. » J’ai vu comment la pensée crée le mirage du « moi » qui « fait » une chose ou l’autre, et qui, en conséquence est jugé « réussi » ou « échoué » ; Et puis d’autres pensées sur ce « moi » se manifestent rapidement : « Je suis sur la voie d’un nouveau moi, amélioré, meilleur » ou « je suis un cas désespéré voué à l’échec ». L’une ou l’autre de ces pensées générera à son tour une réponse dans le corps, des sentiments positifs ou terribles, l’exaltation ou la dépression.
Ma thérapeute avait fait quelque chose de semblable lorsque j’essayais d’arrêter de fumer. Elle me faisait exercer des « gestalts » où les deux côtés de moi dialoguaient. Je m’asseyais d’abord sur une chaise en étant la voix de celui qui voulait arrêter de fumer, puis je m’asseyais sur une autre chaise en exprimant la voix de celui qui voulait allumer une cigarette. J’allais et venais, écoutant les deux parties.
Grâce à la méditation, à de nombreuses retraites silencieuses et à mon travail avec Toni packer, je demeurais de plus en plus dans la Présence ouverte et éveillée, la conscience illimitée dans laquelle il n’y a aucun sens de séparation ou de limitation. Le sentiment d’être un individu séparé, encapsulé dans un corps, disparaissait. Dans les années qui ont suivi, j’ai passé du temps avec un certain nombre d’enseignants de l’Advaïta (satsang) ainsi qu’avec des non dualistes radicaux. J’ai lu les livres de Nisargadatta Maharaj et d’autres que je ne connaissais pas en personne. J’ai réalisé un travail avec Byron Katie. J’ai suivi des retraites avec plusieurs enseignants bouddhistes différents. Et au fil du temps, j’ai réalisé de manière de plus en plus complète, que je ne suis pas limitée au corps-esprit, ni encapsulée dans celui-ci. Cela a changé ma relation avec toutes mes bizarreries et imperfections névrotiques. L’ancienne habitude de les prendre personnellement et de leur donner un sens s’estompait. Je continuais à me mordre les doigts, mais avec le temps, cela se produisit moins souvent et avec moins d’intensité. Et plus important encore, la honte que j’avais ressentie à ce sujet pendant tant d’années, commença à se dissoudre. La honte est fondée sur la croyance qu’il y a un « moi » aux commandes qui « peut » et qui « doit » être capable d’arrêter. Au fur et à mesure que cette illusion s’est dissipée, la honte a disparu. J’ai découvert que j’étais de plus en plus en paix avec le personnage de Joan, tel qu’il est.
Lorsque j’avais la cinquantaine, que je traversais la ménopause et que ma mère était mourante, je vivais à Chicago pour être proche d’elle, et j’ai commencé à boire du vin le soir. Même si ce n’était rien comparé à la consommation excessive et quasi fatale que j’avais pratiquée des décennies auparavant ; je ne consommais plus d’énormes quantités d’alcools forts combinées à toutes sortes de drogues ; je ne me réveillais plus dans des villes étrangères au lit avec des inconnus, ou en prison ; il s’agissait de 1 à 4 verres de vin le soir à la maison, et pas tous les soirs, ni même toutes les semaines ou tous les mois ; il y avait de longues périodes où je ne buvais plus du tout, mais je sentais néanmoins que cela avait un côté addictif. Je me sentais compulsive, souvent excessive et semblais clairement nuisible à mon bien-être général. Je « décidai » à plusieurs reprises d’arrêter de boire complètement pour être définitivement abstinente, puis après un certain temps, je recommençais à boire du vin. Mais chaque fois il semblait devenir plus clair (non pas comme une idée, mais comme une réalité ressentie) que ce n’était pas une voie saine pour moi, et les périodes de consommation d’alcool se sont raccourcies et ont été moins fréquentes. Je suis même allée aux réunions des AA (Alcooliques Anonymes) pendant un certain temps ; j’ai beaucoup de respect pour les AA et j’ai beaucoup appris d’eux, mais je n’ai jamais senti que c’était ma voie.
En fait, pendant la décennie au cours de laquelle cela s’est produit par intermittence, j’ai simplement porté une attention ouverte, sans jugement, à tout ce qui se passait-ressentir l’envie de boire, voir les pensées pour et contre, ressentir ce que cela faisait de boire et ce que j’éprouvais le lendemain et être simplement consciente de tout ce qui se passait, sans chercher de résultat.J’ai fait confiance à la conscience et à tout ce processus. Je savais d’une manière que je ne peux pas expliquer, que je n’allais pas retomber dans l’abus d’alcool de ma jeunesse, qui mettait ma vie en danger. Finalement les prises d’alcool se sont arrêtées et ne sont pas revenues. Je n’ai pas bu d’alcool depuis plusieurs années, je n’ai pas l’intention de recommencer et je doute que je le fasse, bien que j’ai appris que je ne peux avoir aucune certitude de ce que l’avenir me réserve.
