Dieu n’a pas besoin d’être propagé : il est partout (Frère John Martin 2)

                                        Frère John Martin.

Sahajananda ( Frère John Martin)  moine bénédictin, a été un des plus proches disciples du Père Bede Griffiths qui a fondé avec le Père Le Saux l’ashram de Shantivanam en Inde. Il a rédigé une courte étude comparative des enseignements de Shankara et de Maître Eckart, puis il a quitté son diocèse en 1984 pour venir vivre à l’ashram de Bede Griffiths. Ce dernier est mort en 1993. Cet ashram est un lieu de prière et de partage inter-religieux, spécialement entre les traditions hindoue et chrétienne. En 1990 Shantivanam s’est affilié à l’ordre bénédictin des Camaldules.
Devenu responsable de l’ashram Frère John martin a donné de nombreux entretiens qui ont été transcrits dans plusieurs livres des éditions les deux océans. Son enseignement essentiel est que tout chercheur sérieux, à un moment donné se situe au-delà des religions, même s’il continue à respecter les apports de celle qui l’a formé. Je mettrai donc sur ce site quelques extraits de son enseignement, notamment ses paroles sur le Christ qui, je dois le dire, sont peu conventionnelles (surtout pour un moine chrétien) et qui sont en parfaite résonance avec l’enseignement de la non- dualité et avec ceux de Ramana et Bernard.

Ce second extrait est consacré au message de réalisation du Christ qui ne voulait selon Frère Martin ne fonder aucune religion mais qui a amené une révolution spirituelle, qui peut nous émanciper si nous savons l’entendre.
Je suis en accord avec ce que dit Frère John Martin dans ce passage et le trouve très courageux dans ses positions, surtout pour un moine ordonné dans l’église catholique et qui manifestement y reste. J’espère que ces supérieurs sauront le conserver plutôt que de juger trop vite comme hérétiques des propos qui me semblent au contraire issus d’une profonde sagesse.

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« Tout ce que nous pouvons dire à propos du Christ peut s’appliquer à chaque être humain. La question n’est pas de savoir si le Christ est l’accomplissement de la Loi et des Prophètes, mais si chaque homme a la possibilité d’être l’accomplissement de la Loi et des Prophètes. Le Christ a dit : « je ne suis pas venu pour abolir la Loi, mais pour l’accomplir. » (Mathieu 5 : 17.). Cette loi ne se limite pas à la loi juive. Elle doit être comprise comme représentant tout ce qui concerne l’histoire de l’homme avant la venue du Christ, y compris toutes les religions. Cette affirmation signifie : «  Je ne suis pas venu pour abolir tout ce qui a pu arriver avant moi, mais je suis venu pour l’accomplir ; » Et cet accomplissement consiste véritablement à transcender et à révéler la Loi.

La révélation se déroule sur deux plans : l’un objectif, l’autre subjectif. Sur le plan objectif, Dieu révèle ce que les êtres humains devraient faire et ne pas faire. Nous pouvons trouver cela dans les dix commandements que Dieu donna à Moïse. Sur le plan subjectif Dieu révèle ce que « sont » les êtres humains. Ceci est la nouvelle alliance que Dieu a promise en s’exprimant à travers les prophètes.Si nous reprenons le symbole de l’arbre : la révélation objective se situe au niveau des branches. Il s’agit de la Conscience Collective. La révélation subjective se situe à hauteur du tronc, c’est La Conscience Universelle .Aux niveaux de Conscience Individuelle et Collective, l’homme a besoin d’une loi objective pour guider sa vie, tandis que celui qui vit dans la Conscience Universelle n’a besoin d’aucune loi extérieure. Il est lui-même la Loi, « le chemin, la vérité et la Vie ». Dans le sermon sur la montagne, le Christ a dit : « Vous avez entendu qu’il a été dit aux ancêtres… MAIS MOI JE VOUS DIS… ». C’est l’affirmation de la Conscience Universelle. Puisque le Christ a vécu pour tous les hommes, et qu’il n’y avait pas en lui d’intentions égoïstes, toutes ses actions étaient destinées au bien de l’humanité.
La Conscience Universelle est l’accomplissement de la Conscience Collective, de la Loi et des Prophètes. Le Christ a dit : « Ainsi tout ce que vous désirez que les autres fassent pour vous, faîtes-le vous-mêmes pour eux : Voilà la Loi et les Prophètes. » (Mathieu 7 :12).
Cet accomplissement ne se limita pas à Jésus Christ seul Tout homme qui, dans son développement, passe de la Conscience Collective à la Conscience Universelle, est en droit d’affirmer : « JE SUIS LA VOIE, LA VERITE ET LA VIE. »

