Voici encore un texte remarquable de concision et de stimulation à une pratique juste ,du fameux enseignant des moines de la forêt : AJAHN CHAH (1918-1992). En quelques mots il pose les bases essentielles de la recherche et résume tout l’enseignement du Bouddha en en montrant toute la force pratique bien au-delà des conventions intellectuelles.
Puissions-nous entendre son message et de suite renforcer notre détermination à atteindre le but, bien au-delà de bonheur et malheur !
« Quand nous regardons avec réalisme sans essayer de nous dorer la pilule, nous voyons que ce corps est assez pitoyable et inintéressant : alors le détachement apparaît.
Ce sentiment de désintérêt ne signifie pas que nous ressentons de l’aversion ; c’est simplement que notre esprit voit plus clair et que de ce fait il lâche prise.
Nous voyons que tout est sans substance, que rien n’est sûr, que les choses existent de manière naturelle, exactement comme elles sont.
Même si nous aimerions qu’elles soient autrement, elles continuent à suivre leur cours naturel.
Que nous pleurions ou riions, elles sont comme elles sont.
Les choses qui sont incertaines sont incertaines et ce qui n’est pas beau n’est pas beau.
Le Bouddha a donc dit que, lorsque nous faisons l’expérience de formes,de sons, de saveurs, d’odeurs, de sensations physiques ou d’états mentaux, nous devons les laisser aller .
Quand les oreilles entendent un son, laissez-le passer
Quand le nez sent une odeur, laissez -la passer.(qu’elle reste au niveau du nez et n’aille pas se nicher dans votre tête!)
Quand des sensations physiques sont ressenties, lâchez le « j’aime » ou le « je n ‘aime pas » qui les accompagne et laissez-les repartir de là où elles viennent.
Même chose pour les états mentaux, laissez-les suivre leur cours naturel.
C’est cela connaître et être conscient.
Qu’il s’agisse de bonheur ou de malheur, agissez toujours de même.Voilà ce qu’est la méditation.
Nous méditons pour apaiser l’esprit et permettre à la sagesse de se manifester ;
Cela implique que nous pratiquions avec le corps et l’esprit de façon à voir et connaître la nature réelle des impressions sensorielles que sont les formes, les saveurs, les odeurs,les contacts physiques et les formations mentales ;
En bref ce n’est qu’une histoire de bonheur et de malheur.
Le bonheur c’est une sensation agréable dans l’esprit, le malheur n’est qu’une sensation désagréable.
Le Bouddha nous a appris à faire la distinction entre ces sentiments de bonheur ou de malheur et l’esprit lui-même( Bernard parlerait de l’état témoin à ce niveau).
L’esprit est « ce qui sait », la sensation(ou le sentiment) est la caractéristique du bonheur et du malheur, du « j ‘aime » et du « je n’aime pas ».
Quand l’esprit se complaît dans ces sensations, nous disons qu’il s’attache ou encore qu’il croit que ce bonheur et ce malheur valent la peine que l’on s’y attache.
Cet attachement est une action de l’esprit, alors que le bonheur et le malheur sont des sensations.
Quand le Bouddha nous dit de faire la distinction entre l’esprit et les sensations, cela ne veut pas dire au sens littéral, qu’il faut les mettre dans des endroits différents, mais simplement que l’esprit doit avoir une pleine conscience du bonheur et une pleine conscience du malheur.
Par exemple quand nous sommes assis en samadhi et que la paix emplit l’esprit,si la joie apparaît elle ne nous atteint pas, et si le chagrin apparaît, il ne nous atteint pas.
Voilà ce que signifie faire la distinction entre les sensations et l’esprit.
Nous pouvons comparer cela à de l’huile et de l’eau dans une même bouteille : elles ne se mélangent pas. Même si on secoue la bouteille, l’huile reste de l’huile et l’eau reste de l’eau parce que leur densité est différente.
L’ÉTAT NATUREL DE L’ESPRIT N’EST NI LE BONHEUR, NI LE MALHEUR.
C’est quand une sensation pénètre dans l’esprit que le sentiment de bonheur ou de malheur prend naissance.
Mais si nous sommes attentifs, nous prenons conscience qu’une sensation agréable n’est qu’une sensation agréable.
L’esprit qui est conscient ne va pas s’en saisir pour dire : « je suis heureux ».
La sensation de bonheur est présente mais elle demeure extérieure à l’esprit, elle n’est pas « en » lui : l’esprit a simplement une claire conscience de la sensation.
Si nous séparons le malheur de l’esprit, cela signifie-t-il qu’il n’y a plus de souffrance, que nous ne la ressentons plus ?
Bien sûr que si : nous la ressentons mais nous voyons clairement l’esprit comme l’esprit et la sensation comme la sensation.
Par conséquent, nous ne nous attachons pas à la sensation, nous ne la portons pas avec nous en nous identifiant à elle.
