Une Béguine.
Les béguinages, communautés de béguines sont apparus à la fin du douzième siècle et au début du treizième, en Belgique, aux Pays-Bas, dans le sud de l’Allemagne et dans le pays rhénan. Composés essentiellement d’aristocrates célibataires et de veuves, beaucoup d’hommes trouvant la mort à cette époque dans les guerres multiples.
Ces femmes menaient des vies de prière, de méditation ; se livraient à des œuvres de charité, distribuaient des vivres et soignaient les malades. Elles ne prononçaient pas de vœux et devaient assurer elles-mêmes leur subsistance.
En général elles étaient mal considérées par le clergé, car leur valeur spirituelle dénotait avec la dépravation des clerc en place. De ce fait elles refusaient d’obéir au clergé et furent souvent persécutées, voire même considérées comme hérétiques.
De nombreuses béguines finirent ainsi sur le bûcher.
Il y eut à l’époque près de 200.000 béguines et à Gand en 1960 à on comptait encore 700 béguines.
Les poèmes qui vont suivre furent longtemps attribués à une béguine très célèbre : Hadewijch d’Anvers (écrivant entre 1220 et 1240). Par la suite les experts contestèrent cette filiation, mais peu importe, quelle béguine les a écrits car à l’époque on accordait beaucoup plus d’importance à la teneur spirituelle d’un écrit qu’à la petite personne qui l’avait produit. C’est encore bien un signe des temps de voir cette multitude d’écrits plus enclins à flatter l’ego de leur auteur qu’à édifier le lecteur par leur richesse intrinsèque.
Dans son autobiographie Hadewijch d’Anvers déclare ces paroles merveilleuses de justesse :
« Si vous voulez atteindre cette perfection il vous faut d’abord apprendre à vous connaître bien réellement. En toute rencontre demeurez égale, dans le repos comme dans la peine, en sorte que votre quête soit véritable.
Certains êtres peuvent se laisser tromper par leur imagination, et ne vivre qu’une contrefaçon de cette aventure. Dupes d’eux-mêmes, ils se mentent, s’illusionnent, se laissent berner par un persistant fantasme, en cédant à la tentation de brûler les étapes »
Puissante lucidité pour un texte écrit il y a 800 ans et qui semble tellement d’actualité, voire prophétique lorsque l’on voit certaines productions « spirituelles » d’internet !
Je vous livre quelques merveilleux poèmes qui parlent d’eux-mêmes tant est grande la force d’Amour qui les sous-tend.
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Premier poème :
Ce que l’homme appréhende dans la connaissance nue de haute contemplation,
cela est grand assurément,
mais n’est rien : si je compare ce qui est saisi à ce qui fait défaut.
C’est dans cette déficience que doit plonger notre désir :
Tout le reste est par essence misérable.
Ceux qui pénètrent toujours plus avant
dans la haute connaissance sans parole de l’AMOUR PUR,
trouvent ainsi la déficience toujours plus importante.
L’intelligence aux calmes désirs, vouée à se perdre dans l’immense,
elle est isolée, dilatée, sauvée par l’Unité qui l’absorbe,
et là une chose simple lui est révélée qui ne peut l’être :
LE RIEN PUR ET NU.
C’est en cette nudité que se tiennent les forts,
riches de leur intuition, mais défaillants dans l’insaisissable.
Entre ce qui est saisi et ce qui fait défaut,
il n’est nulle mesure
et aucune comparaison n’est possible.
C’est pourquoi ceux qui ont entrevu cette vérité
se hâtent sur le chemin obscur
non tracé, non indiqué, tout intérieur.
À cette déficience, ils trouvent un prix suprême,
elle est leur joie la plus haute,
on ne peut rien en dire
Sinon qu’il faut écarter le tumulte des raisons, des formes, des images,
si l’on veut non pas comprendre, mais connaître cette expérience.
Ceux qui ne se dispersent point reviennent à l’Unité.
Dans l’intimité de l’UN, ces âmes sont pures, sans images, sans figures,
comme libérées du temps et dégagées de leurs limites
et ici je m’arrête
ne trouvant ni fin ni commencement.
J’abandonne le thème à ceux qui le vivent
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Second poème :
Cette âme, il faut qu’elle soit arrachée par l’AMOUR à son être propre
et lancée dans l’abîme d’en haut, agrandie, libérée de ses limites,
élevée par le sentier ténébreux
Le cercle des choses doit se restreindre et disparaître
pour que celui de la nudité, élargi, dilaté
embrasse l’infini.