Ces dernières années, ma compulsion à me ronger les doigts a disparu pendant des périodes de plus en plus longues, non pas parce que j’ai essayé activement d’arrêter, mais parce que, périodiquement, elle s’est tout simplement arrêtée. L’envie de le faire disparaît, sans crier gare, parfois pendant des mois, puis revient également sans crier gare. Même si elle réapparaît périodiquement pour le reste de ma vie, je ne trouve plus cette perspective terrible. Je lui suis reconnaissante pour tout ce qu’elle m’a appris. Si l’alcool, les cigarettes et les drogues avaient été mes seules dépendances, j’aurais fini par croire que n’importe qui peut choisir d’arrêter-tout comme le « moi » apparemment. Mais grâce à mon expérience de me ronger les doigts, j’ai pu voir et expérimenter directement que ce contrôleur est une illusion, que personne ne dirige ce spectacle. Cela m’a donné de la compassion pour les agresseurs d’enfants, les tueurs en série et d’autres qui sont contraints de faire des choses bien plus dangereuses. J’ai trouvé la paix non pas en obtenant le contrôle et en perfectionnant Joan, mais en reconnaissant mon impuissance totale en tant que « moi » séparé et illusoire et en réalisant la perfection de ce qui est, juste tel que c’est. Cela ne signifie pas que j’ai perdu tout intérêt à me libérer des habitudes et des compulsions. Cet intérêt lui-même fait partie de la perfection de ce qui est ! Mais je ne suis plus attachée aux résultats, je ne prends plus les comportements addictifs personnellement et je ne leur donne plus de sens. Au cours de ces nombreuses décennies, j’ai continué à explorer de nombreuses approches différentes de la dépendance et de la compulsion. J’ai essayé les « inquiries » (enquêtes) de Scott Kiloby et le travail de Byron Katie. J’ai exploré la guérison rationnelle et un grand nombre d’autres approches. Et au cours des décennies qui ont suivi ma première désintoxication, j’ai suivi d’autres types de thérapie et de nombreuses années de méditation, d’enquêtes et d’autres formes de travail sur la conscience, comme le Feldenkrais parmi d’autres travaux somatiques.
Je suis très reconnaissante de ne plus boire jusqu’à la mort , de ne plus prendre toutes sortes de drogues imaginables., de ne plus fumer plusieurs paquets de cigarettes par jour ni d’entrer dans des colères incontrôlables comme il y a une cinquantaine d’années, mais je reconnais que la désintoxication n’est pas quelque chose que « j’ai » accompli, pas plus que le fait d’être une ivrogne. Et bien que ma vie d’ivrogne ait été pour moi, et pour d’autres, très blessante, je peux voir qu’elle n’était pas non plus entièrement mauvaise. À bien des égards, elle a été une source de sagesse, de compassion, de perspicacité et d’une plus grande intelligence.
Il est également très clair ici, que « Joan ivre » n’était pas moins une manifestation de la réalité vivante que « Joan sobre ». En réalité TOUT EST UN, entier, sans couture, un flux indivisible dont rien ne se détache, et en fin de compte, il n’y a aucun moyen de séparer le bon du mauvais, sauf conceptuellement dans la carte mentale. Dans le cas de ma compulsion à me ronger les doigts, j’ai parfois la possibilité de m’arrêter. Mais parfois, cela continue de se produire de manière incontrôlée. Parfois je lui accorde une attention totale, sans jugement et sans aucune tentative pour l’arrêter. Contre-intuitivement, lorsque cette attention ouverte et cette acceptation totale se produisent, le fait de se mordre cesse toujours, pas pour toujours, mais à ce moment-là. Cette attention ouverte et cette acceptation totale ne sont pas une idéologie ou une croyance, mais plutôt une absence ressentie de résistance et de recherche : c’est-à-dire être complètement présent et conscient sans jugement ou interprétation d’aucune sorte, sans vouloir faire cesser la morsure, sans lui donner de sens, sans la prendre personnellement comme « mon » problème ou « mon » échec. Alors, au lieu de voir et d’interpréter les doigts mordillés comme un signe d’échec ou de déficience, comme la preuve que je suis une ratée, on peut les voir comme un simple événement de la vie, comme le hurlement du vent ou l’écorce déchirée d’un arbre. Vu à travers l’histoire de l’échec personnel, il y a souffrance et désespoir. Vu sans cette histoire, il y a un sens naturel de l’Amour et de l’ouverture dans lequel TOUT, même les doigts rongés, semble beau, sain et digne d’être là. Vouloir que cette compulsion disparaisse à jamais et ne revienne jamais, semble seulement la renforcer en réincarnant le sentiment de « moi »( la victime, la ratée) en conflit avec cette habitude qui est censée ruiner ma vie(dans l’histoire de cette vie). Comme on l’a souvent remarqué, ce à quoi nous résistons persiste, car en résistant à quelque chose nous lui, donnons de l’importance et du pouvoir. Permettre à cette compulsion d’être là et de se dissoudre en son temps, est ressenti comme une véritable liberté. L’esprit pensant (qui se présente comme moi) ne peut pas faire en sorte que cette permission se produise par un acte d’intention ou de volonté : cela ne fonctionne pas. C’est une relaxation de ce mouvement même de l’esprit qui veut tout contrôler et manipuler. En un sens, cela arrive quand cela arrive. Mais en même temps, il y a une capacité ici-même(parfois, pas toujours) de lâcher prise. Et il y a la paix ici, à la fois avec le fait de permettre et de résister, qui sont tous deux considérés comme de simples mouvements impersonnels de la vie, différentes, apparences dans un rêve. CE QUE JE SUIS VRAIMENT EST AU-DELÀ DU RÊVE.

