Conseils croisés entre un ancien et un jeune chercheur.

 

Certains jeunes chercheurs s’adressent parfois à moi pour me poser des questions et j’ai choisi ci-après un de ces mails pour illustrer une des réponses que je peux faire. Elle n’est jamais bien sûr identique.Selon les individus,selon les moments les choses pourraient être dites de manière totalement différente, avec d’autres détails, mais celle-ci, quelque soit son imperfection et son incomplétude, peut servir de base de réflexion à pas mal de gens.

Bonjour Alain,

X…  semble t’avoir prévenu que j’avais à cœur de te parler, alors je me permets de t’envoyer un petit mail pour introduire la discussion.
Alors je me présente, c’est M…, j’ai 21 ans et je pratique donc dans le groupe Zen de ….
J’ai commencé ce qu’on appelle formellement une « recherche spirituelle » aux alentours des 18 ans devant l’impasse de cette modernité qui est incapable de donner aux jeunes comme moi le moindre fragment de bon sens !! Comment être heureux ? Pourquoi la souffrance ? « Démerde toi ! » Alors il faut rechercher par soi-même !
Quand j’ai rencontré X…, voyant mon enthousiasme pour la voie, il m’a assez rapidement parlé de… Bernard Harmand. Évidemment, j’ai dévoré les audios et les livres, un certain nombre de fois….
Quel Amour !!!
Bon… tu le sais ça !!
Fan absolu de RAMANA aussi…
Mais si je devais me présenter en une phrase, je suis surtout passionné par… La vie tout court !!
Alors je te contacte parce que je suis très curieux par rapport à toi. Et pour commencer j’ai une question:
Comme tu le sais une des questions que tu as toi-même posé à Bernard Harmand au début (et je cite de tête) « Quel conseil donnerais-tu à un jeune de 20 ans qui viendrait te voir ? »
Je connais la réponse de Bernard….
Mais je veux la tienne !! Après toutes ses années à le côtoyer…
Quel conseil tu donnerais à un jeune de 21 ans qui viendrait te voir ? Sur la recherche bien sûr !!!
Avec tout mon respect !
M….

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Bonjour cher M …

Un peu surpris au début par le tutoiement alors que l’on ne se connait pas, mais rassure- toi : pas du tout offensé. Les règles élémentaires de communication, elles aussi, semblent impermanentes et changent avec le temps.
Je ne te répondrai pas cependant sous forme de rap car quelle que soit ma capacité d’adaptation, je suis resté à certaines formes qui, je l’espère, ne sont pas trop surannées pour un jeune actuel.
Quels conseils donnerais-je à un jeune de 21 ans ?
–La première chose que je dirais, c’est que c’est une époque pas très facile et à bien des niveaux, pour un jeune de cet âge !
 Je désire signaler d’emblée qu’en disant cela, je tiens absolument compte, du décalage générationnel normal à chaque époque. Il est toujours trop facile de se réfugier dans le fameux: « C’était mieux avant ! ». Je considère cependant, ceci étant dit, que nous sommes dans une période de plus en plus décadente sur certaines valeurs et que tout est passé à la moulinette de cette décadence : y compris le « spirituel ».(suffisamment d’articles de mon blog illustrent cette évidence !).
Ne vois dans cette prise de position aucun passéisme nostalgique, aucun désabusement, mais simplement un constat de CE QUI EST.

Le premier conseil que je donnerais et qui peut étonner c’est :
Protège- toi sérieusement des négativités de l’époque dont certaines heureusement sont évidentes et visibles mais dont malheureusement la plupart sont enrobées dans un emballage mensonger et séducteur.
Sans être parano, ni conspirationniste, notre époque nécessite UN ÉNORME DISCERNEMENT, d’autant plus difficile à établir que le flot des informations de toutes sortes déferlent .

