Seul Le Soi est réel : Annamalaï Swami

 

Annamalai Swami.( 1906-1995)

 

Je ne pouvais décemment pas ignorer de mettre sur ce site un extrait d’un sage essentiel du vingtième siècle, moins connu que Ramana mais tout aussi important . Il fut d’ailleurs un de ses premiers et principaux disciples.
Annamalaï Swami est né en 1906, à Tondankuruchi, petit village d’environ deux cents maisons. Son père était une personne importante dans le village. Fermier, astrologue, peintre et constructeur, il savait également fabriquer des statues et ériger des gopuram [tours de temple].
Peu après la naissance, son père consulta un autre astrologue. Tous deux finirent par conclure qu’il deviendrait probablement moine. Son père essaya dès lors d’entraver cette vocation en le privant presque entièrement d’éducation.
Au cours de l’année 1928 – il avait vingt et un ans –, un sadhu errant traversa le village et lui donna un exemplaire d’un livre contenant la photo de Ramana Maharshi. Dès qu’il vit cette photo, il eut le sentiment que c’était son Guru et prit la résolution de devenir son disciple. Ce qu’il fut jusqu’à la fin de sa vie, en 1995.
Ce passage rayonne par lui-même, par sa clarté et sa simplicité. On y découvre que Le Soi est toujours là certes, mais que la multiplicité de nos vasanas (résurgence de nos conditionnements passés ou « génétique invisible » comme dirait Bernard) est telle que nous semblons séparés de ce Soi.
Annamalaî déclare en effet:
« Si vous voulez vous défaire des habitudes limitantes, accumulées pendant plusieurs vies, vous devez pratiquer constamment. »
il est donc nécessaire de faire un long et énorme travail de « purification  » des vasanas. Ceci est très important à signaler face à la mode délétère du « Tout est déjà là, il n’y a plus rien à faire. » de nombreux pseudo-advaïta !

 

 « Demeurez comme le ciel et laissez les pensées-nuages aller et venir.  »

Question : Quel est le moyen le plus facile de se libérer du ‘petit soi’?
Annamalai Swami : Cessez de vous prendre pour lui. Si vous pouvez vous convaincre :  « Ce ‘petit soi’ n’est pas vraiment moi », il va tout simplement disparaître.
Question : Mais comment s’y prendre ?
Annamalai Swami : Le ‘petit soi’ est quelque chose qui ne fait que paraître réel. Si vous comprenez qu’il n’a pas de véritable existence, il va disparaître, laissant derrière lui l’expérience du Soi réel et unique. Comprenez qu’il n’a pas de véritable existence et il cessera de vous tourmenter. La Conscience est universelle. Il n’y a ni limitations ni ‘petit soi’ en elle. C’est seulement quand nous nous prenons pour le corps et le mental que nous nous limitons à eux, que le faux soi nait. Si, au moyen de l’investigation, on remonte à la source de ce ‘petit moi’, on constate qu’il s’évanouit dans le néant.
Question : Mais je suis tellement habitué à penser :  « Je suis ce petit soi ». Je ne peux pas perdre cette habitude par le simple fait de penser :  « Je ne suis pas ce petit soi ».
Annamalai Swami : Ce petit soi ne va céder la place au Soi réel que si vous méditez constamment.
Vous ne pouvez pas vous débarrasser de lui par quelques pensées isolées.
Essayez de vous souvenir de l’analogie de la corde qui passe pour un serpent à la lueur du crépuscule. Si vous prenez la corde pour un serpent, la nature réelle de la corde se dérobe à vous. Pour peu, que vous voyiez la corde, il n’y a plus de serpent. Et ce n’est pas tout : vous savez aussi qu’il n’y a jamais eu de serpent à cet endroit. Une fois que vous avez la claire et juste perception que jamais, à aucun moment, le serpent n’a existé, la question de savoir comment le tuer ne se pose plus. Appliquez cette analogie au petit soi qui vous tracasse. Si vous comprenez que jamais, à aucun moment, il n’a existé en dehors de votre imagination, vous ne vous inquièterez plus des moyens de vous en débarrasser.