3- COMMENT PUIS-JE TRAVAILLER AVEC LA DÉPENDANCE ?

 La principale chose que je recommande pour défaire une dépendance, sur la base de ma propre expérience, c’est simplement d’accorder une attention ouverte et sans jugement à ce qui se passe en ce moment même, sans chercher à obtenir un résultat ou à le changer de quelque manière que ce soit- en le laissant être tel qu’il est, en le rencontrant avec une acceptation totale, avec une sorte de curiosité et d’intérêt ouvert. Prenons l’exemple de la consommation d’alcool. Si vous n’êtes pas encore prêt ou capable d’arrêter complètement de boire, est-il possible d’accorder une attention totale et ouverte à l’ensemble du processus de consommation d’alcool tel qu’il se produit, de le rencontrer avec tendresse et amour ?
Remarquez cette première envie de boire- qu’est ce qui la déclenche ? Ressentez-vous quelque chose qui vous semble insupportable, quelque chose que vous ne supportez pas d’éprouver, une humeur, une sensation physique, une émotion, une énergie dans le corps, une histoire, un souvenir, un état d’esprit ? Est-il possible, ne serait-ce qu’une minute, de faire une pause et de permettre à cette expérience indésirable d’être là, telle qu’elle est, et d’en faire simplement l’expérience ? Nous pensons souvent que ce sentiment va nous tuer, que nous devons nous en éloigner. Mais si vous vous arrêtez une minute pour se tourner vers ce sentiment que vous fuyez, si vous vous autorisez à le ressentir pleinement, est-il réellement insupportable ? Est-ce qu’il vous tue ou vous submerge ?
Avant de passer à l’acte, est-il possible de s’arrêter une minute et de sentir réellement l’envie intense de boire ?
À quoi ressemble réellement ce désir, cette envie et ce sentiment d’urgence ? Où se trouve-t-il dans le corps ? Quelles sont les pensées qui apparaissent ? Imaginez-vous la boisson ? Pendant une minute ou deux, pouvez-vous ressentir pleinement les sensations corporelles qui accompagnent cette envie de boire- le malaise, l’excitation ou autres ? Si vous allez directement au cœur des sensations elles-mêmes avec conscience, y a -t-il quelque chose de solide ou de substantiel ?
Et puis tout le processus de « décision » de céder à cette envie ou de résister. Comment se déroule en fait ce soi-disant processus de décision ? Y a-t-il une bataille entre le « bon » moi qui veut rester sobre et le « mauvais » moi qui veut boire ? Vous pourriez essayer d’écouter ce que chacun d’eux a à dire, comme je l’ai fait , avec ma thérapeute dans mon travail de gestalt décrit ci-dessus.
Puis d’acheter la bouteille, ,de l’ouvrir de verser le premier verre. Que ressent-on dans le corps à chaque instant de ce processus ? Et la première gorgée, qu’est ce que ça fait ? Et comment vous sentez-vous après un verre. Qu’est ce qui est agréable, qu’est ce qui ne l’est pas ? Qu’est ce qui vous pousse à boire un deuxième verre ? Quelle est cette envie ? Voulez-vous vraiment un autre verre, ou avez-vous peur de ce que vous pourriez ressentir si vous ne continuez pas à boire ? Comment vous sentez-vous après ce deuxième verre ? Aimez-vous vraiment ce que vous ressentez ? Qu’est ce qui vous plaît et qu’est-ce qui vous déplaît ? Comment vous sentez-vous le lendemain matin ? Quelles sont les pensées et les histoires qui surgissent ?
Il suffit d’accorder une attention ouverte, sans jugement, à tout ce processus de déroulement et de l’observer à chaque étape. Vous apprendrez beaucoup et il n’y a pas de bonnes ou de mauvaises réponses à ces questions, et les réponses peuvent être différentes à différents moments. Il s’agit d’être conscient sans effort et de découvrir ce qui se passe réellement, par opposition à ce que vous pensez.
Plus la lumière de la prise de conscience éclaire les mécanismes habituels, et plus la façon dont ils fonctionnent est claire, plus il est possible que quelque chose d’autre émerge. L’envie de boire peut toujours surgir, mais il est possible de ne pas la suivre. Et quand ce n’est pas possible, alors vous buvez. Et vous remarquez ce que ça donne. Peut-être qu’avec le temps, vous boirez de moins en moins, et peut être que la consommation d’alcool disparaîtra complètement à un moment donné. Peut être qu’à un moment donné, une décision claire  d’arrêter émerge, ou une décision de suivre une thérapie ou un programme de récupération, ou quoi que ce soit d’autre. Ce n’est jamais vraiment « votre » décision, c’est l’action de LA VIE elle-même.

4- PEUT-ON CHOISIR D’ARRÊTER UNE DÉPENDANCE ?

