Dans le cantique des oiseaux du Soufi Farid Attar il y a pour le chercheur sept vallées à traverser qui mènent à l’oiseau mythique recherché : le Simorgh( qui est en fait LE SOI).
J’ai voulu mettre ici un condensé de ces sept vallées.
Je tiens bien à repréciser(voir mon article sur « mise au point sur les textes religieux du site ») que cette présentation a pour unique but de montrer en quoi tous les grands mystiques , quelque soit leur religion d’origine ou leur « non religion », se rejoignent sur des grands thèmes.
Avec ces sept étapes,Il ne s’agit donc pas en ce qui me concerne d’y voir des étapes clairement délimitées qui se succéderaient dans le temps d’une manière linéaire et mèneraient à la Réalisation du SOI.
Les gens sont toujours trop avides de trouver des « recettes » pour la Réalisation alors qu’il s’agit comme le rappelle souvent Bernard d’un chemin très spécifique à chacun et qui est intime et personnel.
L’intérêt pour moi de ces textes est d’abord leur poésie et leur manière d’exprimer des éléments que l’on retrouve dans toute recherche et que Bernard d’ailleurs met en avant.
Ainsi la première vallée appelée la vallée du Désir ou de la recherche, met en avant l’énorme désir nécessaire pour parcourir la Voie. Bernard parle sans arrêt de forte détermination ou de passion.On voit ensuite la vallée de l’Amour qui est un des thèmes favoris de Bernard.Lorsqu’il parle avec passion de sa recherche il rappelle qu’il était à un moment littéralement « en feu » et on retrouve tout cela dans ce texte : « on ne peut en ce lieu qu’être feu tout entier »….
De plus l’ensemble de celui ci nous montre à quel point la recherche est difficile, longue, c’est la grande affaire de la vie et je tenais à rappeler cela dans cette époque où tant de gens disent qu’il n’y a rien à faire puisque tout est déjà là.
A la fin bien sûr les oiseaux de la quête se découvrent « eux-mêmes » dans le miroir du Soi et ceci est poétiquement et allégoriquement décrit, mais le texte montre le sacrifice qu’exige cette rencontre, qui n’est rien de moins que celui de sa propre vie.
Partons donc à la quête de ce Soi et laissons nous interpeller par la force de ces vers écrits il y a près de 800 ans !
La vallée du Désir
Quand tu pénétreras la vallée du Désir
Tu seras assailli d’épreuves à chaque instant
Ici, à tout moment, mille afflictions te guettent
Le plus beau des oiseaux ici, n’est qu’une mouche
Ici, il faut peiner bien des années durant
Vivre bien des états changeants et passagers
Ici, il te faut jeter les richesses au vent
Et jeter aux orties tout pouvoir temporel
Il faudra te noyer dedans ton propre sang
Il faudra t’arracher à tout ce qui t’attache
Et puis quand tu n’auras plus rien entre les mains
Il te faudra laver ton cœur de ce qui est
Dans ton cœur purifié de tous les attributs
Alors irradiera une lumière pure
Celle de Son Essence et de Sa Majesté
Lorsque cette lumière aura conquis ton cœur
LE DÉSIR ESSENTIEL Y SERA DÉCUPLÉ
Alors même s’il y a des flammes sur la route
Et cent autres vallées plus pénibles et plus rudes
Par Amour, comme un fou tu embrasses la flamme
Te laissant embraser comme le papillon
Lors, ivre de Désir et chercheur de secrets
Tu en oublieras tout, ce monde et l’autre monde
Noyé dans l’océan avec des lèvres sèches
Tu chercheras dans l’âme le secret de l’Esprit
Dans l’espoir passionné de percer les secrets
Tu ne craindras pas même le dragon dévoreur
Pour que s’ouvre une porte, tu accueilleras tout
L’incroyance, le blasphème, la malédiction même
La porte une fois ouverte, qu’importe tout cela
Puisqu’il y a au-delà, ni foi, ni incroyance.