Il peut dire : « Je suis venu pour accomplir la Conscience Collective et non pour l’abolir ». Le Christ n’a pas remplacé la Loi ou la Torah par lui-même. Il n’a pas demandé à ceux qui l’écoutaient d’y renoncer ni de le considérer, lui, comme étant la Loi ; en fait il a invité les gens à suivre les commandements. Leur demander de renoncer à la Loi aurait constitué un blasphème. Mais très certainement, il a convié ceux qui l’écoutaient à accomplir la Conscience Collective et à entrer dans la Conscience Universelle. Les insuffisances de la théologie chrétienne viennent de ce qu’elle n’accorde cette possibilité(passer de la conscience collective à la Conscience Universelle) qu’à la seule personne du Christ . Et c’est là une question très importante, particulièrement dans le contexte du dialogue interreligieux. Dans le christianisme il y a deux postulats essentiels qui sont étroitement liés et posent problème au point de créer des dissensions entre les chrétiens et les autres religions.

L’un est : « JE SUIS LA VOIE, LA VERITE ET LA VIE. »(Jean 14 : 6) et l’autre «  Allez par le monde entier, proclamez la Bonne Nouvelle à toute la création. »( Marc 16 :15).On a interprété cela comme voulant dire que le Christ est la seule voie vers Dieu et que chacun doit se convertir au christianisme pour être sauvé. Mais selon moi ; ce n’est pas la façon correcte de comprendre ces affirmations. Elles engendrent un grand nombre de conflits entre les chrétiens et les autres religions. Nous devons les appréhender de façon à rendre justice au Christ, à rétablir la paix entre les religions et à révéler le caractère unique du Christ. Jésus Christ est le symbole de la Conscience Universelle : «  Personne ne va au Père que par moi. » (Jean 14 :6) Le chemin pour aller de la Conscience Collective à la Conscience unitaire, c’est-à-dire Dieu, passe par la Conscience Universelle. Le chemin allant des branches aux racines passe par le tronc. Personne ne peut entrer dans la Conscience Unitaire sans passer par la Conscience Universelle. Chacun doit donc revenir à la Conscience Universelle pour devenir l’instrument de la Conscience Unitaire, l’instrument de Dieu. La Conscience Universelle est le pont qui unit la Conscience Unitaire aux consciences individuelle et collective.
LE CHRIST NE DEMANDAIT PAS AUX GENS DE LE CONSIDÉRER PERSONNELLEMENT, COMME LE CHEMIN, LA VÉRITÉ ET LA VIE, IL DISAIT EN FAIT : «  J’AI ATTEINT UN NIVEAU D’EXPÉRIENCE OÙ LE CHEMIN EST EN MOI : JE SUIS LE CHEMIN, LA VÉRITÉ ET LA VIE, LE CHEMIN N’EST PAS À L’EXTÉRIEUR. »
Personne ne peut atteindre cette expérience d’union avec Dieu à moins de faire, comme le Christ le voyage de la Conscience Collective à la Conscience Universelle, et ceci implique de renoncer à l’ego. Renoncer à l’ego, signifie croître de plus en plus, c’est-à-dire s’élever à partir de la Conscience Individuelle à travers la Conscience Collective et la Conscience Universelle jusqu’à atteindre la Conscience Unitaire.
Proclamer la Bonne Nouvelle du Christ ne veut pas dire convertir les gens à sa religion, mais plutôt aider les hommes à dépasser les religions pour entrer dans les consciences universelle et unitaire et accéder au royaume de Dieu.

On me demande si Le Christ a instauré une nouvelle religion ? Je réponds qu’une religion est fondée sur des systèmes de croyances. Le Christ n’avait aucune croyance ni religion à suivre ; il était lui-même l’autorité. Il invitait ceux qui l’écoutaient à entrer dans cette nouvelle vie qu’il appelait le Royaume de Dieu. Dans une telle expérience personne ne peut se prévaloir d’aucune religion.