 Comme je l’ai déjà dit, nous pouvons toujours arrêter un comportement de dépendance si nous le voulons. Mais le problème est que nous voulons nous faire plaisir, parfois plus fortement que nous ne voulons arrêter.
Nous ne choisissons pas nos désirs ou nos impulsions, et lorsque nous avons des désirs contradictoires, comme c’est généralement le cas avec la dépendance (le désir d’arrêter et le désir de se faire plaisir), nous ne contrôlons pas celui qui est le plus fort à un moment donné.
Parce qu’elle implique l’engagement apparemment involontaire et compulsif dans des activités que nous aimons croire volontaires, la dépendance est un endroit merveilleux pour explorer toute cette question du choix, du libre arbitre et de l’endroit où réside le véritable pouvoir.
Cette exploration est accessible à presque tout le monde si nous comprenons l’addiction au sens le plus large du terme. Très peu d’entre nous peuvent dire qu’ils ont réussi à tenir toutes leurs résolutions bien intentionnées du Nouvel An , ou qu’ils n’ont jamais couru après des plaisirs qu’ils savaient nuisibles et finalement insatisfaisants.
La plupart des gens pensent que c’est une question de choix de boire excessivement, de se ronger les doigts ou de commettre des viols en série, mais lorsque nous regardons de près et attentivement, que ce soit avec la science ou avec la recherche médicale, nous pouvons découvrir que tout découle d’un réseau infini de causes et de conditions interdépendantes dont personne n’est vraiment séparé et sur lesquelles personne n’a vraiment de contrôle.
Nous pouvons découvrir que les comportements de dépendance et de compulsion sont comme une forme d’entrée hypnotique. C’est comme si nous avions été hypnotisés ou conditionnés, pour nous blesser(ou blesser quelqu’un d’autre)net que nous étions incapables d’arrêter. C’est un mouvement impersonnel et conditionné de l’univers entier, et non un acte de libre arbitre indépendant.
Donc si tout découle d’un réseau infini de causes et de conditions interdépendantes, cela signifie-t-il qu’il n’y a pas d’issue, que nous ne pouvons rien faire pour sortir de cette spirale infernale ? Si vous êtes convaincu de répondre la bonne réponse à cette question dans un sens ou dans l’autre, je vous invite à laisser tomber cette réponse et, pour un instant seulement, à ne pas savoir, ce qui est ou n’est pas possible.
J’ai découvert par la méditation et la recherche qu’il n’y a pas d’agent central (pas de « moi ») à l’intérieur de ce corps-esprit quoi prend « mes » décisions ou qui initie et exécute « mes » actions. J’ai vu très clairement que chaque désir, impulsion, pensée, action, idée et choix, provient de l’univers tout entier et ne peut être contrôlé par cet exécutif fantôme qui, en réalité, n’existe pas. En même temps, j’ai fait l’expérience que, pour moi, une thérapie basée sur la conscience et le choix a merveilleusement fonctionné, et qu’une foule d’activités apparemment intentionnelles telles que la méditation, l’entraînement aux arts martiaux, la méthode Feldenkrais et le travail hakomi ont transformé ce corps-esprit à bien des égards. Cela m’a appris à ne pas me poser ou me fixer sur le côté d’un clivage conceptuel tel que « libre arbitre contre déterminisme ».
Dans les programmes en 12 étapes des AA on parle de reconnaître notre impuissance (en tant qu’esprit pensant, le « moi » fantôme, le personnage principal au centre de « l’histoire de ma vie »), et de remettre notre vie et notre volonté à une puissance supérieure à ce faux moi, supérieure à l’esprit pensant, en nous abandonnant à Dieu. Certaines personnes comprennent cette puissance supérieure ou Dieu de manière dualiste, comme une force séparée. En ce qui me concerne Dieu est simplement l’Ici-Maintenant, juste ceci : notre Vraie Nature. S’abandonner, ouvrir son cœur, s’abandonner à Dieu, signifie simplement laisser tomber la tentative de saisir et de contrôler la vie par la pensée, et se dissoudre dans la Présence spacieuse qu’Eckart Tolle a appelée : « le pouvoir du maintenant ». Le sage advaïtin Robert Adams l’appelle : « le pouvoir qui connaît le chemin », et il souligne que vous êtes, vous- même ce pouvoir. Par « vous » il entend cette présence éveillée, non attachée, cet éveil présent, cette intelligence-énergie transparente et impersonnelle qui est en train d’être et de tout voir. Vous êtes cela. Cette conscience éveillée inclut l’esprit pensant et la merveilleuse capacité de pensée créative, imaginative et rationnelle. Elle n’est pas différente de tout cela, mais elle est beaucoup plus grande et beaucoup plus subtile que tout cela. L’abandon consiste à se dissoudre dans cette Présence illimitée et à l’incarner pleinement ici et maintenant.
Bien sûr, dans un sens, nous ne pouvons pas  ne pas l’incarner puisque c’est ce que nous sommes et c’est tout ce qui existe. Mais dans un autre sens, la conscience peut devenir confuse et hypnotisée par ses propres créations, perdue dans son propre rêve. C’est ainsi que la conscience a rêvé de méditation, de satsang, de la non-dualité, du zen, de l’Advaïta, de la psychothérapie, des programmes de rétablissement et de toutes sortes de moyens pour se réveiller de cette transe qu’est la souffrance et l’illusion humaine.
Lorsque nous sommes éveillés dans l’Ici-Maintenant, nous réalisons que chaque chose est la Sainte Réalité. Dieu est tout ce qui existe. Lorsque nous sommes dans l’illusion, nous pensons que Dieu est là-bas, quelque part en dehors de moi, que je suis un désastre sans espoir et que la vie n’est qu’un gros problème. Se rétablir d’une dépendance est un déroulement sans fin, tout au long de la vie, au moment présent, qui implique de se réveiller ici et maintenant de toutes ces pensées, histoires et croyances qui nous disent que nous sommes un fragment séparé, lié et encapsulé, perdu et manquant. Le rétablissement consiste à se réveiller de l’entrée hypnotique et habituelle dans les vieilles habitudes de pensée et d’action.
Il s’agit d’être capable de faire l’expérience d’énergies et de sensations dérangeantes ou désagréables sans avoir besoin de s’en détourner ou de  s’engourdir. Cela implique de passer de la personnalité à la Présence illimitée, de la pensée à la Conscience, d’essayer de contrôler et de manipuler la vie à la détente dans le flux naturel et intelligent qu’est la vie. Être juste à ce moment, sans chercher de résultat. C’est la fin de la saisie et de la tentative d’évasion (pas pour toujours mais maintenant).