C’est cela le désir qu’il te faut désirer
Mais hélas, tu ne sais, tu ne cherches qu’à vaincre
Si de jour et de nuit, tu ne Le trouves pas
C’est le désir qui manque et non pas Sa Présence
Ce sont tes yeux hélas qui sont toujours fermés
Entre dans le désir et alors tu verras
Que la porte jamais n’est fermée devant toi !
La vallée de l’Amour: :
Après cela apparaît la vallée de l’Amour
Qui atteint à ce point est noyé dans le feu
On ne peut en ce lieu qu’être feu tout entier
Celui qui ne l’est pas, que sa joie soit tristesse !
Car l’amant véritable est semblable à un feu
Brûlant, impétueux, le visage éclatant
Il ne songe jamais à ce qui adviendra
Et il jette avec joie cent mondes dans les flammes
Bien au-delà du doute comme des certitudes
Il ne sait rien de l’incroyance ou de la foi
Dans sa voie, bien et mal sont mêmes exactement !
Car quand advient l’Amour, restent ni l’un ni l’autre
L’amant est prêt à perdre au comptant ce qu’il a
Car ne compte pour lui que l’union de l’Aimé
Les autres comptent sur les promesses de demain
Mais pour lui tout se joue ici et maintenant
TANT QUE L’ON NE S’ EST PAS CONSUME TOUT ENTIER
COMMENT SE LIBÉRER DES CHAGRINS DÉVOREURS ?
COMMENT TROUVER EN SOI L’ÉLIXIR DE LA JOIE
SANS FONDRE TOUT SON ÊTRE DANS LE FEU ET LES FLAMMES ?
Tel un faucon qui brûle, palpitant de désir
Tant qu’il n’a pas atteint à son lieu d’origine
Tel un pauvre poisson qui s’agite en tous sens
Quand arraché à l’eau et jeté au désert
Il suffoque et espère retourner à la mer
Ici, l’Amour est feu et la raison,fumée
Quand cet Amour advient, il fait fuir la raison
La raison ne sait rien des folies de l’Amour
L’Amour n’est pas l’affaire de la raison humaine
Tu pourrais voir l’Amour, en comprendre l’Essence
Et savoir d’où il vient, si on te faisait don
Du don de clairvoyance venu de l’invisible
C’est l’Être de l’Amour qui fait être chaque feuille
C’est l’ivresse d’Amour qui les fait se pencher
Si tu ouvrais enfin les yeux de l’invisible
Les atomes du monde te diraient leurs secrets
Mais si l’œil que tu ouvres est l’œil de la raison
Tu ne pourras jamais voir l’Amour tel qu’il est
Seule une âme éprouvée peut éprouver l’Amour
Seul qui s’est libéré, peut entrer dans l’Amour
Toi qui n’es pas amant, qui n’a rien éprouvé
Tu n’es qu’une âme morte, indigne de l’Amour !
Dans ce chemin il faut un cœur mille fois vivant
Qui puisse à chaque instant faire don de cent vies !
Si tu crois que donner la vie est peu de chose
Viens ici, tu verras ce qu’est un vrai pillage
Si on te dit soudain : « Entre ! » pour que tu entendes
Le doux chant de l’appel, le tambour du départ
Tu seras tellement retourné corps et âme
Que tu mettras en jeu tout ce que tu possèdes
Et puis, je te le dis, une fois entré là
Ta raison et ton âme en seront bouleversées.