C’est grâce à la sagesse que le Bouddha a pu séparer les choses ainsi.
A-t-il ressenti de la souffrance ? Bien sûr, il a connu des sensations douloureuses mais il ne s’y est pas attaché, il ne les a pas gardées dans son esprit.
C’est pourquoi nous disons qu’il a fait la distinction entre son esprit et les sensations agréables et désagréables.
Quand nous disons que le Bouddha et tous les êtres Réalisés ont tué les pollutions de l’esprit, on ne peut pas dire qu’ils les aient supprimées complètement- sinon il est probable que nous n’en aurions plus.
Ils n’ont pas vraiment tué les pollutions, mais comme ils en connaissaient la nature, ils les ont laissé aller.
Quelqu’un de stupide s’en emparerait, mais les êtres Réalisés ont compris que les pollutions de l’esprit sont un poison, alors ils les ont balayées.Ils ont ainsi évacué la souffrance.
Ceux qui ignorent cela, voyant quelque chose qu’ils considèrent comme bon-comme le plaisir- vont s’en emparer, mais le Bouddha a vu toutes les choses telles qu’elles étaient et il les a purement et simplement balayées.
LE BOUDDHA SAVAIT QUE PUISQUE LE BONHEUR ET LE MALHEUR SONT INSATISFAISANTS : ILS ONT LA MÊME VALEUR.
Quand le bonheur apparaissait, il le laissait passer.Sa pratique était juste car il voyait que ces deux opposés, ont la même valeur et les mêmes inconvénients.Ils subissent la loi du dharma autrement dit ils sont changeants et insatisfaisants : une fois apparus, ils disparaissent.Quand le Bouddha vit cela, la vision juste émergea : la façon juste de pratiquer se fit claire.Quelles que soient les sensations ou les pensées qui lui venaient à l’esprit, il les considérait comme le jeu continu du bonheur et du malheur, et il ne s’y attachait pas.Juste après sa Réalisation le Bouddha donna un sermon sur les extrêmes du plaisir et de la mortification :
« moines : se complaire dans les plaisirs est la voie du relâchement !Se complaire dans la mortification est la voie de la tension »
Ces deux extrêmes avaient perturbé sa pratique jusqu’au jour de sa Réalisation, parce qu’il avait du mal à les laisser aller. Mais après les avoir pleinement compris il lâcha prise et c’est ainsi qu’il put donner son premier sermon.Par conséquent nous disons qu’un méditant ne devrait pas suivre la voie du bonheur ou du malheur : il doit plutôt les connaître pour ce qu’ils sont.Connaissant la vérité de la souffrance, il connaîtra la cause de la souffrance, la fin de la souffrance et la voie qui mène à la fin de la souffrance.Et la voie qui nous libère de la souffrance c’est la méditation.
En termes simples nous devons être attentifs et vigilants.L’attention, c’est connaître clairement, c’est la présence consciente.Que suis-je en train de penser à cet instant même ? Que suis-je en train de faire ?Qu’est ce que je porte en moi ? Nous observons tout cela, nous sommes conscients de la façon dont nous vivons.
Quand nous pratiquons ainsi : la sagesse peut émerger.Nous observons les choses et nous les approfondissons à tout moment , dans toutes les postures.Quand une impression mentale de bonheur apparaît, nous savons ce qu’elle vaut, nous ne la prenons pas pour quelque chose de substantiel : c’est simplement du bonheur.Quand le malheur apparaît nous le reconnaissons également et nous savons que se complaire dans le malheur n’est pas la voie d’un méditant.
Voilà ce que nous appelons faire la distinction entre l’esprit et les sensations.Si nous sommes malins, nous ne nous attachons pas aux différentes sensations et nous les laissons aller.
Nous devenons : « CE QUI SAIT ».
L’esprit et les sensations sont comme l’huile et l’eau ; ils sont dans la même bouteille mais ne se mélangent pas.Même si nous sommes malades ou si nous souffrons, nous savons faire clairement la distinction entre la sensation douloureuse et l’esprit.Nous sommes conscients des états douloureux et de bien-être mais nous ne nous identifions pas à eux.Nous restons seulement avec le sentiment de paix, cette paix qui est au-delà du confort et de la douleur.
Voilà comment vous devez vivre : sans bonheur et sans malheur.
Demeurez simplement avec la claire conscience de ce qui est, et ne portez pas le fardeau des sensations.
Tant que nous ne sommes pas réalisés, tout cela peut paraître étrange, mais c’est sans importance ; nous orientons notre objectif dans cette direction.
L’esprit est l’esprit : il rencontre le bonheur et le malheur, et nous considérons ces deux types de sensations simplement comme des sensations, sans rien y rajouter.Ils demeurent séparés de l’esprit et ne s’y mélangent pas. S’ils se mélangent nous ne pourrons pas les connaître pour ce qu’ils sont vraiment.C’est comme vivre dans une maison : la maison et ses occupants sont liés mais séparés. Si notre maison est en danger, nous sommes inquiets et nous devons la protéger mais,si elle prend feu, nous sortons.De même si une sensation douloureuse apparaît, nous sortons tout simplement. Quand nous savons que l’incendie est là nous sortons en courant.