Plus la quantité augmente, plus la qualité baisse, voir à ce sujet l’excellente démonstration de René Guénon dans son livre : « Le règne de la quantité et les signes des temps. » livre paru en 1945 mais aux accents prophétiques et qui demeure d’une brûlante actualité.
Donc priorité absolue de protection de soi-même dans la beauté et l’ardeur de sa recherche et triage des infos avec un discernement à toute épreuve, pas toujours facile à installer chez un jeune qui n’a pas encore assez lu, ni vécu.
-En corrélation avec le point précédent, nécessité absolue de se nourrir d’informations de valeur, transmises par des «anciens» vivants ou morts(par leurs écrits et dires ) et nécessité d’une énorme humilité, qui d’ailleurs s’installe d’elle-même chez un vrai chercheur, qui comprend de toute évidence que plus il progresse : moins il sait de choses 
Humilité qui manque à énormément de personnes de notre époque, ! J’ai souvent assisté à des discours enflammés et emphatiques de jeunes(et autant de moins jeunes!) qui t’assènent des discours et des vérités qu’ils considèrent comme absolues, sans même se rendre compte qu’ils ont à côté d’eux une personne qui connait et pratique dans ces domaines depuis longtemps et que peut-être cela pourrait un peu enrichir leur vision, voire leur éviter quelques erreurs le long du parcours. Cela m’est encore arrivé récemment avec un restaurateur bio qui m’a déversé des inepties sur les régimes alors que je pratique un peu ces domaines depuis 55 ans . Mais à aucun moment il ne m’a demandé mon avis, car l’essentiel pour lui était de débiter sa vérité de façon « masturbatoire »

Pour ces gens, l’autre n’existe pas et seul le plaisir de parler et de se valoriser compte.
Maintenant, le plus souvent, je reste incognito et  et n’ouvre même plus la bouche car au fond les gens ne veulent pas apprendre mais surtout débiter leurs certitudes à des oreilles complaisantes, dans une sorte de réassurance narcissique.
il suffit d’observer la plupart des débats actuels à la télévision pour se rendre compte que le temps n’est plus à l’écoute attentive , respectueuse et au PARTAGE, mais à l’affichage violent et péremptoire d’opinions exacerbées.
Comme je le dis souvent, en souriant, mais c’est à peine exagéré : il y a maintenant plus de thérapeutes que de malades, plus de gurus que de disciples : cherchez l’erreur !
Chacun s’instaure en spécialiste et la force de l’affirmation est bien souvent inversement proportionnelle à celle de la qualification et de la compétence.
Il y a donc une nécessité importante à faire de belles rencontres, qui permettent de recevoir une transmission de certaines informations éprouvées par des générations de chercheurs sérieux.

Mais là encore les pièges sont immenses car la qualification et la compétence n’ont bien souvent aucun rapport avec les titres, et c’est même parfois le contraire !
D’où l’ineptie actuelle par exemple des règles de Dogen sur le taïko (règle qui stipule que l’on doit automatiquement obéissance et déférence à un moine qui a plus que 5 ans d’ancienneté que soi-même) .

Quelqu’un qui est con même avec 25 ans ou plus, d’ancienneté, reste un con.
J’ai trop souvent vu des gens qui transmettaient plus leur ego que l’essence de la Voie. Donc là encore un énorme discernement est nécessaire car il y a des richesses insoupçonnées qui se cachent dans d’humbles masures en terre sèche et des inepties égotiques qui se tapissent et foisonnent dans des temples en or !
Une fois de plus dans ce domaine on est confronté au paradoxe des réponses contradictoires qui sont d’ailleurs l’essence même d’une recherche : d’un côté on parle de la nécessité d’être soumis humblement à une transmission et de l’autre on met en garde contre tous les abus de la transmission qui nécessite une grande liberté et autonomie. Ce paradoxe renvoie au maître mot qui est DISCERNEMENT.
L’important est donc : de justes rencontres  de personnes, de livres, qui peuvent d’ailleurs être conseillés par ces personnes.
Développons également notre intuition profonde qui peut nous aider à déjouer les pièges multiples. L’important est de se situer hors des positionements extrêmes: l’un consistant à gober ce que chacun nous dit sans discernement, l’autre étant de penser qu’on a la science infuse et que personne ne peut rien nous apprendre .
-Le chercheur sérieux va peu à peu comprendre qu’en fait :
IL DOIT SE VIDER COMPLETEMENT DE LUI-MÊME , DE SON PETIT EGO POUR LAISSER RENTRER A FLOT LA LUMIERE.
ON NE PEUT FAIRE RENTRER LA MER DANS UNE PETITE TASSE.

Il y a donc de toute évidence, pour la plupart, une très longue période de purification qui est nécessaire car c’est paradoxalement un ego bien construit, équilibré qu’il faut offrir, pas notre ego de merde.
Et je parle souvent de cet énorme paradoxe que la voie consiste à passer sa vie à construire un truc qu’il va falloir lâcher, mais on ne peut éviter le détour, c’est cela même qui est l’objet de la sadhana. je rappelle souvent à qui veut l’entendre que les hôpitaux psychiatriques sont plein de gens qui n’on pas d’ego bien structuré ! Grand mystère à toujours méditer.