Entre donc en ce lieu, ou passe ton chemin
Sois tu fuis et renonces, sois tu plonges corps et âme
Tu reçois à ce prix les secrets de l’Amour
Tu pénètres à ce prix dans la Voie de l’Amour
Tu donneras ta vie, tu seras dénudé
Il ne te restera qu’ « entre donc ! » en partage
La vallée de la Connaissance:
Après cela, sans début ni fin, tu verras
Apparaître la vallée de la Connaissance
En ce lieu, maintes voies peuvent être choisies
Mais personne ne change pour autant de nature
Aucune Voie ici n’est pareille à une autre
Il y a les pèlerins du corps et ceux de l’âme
Parmi toutes ces voies qui se présentent
Chacune est différente, chacune a sa mesure
Comment dans cette voie propre à l’Ami de Dieu
Une pauvre araignée pourrait-elle marcher
Dans les pas d’un géant, les pas de l’éléphant ?
Chacun chemine donc selon sa perfection
Et sa proximité reflète ce qu’il est
Une mouche qui vole à hauteur de ses forces
pourra-t-elle jamais égaler l’ouragan ?
Comme chacun chemine à sa manière propre
Aucun oiseau jamais ne volera comme un autre
Une fois le soleil Connaissance levé
Chacun devient voyant mais selon ce qu’il est
Trouvant la vérité dans le rang qui est sien
L’énigme de chaque atome s’éclaire alors enfin
La fournaise du monde en devient roseraie
On voit à l’intérieur et non plus l’extérieur
On ne voit plus rien d’autre en dehors de l’Aimé
Dans tout ce que l’on voit, on ne voit que Sa Face
Et dedans chaque atome apparaît son reflet
« ON NE DOIT PAS DORMIR QUAND ON EST UN AMANT !
SI UN AMANT S’ENDORT AILLEURS QU’EN SON LINCEUL
IL EST BIEN AMOUREUX, MAIS DE LUI SEULEMENT
SI C’EST PAR IGNORANCE QUE TU VINS A L’AMOUR
ALORS, DORS BIEN SURTOUT, CAR TU N’ES PAS DES MIENS »
la vallée de la Plénitude:
Après paraît la vallée de la plénitude
Où il n’y a plus de but et plus de prétention……..
Ancien ou bien nouveau, ici, plus rien ne vaut
Rien de ce que l’on fait, rien de ce que l’on veut
Si les cieux et les astres s’écroulaient tous ensemble
Ce ne serait pas plus qu’une feuille qui tombe
Si tout s’annihilait du poisson à la lune
Ce ne serait rien d’autre qu’une pauvre fourmi
Si tu passais au crible ce monde et l’autre monde
Et cent fois ces deux-là pour voir ce qu’il en reste
Tu verrais qu’il ne reste rien sur ton tamis
Quand tu te trouves seul aux dédales de la mort…..
Même si tu parcours des distances infinies
Tu ne seras encore que dans le premier pas
Ta voie est difficile!Que pourrais-tu bien faire ?
Ton travail est pénible et tu n’as point de maître !
Sois impatient et sois patient dans le silence
Ne fais plus rien, fais plus que tout avec constance
Détache toi de tout et continue ton œuvre !
Dis-toi qu’elle n’est rien et redouble d’efforts !
Ainsi, si les efforts pouvaient ,être un remède
Tu aurais à la fin de quoi te racheter
Et si aucun effort n’était d’aucun secours
Tu aurais tout ton temps, là-bas pour ne rien faire
Abandonne à l’oubli tout ce que tu as fait
Œuvrer et oublier voilà ce qu’il faut faire !
Comment savoir que faire quand on ne peut savoir ?
Je te souhaite qu’enfin tu saches et que tu fasses !
Que tu chantes la joie, que tu pleures le deuil
Ne perds jamais de vue le détachement pur
Ce détachement là, fruit de la Plénitude.
Ici, nul ne connaît de répit un instant !
Nul ne pourra jamais ,passer cette vallée
S’il n’est pas arrivé à la maturité
Cela fait si longtemps que ton cœur agité
promène ça et là sa vaine négligence !
Tu as mené ta vie sans récolter de fruits
Crois-tu qu’il te sera donné une autre vie ?
Lève toi ! Et franchis cette aride vallée !
Envole toi ! Renonce à ta vie et à ton cœur
SACRIFIE DONC TA VIE ET FAIS DON DE TON CŒUR !