Comment ce changement se produit-t-il ? En un sens, personne ne sait comment cela se produit. ?Est-ce un choix ? On ne peut pas vraiment le dire. Aucune description ne peut rendre compte de la réalité. L’hypothèse commune, est que nous choisissons tous librement nos pensées et nos actions et que nous contrôlons le mouvement de notre attention, et donc que n’importe qui peut arrêter une addiction s’il le veut, et que n’importe qui peut choisir ou décider ce qu’il veut. Si nous regardons de plus près, nous constatons que ce n’est pas vraiment ce qui se passe. Si l’on observe attentivement, ce « décideur » ou cet « auteur » de nos pensées s’avère être lui-même une pensée ou une image mentale qui revendique le contrôle de ce qui est en réalité un processus automatique, dont une grande partie se déroule à un niveau inférieur à la conscience, et qui est inséparable de l’univers tout entier.
Croire à l’histoire du libre arbitre conduit à la culpabilité, à la honte, au blâme, à la frustration et à la vengeance chaque fois chaque fois que nous ou les autres n’agissons pas comme nous pensons devoir le faire. Mais ensuite, si nous nous laissons entraîner dans une version absolutiste de la non-dualité, nous pouvons tomber dans l’erreur, dans la direction opposée, en croyant que « l’absence de soi » ou l’absence de « choix » signifie qu’il n’y a rien à faire pour mettre fin à un schéma de dépendance ou pour se réveiller.
Dans les cercles non dualistes radicaux, les gens ont parfois l’idée que faire délibérément quelque chose viole un principe de base de l’Advaïta ou de la non-dualité. Si tout est parfait tel qu’il est, raisonnent-t-ils, et s’il n’y a pas de soi avec un libre arbitre, alors qui voudrait ou pourrait changer quoi que ce soit et pourquoi le voudraient-ils ? Mais ceci est une mauvaise compréhension de l’Advaïta et de la non-dualité. C’est, comme l’a bien dit un enseignant, se pendre à un nœud coulant advaïtique.
Le changement est la nature même de la vie. Chacune de nos actions, de nos capacités, de nos désirs et de nos intuitions fait partie du fonctionnement de la totalité, tout comme notre capacité à discerner la différence entre les activités saines et malsaines.
Dans un sens il est absolument vrai que tout est parfait (ou complet) tel quel, y compris la dépendance, et pourtant, il est tout aussi vrai que le désir de se remettre de la dépendance et de guérir ce qui nous fait mal est également parfait.
La méditation, la psychothérapie, le yoga, le travail corporel, le travail de conscience somatique, le satsang, le Tai-chi, les programmes de rétablissement, les programmes d’action sociale visant à protéger l’environnement ou à soulager la souffrance et à corriger diverses formes d’injustice- tout cela constitue des modes de fonctionnement de la vie, des façons dont les êtres humains se rassemblent pour dissiper la confusion et s’éveiller à de nouvelles possibilités. Toute cette activité se déroule de la même manière que les globules blancs travaillent ensemble dans le corps pour combattre les infections et éliminer les maladies. Nous pouvons avoir l’impression que c’est « moi » qui fait des choix, qui a des intentions et qui agit, mais si nous regardons de près, nous ne trouvons personne qui dirige le spectacle. Toutes nos intentions, nos pulsions, nos pensées et nos actions, tous nos « choix » et « décisions » apparents, sont l’activité de l’univers entier, tout comme les globules blancs sont une activité de l’univers entier. L’unicité illimitée inclut à la fois les cellules cancéreuses et les globules blancs, à la fois le parasite et l’hôte, à la fois la dépendance et la guérison, à la fois Bouddha et Hitler. Rien n’est laissé de côté. Et rien de tout cela n’est personnel, ce qui signifie que personne ne fait ou ne possède rien de tout cela individuellement. ? Le « moi » qui semble avoir « mes » pensées et faire « mes » choix, n’est qu’un mirage, un fantôme, une illusion. En ce sens nous parlons de l’absence de soi et de choix.
Mais cela ne signifie pas que nous « devrions » ou « devons » rester assis sur le canapé pour le reste de notre vie à « ne rien faire »et à attendre qu’une force extérieure nous mette de la nourriture dans la bouche. En fait la vie nous pousse à agir d’une manière ou d’une autre, sans que nous ayons le choix.
Lorsque les bonnes conditions sont réunies, le corps et l’esprit peuvent apprendre ou être entraînés de toutes sortes de manières afin de disposer de plus de choix, de meilleurs choix, d’un contrôle accru, d’un contrôle plus raffiné, de plus de possibilités, ou de toute autre aptitude. Un athlète compétent a plus de choix, plus de contrôle, plus de possibilités de mouvoir son corps que quelqu’un qui n’a pas cet entraînement et cette pratique. Un écrivain compétent a plus de choix, , plus de contrôle, plus de possibilités, pour s’exprimer clairement avec des mots qu’une personne analphabète. De même il est possible (quand c’est le cas) d’acquérir, dans le cadre de programmes de rétablissement, d’une thérapie ou de la méditation, des compétences qui nous permettent de mieux comprendre, d’avoir plus de choix, plus de possibilités et plus d’aptitude à réagir de manière constructive plutôt que destructive à certains sentiments, pulsions, malaises et bouleversements. Un apprentissage se produit : apprendre à être avec la démangeaison sans la gratter, et remarquer que lorsque nous pouvons laisser faire, la démangeaison finit par se dissoudre elle-même.
Ainsi, bien qu’il n’y ait pas de choix dans un sens, nous devons apparemment faire des choix et « décider » de suivre ce que la vie nous pousse à faire. À un moment donné, cela peut être de se shooter à l’héroïne, et à un autre moment, cela peut être de suivre un programme de désintoxication. Nous n’avons pas le choix. Et pourtant paradoxalement il y a une juste réponse ici même car « je » (au sens le plus profond et le plus vrai, avant le nom et la forme) suis l’Unique sans second, la Conscience illimitée, le Sujet ultime, le Soi suprême, le « Je » auquel nous nous référons tous également. Je suis Cela.
Ainsi en fin de compte, nous ne pouvons pas vraiment dire que nous avons le choix ou que nous n’avons pas le choix- les deux formulations supposent à tort l’existence séparée de quelqu’un en dehors de cette continuité pour être ou non sous contrôle. Lorsque nous atterrissons d’un côté ou de l’autre de cette fausse dualité (conceptuelle) (choix ou pas de choix) nous passons à côté de la réalité vivante, qui ne peut être épinglée par aucune formulation ou conceptualisation. Ainsi, au lieu de rester coincé dans une idéologie ou une croyance sur la façon dont la vie est, est-il possible de vivre simplement avec une question ouverte : En ce moment, à l’instant même, qu’est ce que cela fait de boire, de fumer, de me mordre les doigts ou quoi que ce soit d’autre ? Cette activité doit-elle se poursuivre en ce moment même ? Que se passerait-il si je ne le faisais pas maintenant ?  Y a-t-il une autre possibilité ? En ce moment même y a-t-il un choix à faire ?. Ne réfléchissez pas à ces questions, ne répondez pas à partir du passé ou d’une quelconque idéologie, mais regardez et voyez vraiment ! Et ne supposez pas que la réponse à un moment donné sera la même à un autre moment. La réalité est vivante.