Question : Tout cela est très clair mais je sens que j’ai besoin d’aide. Je ne suis pas sûr de pouvoir développer cette connaissance par moi-même.
Annamalai Swami : Le désir d’être aidé fait partie de votre problème. Ne faites pas l’erreur d’imaginer qu’il y a un but à atteindre ou un objectif à réaliser. Si vous pensez ainsi, vous allez commencer à chercher des méthodes à pratiquer et des gens pour vous aider. Ceci ne fait que perpétuer le problème que vous essayez de solutionner. Au lieu de cela, cultivez plutôt la ferme conscience :  « Je suis le Soi. Je suis Cela. Je suis Brahman [la réalité absolue impersonnelle]. Je suis tout. » Vous n’avez pas besoin de méthodes pour vous débarrasser des fausses idées que vous avez de vous-même.
Tout ce que vous avez à faire, c’est d’arrêter d’y croire. Le meilleur moyen de le faire, c’est de les remplacer par des idées qui reflètent plus adéquatement les choses telles qu’elles sont. Si vous pensez et méditer : « Je suis le Soi », cela vous fera beaucoup plus de bien que de penser : « Je suis le petit soi. Comment puis-je me débarrasser de ce petit soi’?  »
Le Soi est toujours atteint, il est toujours Réalisé ; ce n’est pas quelque chose que vous devez chercher, atteindre ou découvrir. Vos vasanas [habitudes et tendances mentales] et toutes les fausses idées que vous avez de vous-même obstruent et cachent l’expérience du Soi réel. Si vous ne vous identifiez aux idées erronées, votre nature de Soi ne se dérobera pas à vous.
Vous dites avoir besoin d’aide. Si votre désir d’arriver à une juste compréhension de votre nature réelle est assez intense, l’aide viendra automatiquement. Si vous voulez devenir conscient de votre nature réelle, vous serez incommensurablement aidé par le contact avec un jnani [un être Réalisé]. Le pouvoir et la grâce qui irradient d’un jnani, apaisent le mental et éliminent les fausses idées que vous avez sur vous-même. Vous pouvez progresser en ayant le satsang [fréquentation] d’un Guru réalisé et par la pratique spirituelle constante. Le Guru ne peut pas tout faire pour vous.
Si vous voulez vous défaire des habitudes limitantes, accumulées pendant plusieurs vies, vous devez pratiquer constamment.
La plupart des gens prennent l’apparence du serpent dans la corde pour la réalité. Agissant sur la base de leur perception erronée, ils imaginent toutes sortes de moyens de tuer le serpent. Il leur est totalement impossible de se débarrasser du serpent tant qu’ils n’ont pas abandonné l’idée qu’il y a un serpent. Les gens qui veulent tuer ou contrôler le mental ont le même problème : ils imaginent qu’il y a un mental à contrôler et prennent des mesures drastiques pour le contraindre à se soumettre. Si, au lieu de cela, ils développaient la compréhension qu’il n’y a rien de tel que le mental, tous leurs problèmes seraient résolus. Vous devez arriver à la conviction :  « Je suis la Conscience omniprésente dans laquelle toutes les formes corporelles et psychiques du monde apparaissent et disparaissent. Je suis cette Conscience qui demeure inchangée et inaffectée par ces apparitions et disparitions. » Stabilisez-vous dans cette conviction. C’est tout ce que vous avez à faire.
Bhagavan [Ramana Maharshi] raconta une fois l’histoire d’un homme qui voulait enterrer sa propre ombre dans un trou profond. Il creusa le trou et se plaça de telle façon que son ombre soit au fond du trou. Il essaya ensuite de la recouvrir de terre. Chaque fois qu’il jetait de la terre dans le trou, l’ombre réapparaissant à la surface. Bien sûr, il ne parvint jamais à enterrer son ombre. Beaucoup de gens se comportent de la même manière quand ils méditent. Ils considèrent leur mental comme réel, essayent de le combattre et de le tuer et échouent toujours. Tous les combats contre le mental sont des activités mentales qui le renforcent au lieu de l’affaiblir. Si vous voulez vous débarrasser du mental, tout ce que vous avez à faire, c’est de comprendre qu’il n’est  « pas moi ». Cultivez cette compréhension :  « Je suis la Conscience immanente ». Quand cette compréhension sera devenue stable, le mental inexistant aura fini de vous tourmenter.
