Eric Baret
Agé de 16 ans, Eric Baret est touché par sa rencontre avec celui qui fut considéré comme un maître de sagesse : Jean Klein. Il en devient l’élève assidu et explore la tradition non-dualiste du shivaïsme cachemirien. Quelques années plus tard, il voyage en Inde à la rencontre de grands sages comme Ramana Maharshi et Ma Anandamayi. Il vit à Londres pendant 10 ans. Passionné d’art oriental, il est aussi un auteur prolifique. Se prétendant pourtant « sans études ni culture », Eric Baret partage aujourd’hui sa perception du réel, lucide, pétrie de philosophie non-duelle dont il émane une paix profonde.
« Il n’y a rien que j’enseigne essentiellement. Je partage mon non-savoir. Il s’agit d’un échange, d’une sorte d’exploration de la vie qui peut prendre des formes se rattachant à certains éléments traditionnels comme celle du shivaïsme du Cachemire. »
On aura compris en parcourant ce site à quel point l’AMOUR y a la place essentielle. Il s’exprime dans les paroles de Bernard, d’Elisabeth de la Trinité et de tant d’autres .Lorsque l’on parle d’Amour je l’ai déjà dit maintes fois, ce mot est tellement galvaudé qu’il est préférable souvent de préciser ce que l’Amour n’est pas, pour approcher son mystère. Chacun en parle à sa manière et je désirais cette fois-ci faire partager, ce qu’en dit à un moment Eric Baret, lors d’un échange sur le shivaïsme du cachemire en 2024. Il s’agit d’une réponse spontanée à la question d’un participant.
Ceux qui ne connaissent pas les écrits d’Éric Baret, vont sûrement être un peu surpris par le côté tranchant et direct de la réponse qui ne fait pas de concession aux sirènes sirupeuses du siècle. Eric par sa vision honnête de CE QUI EST, bouscule quelques certitudes et croyances établies, mais c’est selon moi très roboratif. Chacun se fera son idée, mais il me semble qu’au-delà des différentes formes d’expression, on en revient toujours quel que soit l’enseignant, à ce diamant brut de L’AMOUR, qui est au-delà de l’amour et de la haine et qui est le support de toute vie.
Question : je vous ai entendu dire plusieurs fois que le fait de vouloir être aimé était quelque chose de bizarre…
Eric Baret : « Oh ! Ce n’est pas bizarre mais c’est triste et surtout c’est malheureux, parce que tant que vous allez vouloir être aimé, vous allez vous sentir mal-aimé. C’est effectivement une espèce d’infantilisme.
Quand les gens ne vous aiment pas, ils projettent quelque chose sur vous, mais ne vous mettez pas vous-même à projeter des choses sur l’autre.
Quand vous dîtes à quelqu’un je t’aime, vous ne l’aimez pas, vous faites simplement une projection et puis après une dizaine d’années vous allez peut-être dire : « je ne t’aime plus ». Pourtant la personne n’a pas changé, mais votre projection a changé. Alors effectivement quand vous avez un minimum de respect pour la fonctionnalité de la vie, vous ne pouvez plus tomber amoureux, vous ne pouvez plus aimer quelqu’un ou ne plus l’aimer. L’Amour est sans fin Vous savez, il y a des gens qui disent : « je n’aime plus cette personne, je n’aime plus ma femme. Mais qu’est ce que cela veut dire ? Ils n’ont jamais aimé en fait Quand on aime quelqu’un c’est éternel. On ne peut pas ne plus aimer, on peut ne plus coucher avec quelqu’un, ne plus voyager, mais on ne peut pas ne plus aimer quelqu’un.
Avoir éventuellement l’idée : « j’aime telle personne » c’est respectable, c’est un jeu comme un autre, mais ça s’appelle une projection. Mais la projection déçoit toujours, car quelle que soit la situation, elle ne sera jamais exactement ce que je projette.
Il y a des gens qui sont déçus en amour, mais c’est une maladie. On ne peut pas être déçu en amour mais on est déçu en ego. C’est l’ego qui est déçu, ce n’est pas l’amour. Quand on aime quelqu’un on l’aime, que la personne couche avec vous ou avec quelqu’un d’autre, on l’aime. Vous aimez un enfant, vous l’aimez quoiqu’il fasse. Il devient criminel vous l’aimez, il devient un saint homme, vous l’aimez encore.