5- COMMENT NOTRE SENTIMENT D’ÊTRE UN MOI DISTINCT JOUE-T-IL UN RÔLE DANS LA DÉPENDANCE ?

 La dépendance humaine la plus fondamentale consiste peut-être à entretenir et à défendre le « moi imaginaire » que nous pensons être. On nous a appris à confondre le sentiment indéniable d’être présent et conscient avec l’histoire d’être un moi séparé, encapsulé dans un corps séparé, regardant un monde apparemment substantiel qui existe soi-disant en dehors de la conscience. Cette histoire est si profondément conditionnée et si largement répandue que, si nous n’y regardons pas de trop près, il semble que ce soit notre expérience réelle. La méditation et la Recherche sont des moyens de regarder de plus près et de voir que notre expérience directe est en fait sans couture et sans limites.
Mais lorsque nous ne voyons pas cela, lorsque nous croyons que nous sommes une personne distincte, il y a toujours un sentiment de manque et de vulnérabilité, et une recherche de ce qui semble manquer( Amour, bonheur, paix, illumination), toujours imaginé comme étant « là-bas » quelque part. Nous défendons sans cesse l’image que nous avons de nous-même, en essayant de devenir quelqu’un de spécial d’une manière ou d’une autre, et nous avons souvent peur d’être pleinement l’expression unique de l’univers que nous sommes en réalité, en essayant plutôt de nous conformer aux attentes sociales, culturelles ou parentales et de nous faire rentrer dans une boîte étroite. Peut-être que ce sentiment de séparation et d’aliénation est à l’origine de toutes les manières dysfonctionnelles uniquement par lesquelles les êtres humains recherchent le plaisir et essaient d’éviter la douleur.
En s’enivrant ou en se défonçant, en se perdant dans des fantasmes sur l’avenir, dans des programmes télévisés abrutissants, ou dans la réalité virtuelle de notre smartphone, en se gavant de nourriture, en ayant sans cesse des relations sexuelles, en travaillant constamment, en fumant des cigarettes, en achetant des objets qui, selon nous, nous apporteront le bonheur, nous nous libérons momentanément du fardeau d’être « moi ». Pendant un instant, nous sommes libérés de notre histoire de manque, libérés de nos désirs, libérés de nos peurs imaginaires et de notre sentiment d’indignité, libérés du sentiment d’être impuissants et hors de contrôle. Bien sûr, cette liberté est de courte durée et le cycle global est un cycle de recherche et d’insatisfaction inépuisable. Je ne suggère pas que toutes les activités mentionnées ci-dessus sont pathologiques en soi et que nous devrions nous efforcer de » nous purifier de tout ce qui peut être considéré comme une distraction, un évitement ou une addiction. Cette obsession de la pureté ne serait en elle-même qu’une autre forme de dépendance. Mais nous pouvons commencer à sentir et ressentir quand nous faisons quelque chose d’une manière qui fait réellement mal, et alors nous pouvons peut-être commencer à nous demander s’il n’y a pas une autre possibilité.
Lorsque nous regardons de près, nous découvrons que ce moi séparé, qui semble être au centre de toutes nos histoires et à l’origine de tous nos problèmes, est en fait une apparence de mirage composée de pensées, d’images, de souvenirs, d’histoires, de croyances et de sensations en constante évolution.
Une certaine identification fonctionnelle avec le corps-esprit et un certain sens fonctionnel des limites et de l’organisation sont nécessaires à la survie, mais le sentiment de séparation et de contrôle personnel qui crée notre souffrance humaine, implique la croyance que nous choisissons librement tout ce que nous pensons, voulons et faisons, et un sentiment persistant que ce « moi » devrait être plus performant. Le faux sentiment de séparation implique une peur psychologique de la mort ou de l’annihilation qui va bien au-delà de l’instinct de survie biologique. Nous perdons le contact avec la globalité et l’interdépendance de la vie, et nous devenons exclusivement identifiés comme un fragment supposé séparé. L’image que nous avons de nous-mêmes semble avoir constamment le besoin d’être améliorée et défendue. Et ce genre de souci de soi va au-delà des besoins de survie de base et n’a rien à voir avec le fait d’être fidèle à l’expression unique de la Totalité qu’est chacun d’entre nous dans le jeu de la vie(c’est-à-dire notre personnalité authentique, notre orientation sexuelle,  notre identité de genre, nos vocations, nos préférences en matière de mode, nos inclinations religieuse, nos tendances politiques…etc.)n fait ce souci de l’image de soi conduit souvent à supprimer beaucoup de ces choses au nom de « l’intégration » ou de « l’acceptabilité ».
Ce « moi » fantôme pourrait bien être la dépendance fondamentale dont toutes les addictions ne sont en quelque sorte que les symptômes.