Question : Je ne pense pas que la répétition :  « Je ne suis pas le mental, je suis conscience »,  puisse jamais me convaincre que je ne suis pas le mental. Ce ne sera qu’une pensée de plus, tournant sans fin dans ma tête. Si je pouvais expérimenter, fût-ce un instant, à quoi cela ressemble d’être dépourvu du mental, la conviction me viendrait automatiquement. Je pense qu’une seule seconde d’expérience de la conscience telle qu’elle est serait beaucoup plus convaincante que plusieurs années de répétitions mentales.
Annamalai Swami : Chaque fois que vous vous endormez, vous avez l’expérience d’être sans le mental. Vous ne pouvez pas nier que vous existez pendant que vous dormez et vous ne pouvez pas nier que votre mental ne fonctionne pas pendant que vous êtes dans le sommeil sans rêve. Ces expériences quotidiennes devraient vous convaincre qu’il vous est possible de poursuivre votre existence sans mental. Bien sûr, vous n’avez pas la pleine expérience de la conscience pendant que vous êtes endormi, mais si vous réfléchissez à ce qui se passe dans cet état, vous en viendrez à comprendre que votre existence, la continuité de votre être, n’est pas du tout dépendante de votre mental ou de votre identification à lui.
Quand le mental réapparaît chaque matin, vous concluez hâtivement : « C’est le moi véritable ». Réfléchissez quelque temps à cette proposition : vous verrez combien elle est absurde. Si ce que vous êtes réellement n’existe que quand le mental est présent, vous devez admettre que vous n’existiez pas pendant que vous êtes endormi. Personne ne saurait accepter une conclusion aussi absurde.
Si vous analysez les états dans lesquels vous vous trouvez alternativement, vous découvrirez que votre expérience directe est que vous existez aussi bien quand vous dormez que quand vous êtes éveillé. Vous découvriez que le mental ne devient actif que lorsque vous êtes éveillé ou en train de rêver. À partir de ces simples expériences quotidiennes, il devrait être facile de comprendre que le mental est quelque chose qui va et vient. Votre existence ne s’efface pas chaque fois que le mental cesse de fonctionner. Je ne vous parle pas d’une théorie philosophique ; je vous parle de quelque chose que vous pouvez vérifier par expérience directe durant chaque période de vingt-quatre heures de votre vie.
Prenez ces faits, que vous pouvez découvrir en les expérimentant directement, et examinez-les d’un peu plus près. Quand le mental apparaît chaque matin, ne concluez pas aussi hâtivement que d’habitude :  « C’est moi ; ces pensées sont les miennes. » En lieu et place, regardez ces pensées aller et venir sans vous identifier à elles d’une quelconque façon. Si vous pouvez résister à l’impulsion de revendiquer chaque pensée comme vôtre, vous arriverez à une conclusion renversante : vous découvrirez que vous êtes la Conscience dans laquelle les pensées apparaissent et disparaissent. Vous découvrirez que cette chose que l’on appelle mental n’existe que quand on laisse libre cours aux pensées. Comme le serpent qui apparaît dans la corde, vous découvrirez que le mental n’est qu’une illusion qui apparaît à cause de l’ignorance ou d’une perception erronée.
Vous voulez une expérience qui vous convainque que ce que je dis est vrai. Vous pouvez avoir cette expérience si vous renoncez à votre sempiternelle habitude d’inventer un  « Je » qui sort de vous-même en tant que conscience seule, regardez les pensées aller et venir. Venez-en à la conclusion, par expérience directe, que vous êtes réellement la Conscience elle-même et non ses contenus éphémères.
Les nuages vont et viennent dans le ciel, mais l’apparition et la disparition des nuages n’affectent pas le ciel. Votre nature réelle est comme le ciel, comme l’espace. Demeurez comme le ciel et laissez les pensées-nuages aller et venir. Si vous cultivez cette attitude d’indifférence envers le mental, graduellement, vous cesserez de vous identifier à lui.