CE N’EST PAS CE QUE FAIT QUELQU’UN QUI FAIT QUE VOUS L’AIMEZ OU NON.
Si ma femme couche avec le voisin et que je ne l’aime plus, ce n’est pas de l’amour. C’est respectable si les gens sont satisfaits avec ce genre de fonctionnement, on est contents pour eux mais le mot amour n’a pas sa place.
L’AMOUR C’EST UN DON, VOUS DONNEZ, VOUS NE DEMANDEZ PAS. Il n’y a pas de notion de réciprocité en amour.
Si je ne couche pas avec la voisine, tu ne couches pas avec le voisin : ce n’est pas de l’amour c’est du commerce, c’est tout à fait respectable mais le mot amour n’est pas présent. Quand vous aimez quelqu’un, vous l’aimez, qu’il reste avec vous, qu’il s’en aille, qu’il couche avec le voisin. Cela ne peut pas être autrement sinon c’est grotesque.
On peut donc dire effectivement que l’amour de quelqu’un c’est quelque chose qui passe dès qu’il y a un fond de maturation.
Je dois voir que la jalousie vient de l’ego. On ne peut pas être malheureux en amour mais on peut-être malheureux en ego. La jalousie est un poison. Ce n’est pas une critique : on passe tous par-là, mais je dois voir que quand je suis jaloux c’est la manière la plus pathologique qui parle Je dois mettre de côté le mot amour. C’est déjà énorme d’être honnête. Si quelqu’un dit, je suis déçu en amour, je suis triste : non ! L’AMOUR C’EST LA JOIE. ON NE PEUT PAS AVOIR UN AMOUR MALHEUREUX.
L’amour ne demande pas, quand vous aimez quelqu’un vous donnez tout et vous ne demandez rien . Alors la situation est harmonieuse. C’est ce que l’on fait avec un enfant, vous lui donnez tout et vous ne lui demandez rien, vous ne lui demandez pas qu’il vous remercie, c’est votre rôle.
Donc le besoin d’être aimé est respectable, mais c’est une forme de pathologie, parce que cela n’a jamais marché, quelle que soit la personne, vous allez dire à un moment : « Mais finalement elle pourrait m’aimer plus. ».
Ne demandez rien aux gens avec qui vous avez des liens intimes, donnez tout et vous verrez alors combien les relations humaines sont faciles. Celui qui demande vit sa misère constamment, car il ne sera jamais satisfait. Et après il va se sentir en échec . Il y a des gens qui pensent que le divorce est un échec. Mais non, le divorce n’a pas à être un échec, si j’arrête de fantasmer que le mariage est une réussite. Quand j’arrête l’imbécillité du mariage heureux, je n’ai plus en contre poids la vision dramatique. Tout est heureux. Parfois on se marie , parce que c’est fonctionnel, il y a une résonance pratique, financière. Puis au bout de quelques années c’est fini, l’AMOUR RESTE mais le mariage s’arrête. Le divorce doit être heureux. On peut être heureux , sur un certain plan, que quelqu’un retrouve sa liberté : voilà ! Cela s’appelle la vie ! Ce n’est pas un échec. Mais si j’ai le fantasme que mon mariage est une réussite, alors bien sûr mon divorce sera un échec. Le mariage et le divorce sont des concrétisations financières, juridiques, ça n’a pas à être un état affectif. C’est une absurdité. Il y a peut-être des raisons au niveau sociétal, mais cela est autre chose. Que l’état favorise certaines choses, c’est respectable. Mais nous ne nous plaçons pas à ce niveau. Je ne m’occupe pas du point de vue de l’état et de ce qui est juste pour le code civil, et qui a sa raison d’être bien sûr. Je me place à un niveau plus profond de disponibilité à LA VIE. Dans cette disponibilité, je ne suis ni marié à quelqu’un, ni divorcé de quelqu’un. Cela ne veut rien dire. Il n’y a que mon notaire qui sait avec qui je suis marié, avec qui je suis divorcé, mais moi je ne sais pas, ça ne veut rien dire, ça n’a pas de sens.
Ce n’est pas parce que l’on aime quelqu’un que l’on se marie.