DE PEUR QU’ILS NE T’ÉLOIGNENT DE LA PLÉNITUDE.
La vallée de l’Unicité:
Alors paraît la vallée de l’Unicité
Station de l’Unité où tout est unifié
Ceux qui ont traversé ce grand désert aride
Têtes multipliées jaillissant d’un seul col
Se retrouvent un seul ; nombreux ou quelques uns
Qu’importe?Ils ne sont qu’un dans leur pluralité
Ici en ce chemin, le multiple est dans l’Un
Une fois un toujours sera égal à un
Pourtant l’Un qui advient n’est pas le nombre un
L’un dépasse le nombre et l’autre les limites :
Alors, renonce donc aux deux éternités
Les deux s’étant perdus à tes yeux pour jamais
D’elles que reste-t-il au milieu, sinon rien ?
ET PUISQUE TOUT EST RIEN ET QUE RIEN EST LE TOUT
QUE RESTE-T-IL ALORS QU’UN ABÎME SANS FOND ?
Qui ne s’est pas noyé dans l’Unicité
Aura beau être humain, il ne sera pas homme !
Bons ou mauvais, les hommes ont reçu en partage
Un soleil au tréfonds invisible de leur être
Ce soleil un beau jour en nous se fera jour
Levant de son visage le voile qui le recouvre
Une fois arrivé au soleil de ton être
Sache que bien et mal ne seront plus de mise
Car le bien et le mal ne sont que si tu es
Quand tu es submergé, l’illusion disparaît
Tant que tu reste pris dans ton egoïté
Dans le bien et le mal tu demeures englué
Et pour toi, le chemin paraît long et sans fin
Depuis que du néant tu as été créé
Tu es le prisonnier de ta propre prison
Hélas ! Si tu pouvais être comme tu fus
C’est à dire sans être, suspendu au néant !
Lorsque l’homme de la Voie arrive dans ce lieu
Le lieu même disparaît du milieu du chemin
Il se perd car ici c’est l’Un qui apparaît
Et il devient muet car l’Un devient parlant
Il devient la partie et il devient le tout
La partie et le tout, puis ni partie ni tout
Les attributs ne sont qu’une forme après tout
Mais ils ne sont pourtant ni l’âme, ni le corps
A l’école où s’apprend ce secret prodigieux
Des milliers d’intellects ont les lèvres assoiffées
Mais qu’est ce que l’intellect ici, pauvre impuissante
Enfant sourd de naissance, hélas, et misérable ?
Qui a reçu l’éclat d’un atome du secret
Détourne le regard des attraits des deux mondes
Dépouillé de lui-même, il ne lui reste rien
Que le néant des mondes qui ne lui sont plus rien
Et bien qu’il ne soit plus, il est, précisément
Car il est à la fois et l’être et le néant.
IL FAUT TE PERDRE EN LUI : VOILA L’UNICITÉ
PERDRE JUSQU’À LA PERTE : VOILA L’UNITÉ PURE.
Vallée de la perplexité:
Et puis, après cela, vient la Perplexité
Vallée de la douleur et de l’inassouvi
A chaque inspir ici, une lame te lacère
Et chaque expir exhale des plaintes déchirantes…
Chaque cheveu, ici saigne continûment
Et ce sang, en coulant, écrit le mot « hélas ! »
Qui atteint à ce point, à force de douleur
Est un feu pris de glace, une glace brûlée
Quand il arrive ici, dans la perplexité
La stupeur le saisit et il perd tout repère
Ce que l’Unicité imprima dans son âme
En lui, de lui se perd ; même perdre se perd
Et si on lui demande : « es tu- sobre, es-tu ivre ?
Es-tu ou n’es-tu pas, dis-moi, existes-tu ?
Te tiens-tu dans le centre ou la périphérie ?
Es-tu au bord des choses ? Caché ou révélé ?