Le christianisme a pris naissance quand les chrétiens ont commencé à dire que le Christ était Dieu, qu’il était le Fils unique de Dieu, et qu’il était la seule voie, la vérité et la Vie. Lorsqu’ils ont interprété sa mort comme une expiation des péchés de l’humanité, le christianisme est né et le Christ est devenu un médiateur ainsi que le fondateur d’une nouvelle religion. Il est naturel que cela ait eu lieu de cette façon, en ce sens qu’il était impossible pour les disciples de se placer au niveau que le Christ avait atteint : ce que le Christ a accompli reste un but à atteindre plutôt qu’un point de départ. Les disciples de la première heure ont sans doute pensé qu’ils ne pouvaient pas proclamer ce que le Christ avait enseigné. Néanmoins à cette époque, voir que l’unité avec Dieu était possible, ne serait-ce que pour une seule personne- en l’occurrence le Christ-constituait déjà un progrès.

ON NE PEUT PAS DIRE QUE LE CHRIST A FONDÉ UNE NOUVELLE RELIGION. CE SONT CEUX QUI LE SUIVAIENT QUI AVAIENT BESOIN D’UNE RELIGION, ET DIEU L’APPROUVA SÛREMENT COMME ÉTAPE PRÉLIMINAIRE. Mais le Christ n’est certainement pas venu pour fonder une nouvelle religion. Sa mission était d’amener une révolution spirituelle, d’inaugurer selon le plan de Dieu, un homme nouveau qui dépasserait la religion et pourrait dire comme lui : « Je suis le chemin, la vérité et la vie. » Le christianisme a besoin de passer à l’étape suivante de la compréhension du Christ en ouvrant cette possibilité à chaque être humain.

Toutes les religions sont fondées sur un texte sacré, et chacune d’elles estime que son texte est l’ultime parole de Dieu , qu’il renferme la totalité de la vérité. Les juifs pensent que la Thora contient la quintessence de la révélation et que son enseignement représente la parole ultime de Dieu. De même les chrétiens voient dans le Christ la plénitude de la révélation et que son enseignement représente la parole ultime de Dieu. Les musulmans eux, pensent que leur prophète est le dernier prophète et le Coran l’écriture parfaite et éternelle.
Les textes sacrés sont le reflet imparfait de la Conscience universelle et de la Conscience Unitaire.
La vérité la plus haute ne peut être exprimée dans des lois ou des systèmes.
La Conscience Unitaire ne peut pas être contenue dans des structures sociales ou religieuses. Il existe une parole ultime  au plus haut degré de la relation entre Dieu et les hommes: « MOI ET DIEU SOMMES UN . », mais il n’existe pas de parole ultime dans la vérité manifestée. De sorte que les écritures sacrées ne devraient pas être considérées comme la parole ultime de Dieu.
Chaque génération a besoin de découvrir la volonté de Dieu selon la situation particulière de son époque. Croire qu’une écriture détient la parole ultime peut apporter un certain sentiment de sécurité, mais également bloquer l’évolution de la conscience humaine.
Une religion définitive et une écriture définitive n’existent pas.
En affirmant cela on limite l’infinité de Dieu et, avec elle, le potentiel humain de croissance et de créativité.

Le rôle de chaque religion doit être d’aider les hommes à purifier leur ego. Convertir quelqu’un à une religion revient à le faire passer d’une branche de l’arbre à une autre, ou d’un ego à un autre ego . Le Christ ne mettait pas l’accent sur la nécessité de se convertir à une autre religion, mais plutôt sur l’importance d’aller au-delà des religions.

Quand on a pour ambition de convertir, d’accroître le nombre des fidèles et d’agarndir son territoire, alors il y a violence. De nos jours , cette violence au nom du christianisme, au nom de Dieu, existe encore. En agissant de la sorte nous ne pouvons pas être des instruments de paix. Parfois malgré toutes nos bonnes intentions, nous ne sommes pas fidèles au message du Christ. Il semble qu’il y ait au plus profond de l’âme du chrétien le désir de convertir, et la conviction de ne pouvoir étendre le royaume de Dieu que de cette façon- là.
Or Dieu n’a pas besoin d’être propagé, il est partout.

Il n’y a qu’un chemin vers Dieu, et ce chemin unique ne passe ni par la religion, ni par un individu, ni par un rituel ou une quelconque technique. Ce chemin vers Dieu consiste à renoncer à notre ego afin de trouver notre Soi véritable ou éternel. Celui-ci n’est conditionné ni par le temps, ni par l’espace et nous unit à chaque homme et à chaque chose.

 

 

Extrait du livre Au Delà des Religions paru aux Editions Deux Océans.