La maison est une chose et l’occupant est autre chose : ils sont séparés.
(NDLR:quelle dualité massacrante pourraient s’exclamer les papes de la non- dualité, avec le discours ready-made : « tout est un, rien n’est séparé ! » Et oui j’assume ! Et le discours de ce moine, je persiste à le ressentir, est plein de vérité qui rejoint les assertions de tous les êtres Réalisés et je sens qu’il parle depuis son expérience et non depuis une doctrine qu’il appliquerait servilement)
Nous disons que nous séparons l’esprit et les sensations de cette manière mais, en fait, par nature ils sont déjà séparés.Notre compréhension consiste à prendre conscience de la réalité naturelle de cette séparation.Si nous prétendons qu’ils ne sont pas séparés, c’est parce que nous nous y attachons dans notre ignorance de la vérité.
Le Bouddha nous a recommandé de méditer et cette pratique de la méditation est très importante.
SAVOIR LES CHOSES UNIQUEMENT SUR LE PLAN INTELLECTUEL NE SUFFIT PAS.
LA CONNAISSANCE QUI VIENT QUAND ON PRATIQUE AVEC UN ESPRIT PAISIBLE ET CELLE QUI VIENT DE L’ÉTUDE SONT VRAIMENT TRÈS ÉLOIGNÉES L’UNE DE L’AUTRE.LA CONNAISSANCE QUI VIENT DE L’ÉTUDE N’EST PAS UNE VÉRITABLE CONNAISSANCE.
Nous nous y attachons mais pourquoi ? Nous la perdons aussitôt ! Et quand elle est perdue, nous pleurons.
Si nous comprenons vraiment, il y a un lâcher-prise, nous laissons les choses être !
Nous connaissons la nature des choses et nous ne l’oublions pas. Si nous tombons malades nous ne nous perdons pas dans les sensations douloureuses.Certaines personnes disent : « cette année j’ai été tout le temps malade et je n’ai pas pu méditer du tout »Ce sont les paroles de quelqu’un de vraiment stupide.Si on est malade ou mourant on doit être tout particulièrement diligent dans sa pratique.
Certains disent qu’ils n’ont absolument pas le temps de méditer : ils sont malades, ils souffrent, ils ne font pas confiance à leur corps et ils en concluent qu’ils ne peuvent pas méditer.Si c’est ce que vous pensez : ce sera difficile pour vous ; mais ce n’est pas ce que le Bouddha a enseigné.Il a dit que le meilleur moment pour méditer est cet instant-ci, maintenant.
D’autre personnes disent qu’elles n’ont pas l’occasion de méditer parce qu’elles sont trop occupées et je leur demande : « comment se fait-il que vous ayez le temps de respirer si votre travail est si prenant et si agité ? ».En réalité cette pratique concerne simplement l’esprit et les sensations qu’il perçoit.Ce n’est pas quelque chose que l’on doive poursuivre et obtenir à toute force.
La respiration continue pendant que l’on travaille. La nature prend soin des processus naturels :Si nous avons cette présence consciente, quelle que soit notre activité, elle devient l’outil qui nous permet d’être continuellement conscients du vrai et du faux.
En fait il y a beaucoup de temps pour méditer : c’est simplement que nous ne comprenons pas bien la pratique.
Pendant que nous dormons, en mangeant, nous respirons n’est- ce pas ? Pourquoi n’avons nous pas le temps de méditer ? Où que nous soyons nous respirons. Si nous réfléchissons ainsi notre vie prend autant d’importance que notre respiration et où que nous soyons nous avons le temps de méditer.
Toutes les formes de pensée sont des phénomènes mentaux, pas de phénomènes physiques. Donc l’esprit doit être simplement conscient de ce qui se passe.Debout, assis, en marchant et couchés : nous avons beaucoup de temps mais nous ne savons pas l’utiliser correctement : réfléchissez y !
Vous devriez prendre ce que j’ai dit et le contempler. S’il y a des erreurs veuillez m’en excuser. Vous ne saurez que si c’est juste ou si c’est faux que si vous pratiquez et voyez par vous-même. Ce qui est faux jetez le.Si c’est juste prenez-le et utilisez le.En réalité nous pratiquons pour finir par lâcher aussi bien le juste que le faux.Au bout du compte nous lâchons tout ! Si c’est juste jetez le, faux, jetez le !En général si c’est juste nous nous attachons à cette vérité, et si c’est faux nous insistons sur le fait que c’est faux et les disputes commencent.
MAIS DANS LE DHARMA IL N’Y A RIEN : RIEN DU TOUT. »
Extraits du livre : « méditation et sagesse » aux éditions Sully.