Question : Au début de ma sadhana [pratique spirituelle], tout allait pour le mieux. Il y avait beaucoup de paix et de bonheur et jnana [connaissance véritable] paraissait très proche. Mais maintenant, il n’y a plus guère de paix, seulement des obstacles et des empêchements.
Annamalai Swami : Chaque fois que les obstacles surgissent sur le chemin, pensez-y comme n’étant  « pas moi ». Cultivez cette attitude que le vous  « réel »est hors d’atteinte des ennuis et des obstacles. Il n’y a pas d’obstacles pour le Soi. Si vous arrivez vous souvenir que vous êtes toujours le Soi, qu’importent les obstacles.
Un des alvars [un groupe de saints Vaishnavites] constata une fois que si l’on ne s’adonne à aucune pratique spirituelle, le mental n’est pas vécu comme un problème. Il dit que c’est seulement lorsque l’on commence à faire de la méditation que l’on prend conscience des diverses façons qu’a le mental de nous créer des problèmes. C’est parfaitement vrai. Mais on ne devrait pas s’inquiéter des obstacles ni les craindre. On devrait simplement les regarder comme n’étant  « pas miens ». Ils ne peuvent vous créer des ennuis que dans la mesure où vous pensez que ce sont vos problèmes.
Les vasanas qui se dressent devant vous peuvent revêtir l’apparence d’une grande montagne qui vous empêche d’aller de l’avant. Ne vous laissez pas intimider par sa dimension. Ce n’est pas une montagne de roche, c’est une montagne de camphre. Si vous en allumez un coin avec la flamme de l’attention discriminante, elle sera réduite à néant.
Tenez-vous en arrière de la montagne de problèmes, refusez de les reconnaître comme vôtres, et ils vont se dissoudre et disparaître sous vos yeux.
Ne vous laissez pas induire en erreur par vos pensées et vos vasanas.
Elles essayent toujours par ruse de vous amener à croire que vous êtes une personne réelle, que le monde est réel, et que tous vos problèmes sont réels. Ne les combattez pas : ignorez-les, tout simplement. N’accusez pas réception de toutes les fausses idées qui continuent de vous venir. Etablissez-vous dans la conviction que vous êtes le Soi et que rien ne peut se coller à vous ni vous affecter. Une fois que vous aurez cette conviction, vous découvrirez que vous ignorez automatiquement les habitudes du mental. Quand le rejet des activités du mental deviendra continuel et automatique, vous commencerez à avoir l’expérience du Soi.
Si vous voyez deux étrangers se quereller au loin, vous ne leur accordez guère d’attention parce que vous savez que cette dispute ne vous concerne pas. Traitez les contenus de votre mental de la même manière. Au lieu de remplir votre mental de pensées, puis d’organiser des combats entre elles, n’accordez aucune attention au mental. Restez tranquillement dans le sentiment  « Je suis », qui est conscience, cultivez l’attitude que toutes les pensées, toutes les perceptions ne sont  « pas moi ». Quand vous aurez appris regarder votre mental comme un étranger éloigné, vous n’accorderez plus d’attention à tous les obstacles qu’il ne cesse d’inventer pour vous.
Les problèmes mentaux se nourrissent de l’attention qu’on leur accorde. Plus vous vous tourmentez à leur sujet, plus ils prennent de force. Si vous les ignorez, ils perdent leur pouvoir et finissent par disparaître.
Question : Je pense et je crois toujours qu’il n’y a que le Soi mais, sans que je comprenne bien pourquoi, il reste encore le sentiment que je veux ou que j’ai besoin de quelque chose de plus.
Annamalai Swami : Qui est-ce qui veut ? Si vous arrivez à trouver la réponse cette question, il n’y aura plus personne pour vouloir quoi que ce soit.
Question : Les enfants naissent sans ego. Comment leur ego apparaît et recouvre-t-il le Soi quand il commence à grandir ?