La noble clarté se manifeste selon qu’il lui plaît :
rien ne sert ici : recherche, intention, raison.
Ce sont choses qu’il faut bannir
pour demeurer à l’intérieur
dans un silence nu, pur et sans vouloir
C’est ainsi que l’on reçoit la noblesse
que la langue humaine ne saurait exprimer
et cette connaissance qui jaillit
toujours nouvelle de sa source intacte.
Cette immensité où vous êtes menés
sans fin et sans retour
ni l’intelligence ni l’intuition, n’y peuvent jeter l’ancre.
Il faut combattre et souffrir mainte peine
pour cheminer sur ce sentier,
mais celui qui gagne et goûte l’Unité de l’AMOUR,
accepte les chagrins et les peines.
Ce qu’on savoure n’est que pressentiment ou désir
jusqu’à l’instant où le bien espéré se révèle.
Il faut devenir aveugle pour n’être plus en péril,
mais qui reste aveugle cherche en vain le chemin de la fête.
Si l’on se montre curieux du monde extérieur
on y perd le sens et l’on se disperse,
et c’est un noble zèle qui nous fait écouter
à chaque instant la voix intérieure.
Acceptez ce qui vous échoit, le froid et le chaud, le doux et l’amer
n’ayez ni colère après l’insulte, ni rancœur après la dérision.
Pour acquérir la connaissance et recevoir la lumière
il nous faut être menés au loin et dilatés au large
par la force de l’AMOUR.
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Troisième poème :
Que tout m’est étroit.
Je me sens si vaste,
c’est une réalité incréée
que j’ai voulu saisir à jamais.
Elle m’a soustraite à mes limites
toute chose m’est trop petite
et vous le savez bien vous qui vivez là
Votre erreur est grave
si vous préférez l’étroit à l’immense.
Dans l’espace infini
l’espérance et la joie sont telles
que l’angoisse vous quitte.
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Quatrième poème :
Ceux qui font hautes études
sans que la Vérité soit dans leur être,
qui savent seulement ce que les livres et la créature leur enseignent,
rien de surprenant qu’ils demeurent dans l’attente et les disputes.
L’intime attention à soi-même
fait oublier et ignorer toute chose du dehors
Triste est la voie par laquelle
on cherche à contenter la créature.
Pour goûter un jour la haute jouissance,
il ne faut point la chercher :
elle est étrangère aux efforts de l’esprit,
aux allées et venues de la pensée.
Pour que la Vérité soit notre demeure,
notre connaissance doit s’élever dans le doute
et monter dans l’incertitude.
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Cinquième poème :
Ce que je désire, je ne peux me le figurer,
prisonnière que je suis du non-savoir
notre esprit ne peut comprendre
ni nos mots traduire
ce qu’il trouve en lui-même
Étrange histoire en vérité
et qui me met en désarroi :
ce qui est caché aux autres
me paraît évident.
Celui qui comprend cette simplicité
est captif dans la prison de l’AMOUR :
jamais plus il n’en pourra sortir !
Mais ils sont peu nombreux ceux qui vivent l’AMOUR jusque-là !
Quelle aventure
que de ne pas entendre, ne pas voir
ce que je poursuis, ce que je fuis
ce que j’aime, ce que je redoute.
J’ai cru naguère posséder quelque chose
mais c’est du tout au rien
que nous chasse l’AMOUR.
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Sixième poème :
Une noble clarté brille doucement en nous
et demande à être accueillie
une étincelle
vie de la vie de notre âme.
Cette révélation au plus secret de nous-mêmes,
que ni notre raison ni nos sens ne peuvent comprendre,
sinon dans le haut AMOUR
transforme ceux qui la reçoivent
L’accidentel et le multiple
nous enlèvent notre simplicité
Si nous nous étions ouverts à cette clarté,
vacants et libres de tout mode,
de toute chose qui s’apprend ou se conte,
nous verrions cette lumière.
Vous vous trompez grandement en cherchant la lumière au dehors
alors qu’elle est en vous et peut totalement vous libérer.
Quelle noblesse que cette libre vacuité
où l’AMOUR abandonne amoureusement tout le reste
et ne cherche rien en dehors de lui-même.
L’Unité de la vérité nue,
abolissant toutes les raisons,
me tient en cette vacuité
et m’adapte à la nature simple
de l’éternelle Essence
Ici je suis dépouillée de toutes les raisons
et beaucoup ne sauraient comprendre
encore moins expliquer,
ce que j’ai trouvé en moi-même.
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