Dans ce domaine il est important de préciser, qu’il y a en ce qui me concerne, une intrication totale entre recherche spirituelle et connaissance de soi, travail thérapeutique sur soi.
Trop de gens privilégient l’une au détriment de l’autre et risquent ainsi de verser dans une  « toxicomanie » effrénée de la recherche spirituelle pour éviter le travail sur ses névroses ou alors dans une recherche à vie sur les mécanismes névrotiques sans jamais aborder à l’essentiel qui est toujours au-delà. Mais là encore paradoxalement l’au-delà ne peut être atteint que si on a nettoyé un minimum l’en deçà !

Résumons-nous : Protection, discernement, réception de la transmission à travers de belles et justes rencontres et des livres, purification et « at last but not least »
-LA SOLITUDE DU CHERCHEUR, pas la solitude romantique du calimero ou à l’inverse de celui qui a seul raison parmi d’autres.
Que l’on se trouve la plus grosse merde ou le génie incompris c’est exactement à la source, la même démarche de l’ego, inversée.
Non ! On est seulement « un parmi d’autres » humblement, mais en même temps ON EST UN MODELE UNIQUE, d’où la nécessité d’un parcours spécifique.
AUCUN CHERCHEUR N’AURA LE MÊME PARCOURS, n’aura besoin des mêmes outils , au même moment.
Tout ceci suppose une énorme liberté, qui là encore n’est pas celle d’un ego complaisant mais qui est indispensable pour assurer une progression véritable sur la voie.

Cette liberté doit toujours être en rapport avec LA VISION DE CE QUI EST SANS CHOIX NI REJET .
Cette vision impartiale de CE QUI EST à chaque instant va permettre au chercheur automatiquement, inconsciemment et naturellement, d’adapter sa recherche aux exigences de la voie et non de l’embourber dans des conventions rigides qui l’étoufferaient petit à petit s’il n’y prenait pas garde.

L’ÉNERGIE OU LA PASSION DE LA RECHERCHE RÉSIDENT DE TOUTE ÉTERNITÉ DANS LE CŒUR DU CHERCHEUR ET N’APPARTIENNENT PAS AUX STRUCTURES, FUSSENT-ELLES LES PLUS PRESTIGIEUSES, AUXQUELLES IL ADHERE À UN MOMENT OU L’AUTRE DE SON PARCOURS !
C’EST EXACTEMENT COMME L’AMOUR, IL EST DANS NOTRE CŒUR ET Y RESTE MÊME QUAND L’ÊTRE AIMÉ DISPARAIT POUR UNE RAISON OU UNE AUTRE.
Je donne souvent cet exemple que ma passion de la recherche était la même quand j’étais enfant de cœur pour aller servir la messe tôt le matin quand j’avais 12 ans, que celle qui me poussait à aller ouvrir la porte du dojo à 6h du matin pendant plus de 20 ans, qu’il pleuve ou qu’il neige, que celle qui m’a poussé à écrire deux livres sur Bernard et que celle qui est en train de m’animer pour te répondre.

AYONS DONC TOTALEMENT CONFIANCE EN NOTRE RECHERCHE ET N’HÊSITONS PAS À CERTAINS MOMENTS À PRENDRE LES DURES DÉCISIONS QUI S’IMPOSENT, SI C’EST POUR L’ AMOUR DE CETTE VOIE, DE CETTE RECHERCHE.
IL EST NÉCESSAIRE D’ÊTRE TOUJOURS EN ACCORD PROFOND AVEC SOI-MÊME PAR RESPECT POUR CETTE MERVEILLE QU’EST LE CHEMINEMENT VERS L’AU-DELA DU PAR DELÀ

 De tout cœur
                                                                                      Alain
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Suite à cette réponse, j’ai ressenti la réaction suivante que j’ai transmise de suite à M…. et il m’a envoyé sa réponse que j’insère car elle me semble fondamentale et très mature à une époque où la transmission de toute spiritualité véritable demande à chacun de s’investir totalement et avec coeur pour surmonter les difficultés multiples qui se présentent.