 6- ABANDON ET NON SAVOIR.

 L’abandon et l’impuissance ont à voir avec la reconnaissance de l’absence de contrôle individuel. Il s’agit de se détendre, de s’adoucir, de se laisser aller à une ouverture qui est à l’opposé du contrôle ou de la volonté de puissance- un lâcher prise ou une relaxation pour être ce moment tel qu’il est. C’est l’abandon de tous nos efforts pour échapper ou résister au moment présent. Au lieu de lutter contre la dépendance, nous devenons curieux à son sujet. Nous abordons chaque moment de ce déroulement non pas comme un ennemi que nous devons vaincre ou une chose qui gâche notre vie, mais comme le Bien- Aimé. Nous voyons tout comme Dieu.

S’abandonner ne signifie pas s’abandonner à la bouteille, retirer ses mains du volant de sa voiture, devenir un paillasson, rester dans une situation abusive, permettre au racisme ou à d’autres injustices de perdurer sans être remis en question, ou ne pas prendre les mesures appropriées pour résoudre un problème. Cela signifie entrer totalement dans le moment présent, l’éternel Maintenant. Être ce moment. Être conscient. Être présent. Bien sûr il n’y a aucun moyen de ne pas être le moment présent, et il n’y a personne en dehors du moment présent, et pouvant y entrer, car ces mots ne sont que l’indication d’une sorte de relaxation, d’ouvert, de dissolution et d’autorisation qui doit être ressentie et découverte de la même manière que nous découvrons comment nager ou faire du vélo. Personne ne peut vraiment nous expliquer comment le faire, mais d’autres personnes peuvent souvent nous aider à le découvrir par nous-même. C’est pourquoi nous avons des enseignants spirituels, des sanghas, des groupes de guérison, des thérapeutes etc. C’est pourquoi nous avons des livres, des cartes et des articles comme celui-ci.
L’esprit pensant veut toujours dresser une carte des choses à faire et déterminer les  causes de nos problèmes. Il veut une stratégie pour atteindre ce qu’il considère comme une amélioration et une réussite. C’est une fonction de survie, et dans un certain contexte, elle fonctionne assez efficacement. Et dans le cadre de cette construction conceptuelle de cause à effet, il semble bien que la psychothérapie, la méditation, l’entraînement aux arts martiaux et diverses formes de travail de sensibilisation et de guérison aient tous eu quelque chose à voir avec la transformation de « mon » ivresse en sobriété.
Mais lorsque nous regardons de plus près, nous ne pouvons pas vraiment trouver une frontière bien définie entre l’obscurité et la lumière, ou entre « Joan » et le reste de l’univers. Ainsi, s’il peut être fonctionnellement utile d’avoir l’idée qu’une psychothérapie ou un programme de rétablissement, peut être une ressource utile pour se libérer d’une dépendance, le problème survient lorsque nous imaginons que cette solution apportera toujours les résultats souhaités, ou lorsque nous croyons qu’il y a un cadre à la barre qui « peut » ou « devrait » accomplir cette tâche sur commande ou à volonté, ou lorsque nous attendons la perfection ou croyons à nos idées dualistes et simplistes sur le bien et le mal, ou lorsque nous pensons qu’une polarité « peut » ou « devrait » triompher définitivement de l’autre, ou lorsque nous croyons qu’il existe une recette unique de transformation qui fonctionnera pour tout le monde. Chaque fois que nous croyons à ce genre d’idées dualistes, cela devient un piège pour la culpabilité, la honte, le blâme, la frustration, le désespoir ou l’autosatisfaction.