Mortel ou immortel ou bien les deux ensemble ?
Ou bien ni l’un ni l’autre ? Es-tu toi ou pas toi ?
Il dira : « je ne sais, non, je ne sais plus rien
Je ne sais même pas si vraiment je ne sais
Possédé par l’Amour, mais je ne sais de qui
Ni croyant, ni incroyant,mais alors qui suis-je ?
Je ne sais rien, vraiment, de l’Amour qui me tient
Mon cœur est plein d’Amour et pourtant il est vide. »…..
Les hommes n’ont de part qu’à de pures illusions
Personne n’a accès à la réalité
A celui qui demande : « comment faire ? », je réponds :
« Renonce justement au « comment » qui t’occupe ! »
Qui atteint la vallée de la Perplexité
Goûte à l’inassouvi qui n’a jamais de fin
Jusques à quand errer dans la Perplexité ?
Toute trace effacée, comment m’y retrouver ?
Je ne sais, je ne sais…Si je pouvais savoir
Cette Perplexité s’en trouverait accrue
Ici quand je me plains, c’est une action de grâce
La foi est incroyance et l’incroyance, foi !
Vallée du Dénuement et de l’Anéantissement:
Puis vient le Dénuement, l’Anéantissement
Quelle langue peut dire cet état, ce néant ?….
Quand l’océan du tout se met à bouillonner
A la surface de l’eau, quelle image peut rester ?
Les deux mondes ne sont qu’une image, un reflet
De ce vaste océan, c’est la seule certitude
Quiconque dit l’inverse est en pleine illusion
Et celui qui se perd dans l’océan sans fin
Trouvera le repos en se perdant lui-même
Car dans cet océan débordant de repos
Le cœur ne trouve rien que la perte absolue…….
Si tu veux arriver à ce point du chemin
Et atteindre à ce point du néant et du rien
Annihile le soi, anéantis l’ego
Revêts toi d’un manteau tissé dans le non-être
Et bois jusqu’à plus soif la coupe du rien.
Porte sur toi le voile de l’indignité
Et rabats sur ta tête la cape du non-être
Le pied à l’étrier de la dissolution
Monte sur la monture de l’insignifiance
Pars de rien, va vers rien et accomplis le rien
Ceins ta taille de rien et sens dessus dessous
D’une belle ceinture tressée de non-étant….
Et puis de cela même ne garde aucune trace
Avance ainsi, toujours, dans un pur abandon
Pour atteindre à la fin au monde où tout se perd
Mais s’il reste dans toi une trace d’ici-bas
Tu ne trouveras pas trace de l’autre monde.
SEUL PARMI TOUS LES AUTRES PEUT ACCÉDER AU VRAI
QUI NE SAIT RIEN ET QUI NE LAISSE AUCUNE TRACE
Un à un, laisse aller tout ce que tu possèdes
Et puis dedans toi-même, construis ta solitude
Alors réunifié dans le ravissement
Tu te retrouveras par delà bien et mal
Et quand ne restera ni le bien ni le mal
Tu connaîtras l’Amour et tu deviendras digne
D’entrer dans le néant qui est propre à l’Amour.
Le But ultime du voyage:
Au bout du voyage les oiseaux(il en reste trente sur des milliers) arrivent au SIMORGH (LE SOI)
il est très important de signaler le jeu de langage de Attar : en persan Si morgh signifie:trente oiseaux
Il n’y a donc pas de symbolique particulière dans le nombre des oiseaux, ils auraient pu être 30, 400 …mais l’important est qu’à la fin du chemin ils se rencontrent eux mêmes : SI MORGH (trente oiseaux) rencontre SIMORGH (LE SOI)
je me permets dans les passages qui suivent de remplacer Simorgh par LE SOI
Ils virent que LE SOI n’était autre qu’eux- mêmes
C’était exactement LE SOI qu’ils voyaient
Et LE SOI était là et LE SOI était trente oiseaux
Quand ils le regardaient, LE SOI était bien LE SOI
Quand ils se regardaient, ils étaient bien trente oiseaux
Et quand ils regardaient et LE SOI et eux-mêmes
Ils ne voyaient qu’Un
Ceci était ceux-là et les uns étaient l’Autre
Personne n’entendit jamais pareille chose !