Cher M…
Je viens de prendre conscience subitement qu’en parallèle avec ta demande, j’ai envie de t’envoyer la même requête de mon côté qui pourrait se formuler ainsi
« Qu’est-ce que tu dirais à un vieux, un ancien. Et plus particulièrement qu’est-ce que tu attends des anciens qui pourrait t’aider dans ton cheminement ? »
Je suis persuadé que le respect des anciens(s’ils le méritent) est fondamental mais je suis également persuadé que l’écoute des jeunes par les anciens n’est pas assez pratiquée. La vie m’a appris qu’au-delà de tout populisme, et de toute démagogie de bas étage, la RELATION inclut toujours deux parties qui ont leur égale importance et que chacun apporte autant à l’autre sous une forme différente.
Pour résumer ma question : quels conseils donnerais tu à un ancien pour aborder un jeune chercheur, qu’attends-tu d’un ancien ?
Alors à toi de bosser, j’attends ta réponse
De tout cœur                                                                          
Alain

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Bonsoir Alain,

Merci pour ta question !
Voici ma réponse.
Je pense que la première chose fondamentale que j’attendrais d’un ancien, c’est la lucidité de voir l’expérience humaine dans sa totalité.
Je trouve que beaucoup d’enseignants occidentaux se réfugient dans une sorte de « spiritualité de l’absolu » en mettent de côté tout le reste. Sous prétexte que tout est parfait dans la réalité ultime on se permet d’avoir des mauvais comportements, et de ne pas prendre au sérieux les recommandations des êtres réalisés sur la nécessité d’avoir en parallèle une vie harmonieuse, dans le relatif. J’ai entendu il y a quelque mois un de ces néo-vedantins répondre à une question par rapport aux drogues en disant que « l’addiction aux drogues n’est pas un problème si nous ne sommes pas identifiés, de toute manière nous ne sommes pas le corps » Alors on s’en fout quoi ! Le manque de discernement est juste énorme.

Il me semble donc pour résumer que la première qualité que j’attends d’un ancien chercheur c’est cet « accord dans le vécu » avec la littérature spirituelle traditionnelle, quelle que soit l’école.

Je pense que pour un jeune chercheur sérieux c’est important, ça permet un ancrage. En tout cas je parle pour moi. Ça paraît peut être anodin, mais chez beaucoup d’enseignants, cette qualité est absente.

Ensuite je dirais que j’attendrais une certaine ouverture de la part de l’ancien. Un regard neuf qui permettrait de se mettre à la place d’un jeune. Entre naître en 2000 et naître en 1960 par exemple, c’est le jour et la nuit, ça n’a rien à voir dans notre période moderne, les choses ont tant changé (et pas en bien.)

Dans certaines structures, le lien générationnel est juste rompu, les vieux restent dans leur coin en refusant de voir la nécessité de s’adapter, alors les jeunes cherchent naturellement ailleurs et c’est dommage parce qu’une transmission se perd.
Donc ouverture d’esprit mais aussi on pourrait dire : écoute, compassion, bienveillance. J’attends d’un ancien quelqu’un sur qui on peut compter. Comme dirait Ramana, cette capacité à être « inébranlable »
Qu’on puisse nous les jeunes, poser nos questions de recherche en toute liberté, sans avoir peur être jugé ou critiqué. Je pense aussi qu’on a besoin de sentir une disponibilité (à l’échange) de la part de l’ancien dans ce monde où tout le monde est de plus en plus isolé.
C’est très important les livres, cela dit j’ai quand même le sentiment que les rencontres avec des gens vivants peuvent vraiment être décisives dans la recherche.(que ça soit par le biais de mails ou en chair et en os)

En troisième point, comme je l’ai évoqué: la transmission. Malgré le fait qu’une certaine adaptation est peut être nécessaire avec l’écart générationnel (de la part des deux parties), un jeune chercheur reste chercheur et l’excès de simplification et de vulgarisation peut aussi être une entrave. Se dire que « puisqu’ils sont jeunes on va tout simplifier » n’est forcément pas correct. Mais évidemment, c’est au cas par cas.

Pour finir, et au risque de faire un peu pompeux et ce n’est pas grave parce que c’est ce que je ressens vraiment quand je lis ta question:

Pour résumer, un jeune comme moi attendrait trois choses d’un ancien: Transmission, Amour et Sincérité.

De tout cœur,

M.

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PS : J’ai reçu assez rapidement des retours très positifs sur cet article, dont celui de mon ami Jean Marc Vivenza que je mets ci-après :

Excellent exercice de pédagogie spirituelle ! Il est intéressant de noter que le jeune chercheur fait de l’exemplarité la vertu première et le critère même de la réalité et de la valeur de l’enseignement….
On peut comprendre cette attente pour une génération qui baigne depuis l’enfance dans les scandales des faux-gurus, les multiples déviances des voies traditionnelles orientales importées en occident, et l’effondrement des institutions chrétiennes non exemptes d’abominations morales…

 

Suite à cet article il est vivement recommandé de lire l’article suivant intitulé : Rectification importante concernant les conseils à un jeune chercheur.
En effet j’ai fait ce nouvel article suite à des réactions de Bernard et d’un de ses proches, au présent article.