7-RIEN N’EST VRAIMENT UN PROBLÈME, PAS MÊME L’ADDICTION.

 Dans l’absolu, vous atterrissez parfaitement, même lorsque vous hésitez  et que vous tombez sur la tête. Les soi-disant erreurs de la vie ne sont qu’un autre aspect de cet ensemble homogène dont rien ne se détache, et elles sont souvent le grain qui créé la perle. Ainsi, lorsque nous hésitons, que nous tombons sur la tête, que nous sommes ivres, que nous nous mordons les doigts ou que nous crions sur notre partenaire, nous ne devons pas le prendre personnellement ou nous perdre dans des histoires d’échec. Cela aussi, c’est le mouvement de la vie, inséparable des moments où nous sommes « dans la zone », où nous sautons parfaitement. En réalité, il n’y a pas de « moi » qui va et vient entre ces différentes expériences. Elles sont comme des vagues sur l’océan-toutes font partie d’un mouvement unique, inséparable, et finalement, ce ne sont que des apparences dans un rêve.
Tout est tel qu’il est parce que l’univers entier est tel qu’il est. Certains corps-esprits ont un temps plus orageux que d’autres corps-esprits, tout comme des villes différentes ont des conditions météorologiques différentes. Chacun de nous contient l’univers entier, le saint et le pécheur. Il est en effet très libérateur de réaliser que la dépendance et la libération de l’addiction ne sont pas des fautes ou des réalisations personnelles, et que tout ce qui se manifeste ne peut pas, en ce moment même, être autrement que ce qu’il est. Lorsque vous voyez vraiment qu’il n’y a aucune séparation nulle part et qu’il n’y a pas de moi indépendant qui contrôle, alors rien de ce qui arrive n’est plus pris personnellement. C’est un énorme soulagement. Comme le dit J ; Matthews : «  Pas dans vos moments les plus ivres, les plus tristes, les plus hystériques, pas même à ce moment-là vous ne pouvez tomber hors de cette perfection claire et sacrée ».
Et pourtant, en même temps, être éveillé à cette perfection sacrée  est peut-être le plus grand cadeau que nous puissions nous offrir à nous-même et à tous les êtres dans ce monde troublé. Ainsi, je nous encourage tous à voir, ici et maintenant, en ce moment même, s’il est possible de se réveiller de l’esclavage de la dépendance, quelle que soit la forme qu’elle peut revêtir. Et si la dépendance ne s’arrête pas en cet instant, peut-être peut-on reconnaître que cela aussi est l’expression parfaite de ce qui est. Ne supposez jamais que vous savez ce que vous apportera l’instant suivant, et quoi qu’il apporte,  rien de tout cela n’est réellement personnel, rien ne manque vraiment et personne n’est jamais vraiment perdu. En fait il n’y a pas de personne séparée du tout qui soit perdue ou trouvée, sous contrôle ou hors de contrôle, en réussite ou en échec. Tout cela ne sont que des idées et des croyances. La réalité est globale, et rien de ce qui apparaît n’a de substance ou de durée réelle. La « médecine ultime » pour toutes nos souffrances humaines et tous nos problèmes apparents est la reconnaissance de cette perfection claire et sacrée qui est juste ici, toujours présente, , toujours déjà pleinement éveillée et totalement complète.

CONCLUSION.

 Nous pouvons penser que la vie sans la dépendance serait insupportable, mais d’après mon expérience,  la vérité est exactement le contraire.
Et si nous ne pouvons pas arrêter une activité addictive en ce moment, alors cette activité peut-elle être vue sans jugement ou sans résistance, de la même manière qu’un orage ou une peinture abstraite peuvent être perçus ?  Qu’est ce que c’est si on ne l’appelle pas « dépendance » ou « compulsion » ou « problème » ? peut-on aborder tout cela avec curiosité et Amour ?
Pouvons-nous reconnaître que nous ne savons pas vraiment ce qui est le mieux pour l’univers ou comment les choses « devraient » être.
Pouvons nous apprécier la ténacité et l’attrait de ces schémas habituels et avoir ainsi de la compassion pour tous ceux qui y sont pris ? Pouvons nous aussi découvrir de première main à quel point ces habitudes sont totalement impuissantes et insubstantielles à chaque instant du réveil ?
En fin de compte, il importe peu que ce réveil se passe en reconnaissant notre impuissance ou en cultivant notre capacité de réaction et notre pouvoir de choisir avec sagesse. Allez assez loin à l’est et vous vous retrouverez à l’ouest, et vice versa. L’approche et la perspective qui résonnent et qui fonctionnent pour vous en ce moment auront tendance à se manifester. Au moment suivant, tout peut être différent. Soyez donc toujours prêts à voir quelque chose de nouveau et d’inattendu.

Et surtout, reconnaissez qu’il n’y a pas de « vous » dans tout cela.

 

Voici les coordonnées du site de la revue troisième millénaire d’où est extrait cet article. Vous pouvez vous y procurer les numéros anciens de la revue ou vous abonner :

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