Ce n’est pas parce que l’on n’aime plus quelqu’un que l’on divorce.
Tout cela est stupide.
LA BASE : C’EST L’AMOUR OÙ L’ON DONNE TOUT.
Ensuite selon la situation, vous vous mariez ou pas, vous partagez la vie commune ou pas, ce sont des détails sans importance. Vous suivez simplement ce qui est naturel, mais c’est léger , les relations humaines sont légères.
En tout cas ce dont il est important de se rendre compte c’est que l’on ne peut souffrir que par l’ego et sûrement pas par l’Amour.
Il faut être honnête avec soi-même et ensuite on peut aller voir son thérapeute : voir que je souffre par ego. Ma femme couche avec le facteur : je souffre terriblement par ego, non par amour. Tant que je ne suis pas honnête avec moi-même il n’y a même pas de thérapie possible.
Mais c’est vrai qu’à un moment donné on ne s’occupe plus de ces choses : aimer ou être aimé, c’est sympathique mais on ne vit plus avec cela. Qu’est ce que vous voulez que ça me fasse que l’on m’aime ou que l’on ne m’aime pas ?
Les gens qui vous aiment sont des gens qui projettent quelque chose de confortable sur vous.
Les gens qui vous détestent ressentent une forme d’insécurité quand ils vous rencontrent, mais ils ne sont pas plus méchants.
Ceux qui vous aiment ne sont pas plus gentils car parfois, vous allez leur dire un seul mot et ils vont vous détester. Ceux qui vous détestent vont parfois vous aimer après quelques mots.
Les êtres humains sont comme des chiens : quand un chien est en sécurité, il lèche. Quand il a peur, il mord. Le chien qui mord n’est pas nécessairement un chien méchant, c’est un chien qui a peur. Le chien qui lèche n’est pas nécessairement un gentil chien, car il peut mordre quelqu’un d’autre, mais il se sent en sécurité avec vous.
Lorsque l’on comprend comment ça marche, on n’est plus dupes ni de l’amour ni de la haine.
On a une facilité avec l’amour, on a une facilité avec la haine. »
Post scriptum : En totale synchronicité avec la sortie de cet article, la télévision passait le soir même un film : « STILL ALICE » dont le thème était la rapide dégradation d’une intellectuelle atteinte par une maladie foudroyante d’Alzheimer à 50 ans. N’étant pas spécialiste je ne peux juger de la rigueur scientifique médicale du témoignage relaté dans ce film. En tout cas, il est extrêmement poignant et superbement interprété par Julianne Moore qui a d’ailleurs reçu un oscar d’interprétation pour sa prestation dans ce film. Durant les toutes dernières minutes du film, Julianne Moore qui est en fin de parcours, la mémoire totalement dévastée , est gardée par sa fille (Kristen Stewart également remarquable !). Cette fille comme tout le reste de sa famille d’ailleurs continue depuis le début à entretenir la vie en sa mère en lui parlant normalement et en répétant avec patience les mots et faits qu’elle oublie assez rapidement. Elle fait du théâtre, allant à l’encontre des désirs de sa mère qui eût voulu la voir embrasser une brillante carrière universitaire tout comme elle.
Dans la dernière séquence , sa fille se met à lui lire un très beau texte, très bien écrit mais complexe, rempli de poésie, mais dont le spectateur comprend que la mémoire totalement dévastée de la mère , ne lui permet pas d’en saisir le sens. Après cette lecture, la fille s’approche de la mère et lui demande si ce texte lui a plu. La mère émet un grognement et a un air totalement absent . Puis la fille, consciente que sa mère n’a pu intégrer le texte, du moins dans sa structure extérieure , lui demande : « Cela parlait de quoi, maman ? ». La caméra se fixe sur le visage de la mère, qui manifestement est dans un « certain ailleurs » mais qui après une longue hésitation et un sourire désarmant ,lui répond : « Ça parlait d’Amour ! » et dans une complicité merveilleuse la fille répond « Oui maman cela parlait d’Amour » et elles partent toutes deux le long de la mer faire une marche, le dernier plan est un plan large sur ces deux êtres qui se tiennent affectueusement et marchent le long des flots.
« il faut tout faire par Amour…. au seuil de la vie, l’Amour seul demeure »
Elisabeth de la Trinité