Annamalai Swami : Un jeune enfant peut sembler n’avoir pas d’ego mais son ego et toutes les vasanas latentes qui l’accompagnent sont là en germe. Quand le corps de l’enfant grandit, l’ego grandit aussi. L’ego est produit par le pouvoir de maya [illusion], qui est l’une des shaktis [pouvoirs] du Soi.

NDLR
: C’est l’occasion de signaler, à quel point très souvent , les gens idéalisent totalement les enfants, pensant qu’ils sont de petits saints inaffectés par les turpitudes réservées aux adultes. C’est totalement inexact et Freud, subissant les foudres de son époque, l’a largement prouvé.

Question
: Comment maya opère-t-elle ? Comment prend-elle naissance ? Puisque rien n’existe hormis le Soi, comment le Soi réussit-t-il à se cacher à lui-même sa propre nature ?
Annamalai Swami : Le Soi, qui est pouvoir infini et la source de tout pouvoir, est indivisible. Cependant, au sein du Soi indivisible, il y a cinq shaktis ou pouvoirs, avec des fonctions différentes, qui opèrent simultanément. Les cinq shaktis sont
-le pouvoir de création,
-le pouvoir de préservation,
-le pouvoir de destruction,
-le pouvoir d’illusion [maya shakti]
-le pouvoir de la grâce.
La cinquième shakti, la grâce, neutralise et annihile la quatrième shakti, qui est maya.
Quand maya est totalement inactive, c’est-à-dire quand l’identification avec le corps et le mental a été abandonnée, il y a une conscience de la conscience, une conscience d’être. Quand on est établi dans cet état, il n’y a ni corps, ni mental, ni monde. Ces trois choses sont que des idées amenées à une existence apparente quand maya est présente et active.
Quand maya est active, le seul moyen efficace de la dissoudre est le chemin montré par Bhagavan : on doit pratiquer l’investigation du Soi et distinguer ce qui est réel de ce qui est irréel. C’est le pouvoir de maya qui nous fait croire à la réalité de choses qui n’ont aucune réalité en dehors de notre imagination. Si vous demandez :  « Que sont ces choses imaginaires ?  » la réponse est :  « Tout ce qui n’est pas le Soi sans forme. » Seul le Soi est réel ; tout le reste n’est que le fruit de notre imagination.
Il ne sert à rien de chercher à savoir pourquoi il y a maya et pourquoi elle opère.
Si vous êtes sur un bateau qui fait eau, vous ne perdez pas votre temps à vous demander si le trou a été fait par un Italien, un Français ou un Indien. Vous bouchez la voie d’eau. Ne vous souciez pas de savoir d’où vient maya. Mettez toute votre énergie à échapper à ses effets. Si vous essayez d’étudier l’origine de maya avec votre mental, vous êtes condamné à l’échec parce que toute réponse qui vous viendra sera une réponse de maya. Si vous voulez comprendre comment maya opère et voit le jour, il faut vous établir dans le Soi, le seul endroit où vous êtes libéré de son emprise, et regarder ensuite comment elle s’empare de vous chaque fois que vous ne réussissez pas à garder votre attention dans le Soi.
Question : Vous dites que maya est une des shaktis. Qu’est-ce que vous entendez au juste par shakti ?
Annamalai Swami : Shakti est énergie ou pouvoir. C’est un nom pour l’aspect dynamique du Soi. Shakti et Shanti [paix] sont deux aspects de la même conscience. Si vous voulez les séparer un tant soit peu, vous pouvez dire que Shanti est l’aspect non-manifesté du Soi tandis que shakti est l’aspect manifesté. Mais en réalité elles ne sont pas séparées. Une flamme a deux propriétés : lumière et chaleur. Les deux ne peuvent pas être séparées.
Shanti et shakti sont comme la mer et ses vagues. Shanti, l’aspect non-manifesté, est le vaste corps d’eau immobile. Les vagues qui apparaissent et se meuvent à la surface sont la shakti. Vaste, incluant tout en elle, Shanti est immobile tandis que les vagues sont actives.
