Bernard dans cet entretien que j’ai eu avec lui va une fois de plus briser nos attentes ainsi que les conventions et croyances spirituelles bien établies. Je dois même dire que ce passage peut être très dur à entendre pour des gens qui ont des certitudes inébranlables. Nous voulons tellement que tout ait un sens, ce sens fût-il artificiellement établi par notre besoin constant d’être rassuré. Et pourtant c’est ce non-sens apparent qui redonne tout son sens justement à la seule valeur qui vaille : L’Amour véritable.
A.: Je voulais te poser une question par rapport à quelque chose sur quoi tu reviens souvent et qui m’a un peu bouleversé au départ : c’est quand tu dis, parlant de la vie : “Tout ça c’est pour rien ! »
B.: Ah oui, cela défrise quand on l’entend n’est-ce pas ? (Rires)
A.: Voilà ! Je voulais t’entendre parler un peu autour de cela. Parce que, dans un premier temps, ça nous décontenance tous en effet.
B : Normal !
A.: Parce qu’au fond, l’être humain et moi en l’occurrence, j’ai besoin d’un sens pour pouvoir continuer à vivre.
B.: Oui tout le monde est ainsi, parce que tout simplement c’est ce que l’on nous a appris.
A.: Je désirais que tu parles un peu autour de cela. Qu’est-ce que ça veut dire pour toi: « Tout ça c’est pour rien ! » ?
B.: Heureusement que c’est pour rien : comme le véritable Amour. Si tu aimes pour quelque chose ce n’est pas encore de l’Amour. Mais, c’est normal, c’est l’être humain ça…(Pause) J’insiste sur le « pour rien », parce que l’on est habitué dans notre société, dans le monde, dans l’être humain, à faire toujours quelque chose « en vue de ». Ce qui est normal d’ailleurs. C’est normal parce que l’on a pris cette mauvaise habitude. L’individu fait toujours quelque chose en vue de devenir. Alors tu demandes, pourquoi le monde et quel est le but du monde ? Il n’y en a pas ! Mais une fois de plus c’est moi qui dis cela à partir de mon expérience : tu peux de ton côté penser ce que tu veux. Il ne faut surtout pas adhérer, je le répète sans cesse. Moi, je parle de mon expérience, de ce que j’ai vécu, de mon chemin. Je ne dis pas cela pour qu’on me croie. Il faut sans cesse le rappeler tellement les gens sont habitués à parler pour convaincre. Donc pour que le monde ait un but il faudrait qu’il ait conscience d’être. Ce qui n’est pas le cas. Il n’y a que toi qui puisse dire : « j’existe ». À aucun moment le monde ne peut dire « j’existe ».
Comme disait Ramana : « Si Dieu et le Monde sont réels, ils doivent être présents dans le sommeil profond. » Ce n’est pas le cas. Dans le sommeil profond il n’y a rien, même pas la conscience d’être et pourtant on n’est pas mort. Tout ça pour dire que le monde ne peut pas avoir un but parce qu’il ne sait même pas qu’il existe. La conscience d’être te concerne toi, simplement. C’est parce que tu es que le reste peut apparaître dans le champ de la conscience, au réveil le matin. Je ne vais pas m’étendre là-dessus puisque l’on parle surtout du « pour rien », et bien c’est ça. C’est pour rien tout ça, heureusement. S’il y avait un but ça voudrait dire que le monde a conscience d’être, comme s’il y avait un grand intellect qui gère tout cela, qu’on l’appelle Dieu ou de quelque autre nom. Quelle est ton expérience de ça ? Il n’y en a pas !
On peut broder autour et puis faire mousser autant que l’on veut. Il n’y a pas un grand personnage qui gère quelque chose, et puis heureusement, parce qu’il me ferait mal n’est-ce pas. J’aurais deux ou trois mots à lui dire comme je le dis souvent. (Rires)
Ah que oui ! Si Dieu existe j’ai deux trois trucs à lui dire ! Pour le moment, on en parle à la télévision et partout comme si c’était vrai quand même. Mais ce n’est qu’un simple concept ! Je ne comprends pas comment j’ai pu adhérer à cela…mais que veux-tu !
Si Dieu existe, il est là. Ce qui existe est là. On n’a pas besoin de croire que l’on existe pour exister. Pour que Dieu existe, il faut adhérer au concept, à l’idée qu’il pourrait exister en fait. Donc, c’est un concept. Ce qui existe est là. Tout est là au même endroit. Donc c’est évidemment pour rien. Comme le véritable Amour. Si les gens arrivaient à s’aimer tels qu’ils sont, et non pas comme ils voudraient que soit l’autre… Cela fonctionnerait. Mais ce n’est pas le cas, parce que l’être humain est fragile, tout simplement. Il n’y a pas de chose anormale là-dedans. Le Soi ou la Nature de Bouddha est éternel, (là aussi c’est un mot) mais quand on le Réalise, c’est ça : Amour-Bonheur-Êtreté, (j’aime bien l’appeler comme ça), Ensuite en se manifestant il donne un individu avec des sens, et de l’amour mais fragile parce que temporaire. C’est parce que c’est temporaire que ça ne nous convient pas. Si tu ne trouvais pas tout temporaire tu ne serais même pas là. Si le corps était éternel, on ne se poserait même pas de question. Donc le « pour rien » : c’est ça. J’aime bien évoquer Élisabeth et son « Amour pour rien », évidemment. Bien qu’elle soit morte à vingt-six ans, c’est un Amour total, fou, pour rien. Tout ce qui est vrai est gratuit, n’est-ce pas ? C’est pour rien. Ça me fait des frissons à chaque fois ces choses-là !