Les oiseaux submergés par la perplexité
Tentaient de le penser, mais sans pouvoir penser !
Ne pouvant rien comprendre, les oiseaux hébétés
Sans user de la langue, interrogèrent LE SOI
Ils demandèrent la clé de ce puissant mystère
Et la résolution de ce « toi » qui est « nous »
Sa Majesté LE SOI, leur dit mais sans parler :
« Le soleil de la Majesté est un miroir
Celui qui vient à elle, ne peut voir que lui-même
Il se voit corps et âme, tout entier reflété
Vous êtes venus trente et c’est aussi pourquoi
Ce miroir vous renvoie l’image de trente oiseaux
Quand vous seriez venus à quarante ou cinquante
Vous n’auriez pu lever ce voile que sur vous-mêmes
Vous avez cherché l’Autre en cheminant longtemps
Vous ne voyez portant que vous, vous seulement !
Car quel regard jamais peut atteindre où Nous sommes ?
La vue d’une fourmi peut-elle voir les Pléiades ?
Avez vous jamais vu de par le vaste monde
Une pauvre fourmi se saisir d’une enclume
Ou bien un moucheron happer un éléphant ?
Tout ce que vous saviez, à cette vue n’est plus
Ce que vous avez dit ou entendu ,non plus
Vous avez traversé les sept hautes vallées
Et vous avez fait preuve d’un courage viril
Pourtant c’est dans Mes œuvres que vous cheminiez
Vous n’avez que rêvé la vallée de l’Essence
Vous étant endormis au creux des Attributs
Vous voilà trente oiseaux hébétés et perplexes
Aux cœurs énamourés, impatients et sans vie
Mais Moi, je suis le seul véritable SOI
Je suis la pure Essence de l’oiseau souverain
Il vous faut maintenant , dans la grâce et la joie
Annihiler votre être tout entier en Moi
Afin de vous trouver vous-mêmes dedans Moi »
Ils s’annihilèrent donc cette fois pour toujours
Et l’ombre disparut dans le Soleil, enfin !
Pendant qu’ils cheminaient, la parole régnait
Une fois le but atteint, il ne resta plus rien
Ni début et ni fin, ni guide, ni chemin
Et c’est pourquoi, ici, la parole s’éteint………………….
Personne jamais ne put ni ne pourra
Parler de ce Néant, ni dire cet Étant
De même qu’il est Lui, loin de toute vision
De même cet état est éloigné du dire
Pourtant nos compagnons veulent l’allégorie
Qui pourrait rendre compte de l’ Étant post Néant
Mais cela je ne peux m’en expliquer ici
EMBRASSE LE NON-ÊTRE POUR PARVENIR A L’ÊTRE
CAR TANT QUE « TOI »SERA, COMMENT POURRAS-TU ÊTRE ?
ET SI TU N’ATTEINS PAS LE BAS-FOND DU NÉANT
COMMENT PEUT T’APPARAÎTRE LA GLOIRE DE L’ÉTANT ?
Nota bene: je rappelle que cette merveilleuse traduction du cantique des oiseaux de Farid Attar, est de Leili Anvar parue aux éditions Diane de Selliers.
Je demande toute l’indulgence des lecteurs pour les libertés que j’ai prises par rapport au raccourcissement du texte et à son réarrangement « très personnel » mais le recueil du cantique comportant près de 5000 vers j’ai estimé pouvoir me permettre cette « hérésie » si d’un autre côté elle pouvait susciter des envies de lecture de ce texte.
J’ai ainsi je l’espère en quelques articles pu faire passer la quintessence du cantique.