A.: Quand on est dans le Soi, que l’on a Réalisé, est-on bien sûr que rien ne nous échappe, n’y a-t-il aucun doute ? Comment peut-on être sûr qu’il n’y a rien derrière tout cela, que le monde n’a pas un sens ?
B.: Tout ce dont je parle là vient de mon expérience et non d’une croyance.
A.: Tu es sûr de ton expérience et de sa permanence ?
B.: Bien sûr qu’elle est permanente, elle n’est certes pas impermanente ! C’est la Réalisation : que les bouddhistes appellent : Éveil (moi je n’aime pas ce mot là pour des tas de raison.) Je lui préfère le mot : Réalisation parce l’on réalise en fait : que l’on n’est pas cette forme particulière, qui pour nous est l’individu. L’identification à une forme particulière de vie, tombe. C’est définitif et certain. Et le mot certain est même encore trop faible. Je te le souhaite si tu es déterminé il n’y a pas de raison de ne pas Réaliser, ce n’est pas possible pour moi. C’est mon langage, à moi : mais celui qui ne va pas au bout qui ne trouve pas, c’est qu’il n’avait pas la passion nécessaire.
Cette affirmation du « pour rien » choque beaucoup de monde car elle touche des zones très profondes en nous, c’est ainsi qu’une autre fois une chercheuse est revenue sur ce point avec Bernard, qui au passage a fait une nette distinction entre chercheur et individu : j’en donne ci-après la transcription :
A.: J’aimerais bien quand même revenir sur la question qui a été posée par rapport à cette phrase que j’ai lue moi-même dans les livres : « on est là pour rien » et ça m’a beaucoup choqué parce que le fait que vous soyez là et que vous ayez fait cette recherche et que vous soyez Réalisé, prouve bien que c’est le sens et le but de l’incarnation à vrai dire !
B.: Non, même pas ou il faudrait que cette Réalisation soit pour tout le monde, ce qui n’est pas le cas puisque de fait il y en a plein qui ne Réaliseront pas.
NDLR : Ce point est important et peut prêter à confusion puisque Bernard dit souvent et à juste titre que la Réalisation c’est pour tout le monde. Il dit cela dans le sens évident où la Réalisation n’est pas réservée à une élite spirituelle ou autre et qu’elle peut advenir « potentiellement » chez chacun. Mais il est non moins évident que très peu d’êtres humains Réalisent de fait et c’est une constatation d’ailleurs relevée par Nisargadatta à maints endroits.
A.: Mais tous les chercheurs par définition sont en recherche donc c’est à mon avis le sens de la vie
B.: Si on veut lui en donner un, mais la vie ne nous en demande pas de sens en fin de compte. Mais on peut lui en donner un. Dans le mode absolu il n’y a pas un sens particulier. Le but ce n’est même pas de Réaliser puisque ce n’est pas pour tout le monde.
A.: Oui mais on en sent la nécessité pourtant !
B.: Alors là, moi je ferais une différence entre l’individu et le chercheur, ça peut paraître bizarre, ce n’est pas une ségrégation mais le chercheur n’est plus vraiment le même, il veut autre chose que ce que lui propose le monde donc il en est sorti pour moi. Ce n’est pas une différence de qualité ou de quelque chose de cet ordre, c’est simplement qu’il veut autre chose. Alors à partir de là, lui il va avoir un but, peut-on dire, mais parce qu’il la désire cette Réalisation.
A.: Mais d’où vient ce désir ?
B.: Du fait d’être ! Le fait d’être se manifeste à nous sous la forme de l’individu, donc une vie particulière mais il ne provient pas de nulle part et le chercheur va le voir de plus en plus. Je ne suis pas ce qui apparaît, je suis ce qui constate l’apparition.
A.: Mais pour cela il a bien fallu s’incarner, il faut être un être humain pour justement ressentir cette nécessité-là ! Si je n’étais pas née je ne ressentirais pas cela, comme tous les gens qui sont ici, donc l’incarnation est une nécessité pour pouvoir…enfin une création est nécessaire…
B.: Non, ce que vous dîtes là est vu de l’autre côté en fait. Et c’est parce que vous éprouvez le besoin de justifier le fait que vous soyez là sur terre. Mais il ne fallait pas venir ! Pas vu, pas pris ! (Rires) Et oui il ne fallait pas venir comme disait Coluche.
A.: On a décidé de venir.
B.: Mais non ! Ça aussi c’est une ânerie ! « On n’en a aucun souvenir mais c’est soi-disant nous qui avons demandé à venir sur la terre » : foutaise que tout cela ! Quelle est votre expérience de cela ? Votre expérience c’est que vous n’avez rien demandé. A aucun moment. Moi si on m’avait soumis un papier avec un contrat stipulant « Vous allez venir sur terre, être embêté sans arrêt, avoir des problèmes, souffrir et en fin de compte mourir, signez au bas » j’aurais refusé d’emblée ! Qui irait signer un truc pareil ? (Rires) Franchement…
A.: Oui mais après, on en aura une meilleure de vie. (En souriant)
B.: Ah oui ça c’est la carotte. Moi je n’en veux pas. Pas question de conditions, non.
A.: Et bien c’est ce que l’on nous dit tous les jours cela ! Il faut faire des progrès sur terre et après au bout de multiples vies on va revenir s’incarner et cette vie-là sera une vie de Réalisé !
B.: Est-ce que je dis cela moi ? Non ! Certainement pas ! Je suis en train de parler de mon témoignage là ! Après on parlera d’autre chose, mais là je parle de mon vécu et ça n’existe pas pour moi tout cela.