Bhagavan disait qu’après la Réalisation, le jivanmukta [libéré vivant] expérimente Shanti au-dedans et est établi en permanence dans cette Shanti. Dans cet état de Réalisation, il voit que toutes les activités sont causées par la shakti. Après la Réalisation, on est conscient qu’il n’y a pas de personne individuelle faisant quoi que ce soit. En lieu et place, il y a la conscience que toutes les activités sont la shakti de l’unique Soi. Le jnani, qui est pleinement établi dans Shanti, est toujours conscient que la shakti n’est pas séparée de lui. Dans cette conscience, tout est son Soi et toutes les actions sont siennes. Ou bien, on peut aussi dire qu’il ne fait jamais rien. C’est l’un des paradoxes du Soi.
L’univers est contrôlé par l’unique shakti, parfois appelée Parameswara shakti [le pouvoir du Seigneur Suprême]. C’est elle qui meut et ordonne toutes choses. Les lois naturelles, telles que les lois qui maintiennent les planètes dans leurs orbites, sont toutes des manifestations de cette shakti.
Question : Vous dites que toute chose est le Soi, même maya. S’il en est ainsi, pourquoi est-ce que je ne vois pas le Soi clairement ? Pourquoi m’est-il caché ?
Annamalai Swami : Parce que vous cherchez dans la mauvaise direction.
Vous avez l’idée que le Soi est quelque chose qui se voit ou dont on fait l’expérience. Cela n’est pas le cas.
Le Soi est la compréhension ou la conscience dans laquelle le fait de voir et celui d’expérimenter ont lieu. Même si vous ne voyez pas le Soi, il est bel est bien là. Bhagavan disait parfois avec humour :  » Les gens ne font qu’ouvrir le journal et y jeter un coup d’œil. Puis ils disent :  « J’ai lu [littéralement « j’ai vu »] le journal. » Mais en fait ils n’ont pas vu le journal, ils n’ont vu que les lettres et les images qui se trouvent dessus. Il ne peut y avoir ni mots ni images sans le papier, mais les gens oublient toujours le papier pendant qu’ils lisent les mots.
Bhagavan utilisait ensuite cette analogie pour montrer que pendant que les gens voient les noms et les formes qui apparaissent sur l’écran de la conscience, ils ignorent l’écran lui-même. Avec ce genre de vision partielle, il est facile d’en venir à la conclusion que toutes les formes sont sans rapport les unes avec les autres, et séparées de la personne qui les voit. Si les gens étaient conscients de la Conscience plutôt que des formes qui apparaissent en elle, ils réaliseraient que toutes les formes ne sont que des apparences qui se manifestent au sein de la Conscience une et indivisible. Cette Conscience est le Soi que vous cherchez. Vous pouvez être cette Conscience mais vous ne pouvez jamais la voir parce que ce n’est pas quelque chose qui est séparé de vous.
Question : Vous parlez beaucoup des vasanas. Pourriez-vous, s’il vous plaît, me dire ce qu’elles sont et comment elles fonctionnent ?
Annamalai Swami : Les vasanas sont les habitudes du mental. Ce sont les identifications erronées, les schémas de pensée répétitifs qui réapparaissent sans cesse. Ce sont les vasanas qui recouvrent l’expérience du Soi. Les vasanas s’élèvent, captent votre attention, et vous tiennent à l’extérieur vers le monde plutôt qu’à l’intérieur vers le Soi. Cela se passe tellement souvent et continuellement que le mental n’a jamais la moindre chance de se reposer ou de comprendre sa nature réelle. Les coqs aiment gratter le sol. C’est une habitude constante chez eux. Même sur un roc nu, ils essayent de gratter le sol. Les vasanas fonctionnent d’une manière très semblable.
Ce sont des habitudes et des schémas de pensée qui réapparaissent sans cesse, même si on ne les souhaite pas.
La plupart de nos idées et de nos pensées sont fausses. D’habitude, quand elles surviennent sous forme de vasanas, elles réussissent à se faire passer pour vraies à nos yeux. Les vasanas fondamentales telles que  « Je suis le corps » ou « Je suis le mental » sont survenues en nous tant de fois que nous admettons automatiquement qu’elles sont vraies.
Même notre désir de transcender nos vasanas est une vasana. Quand nous pensons : « Je dois méditer » ou  « Je dois faire un effort », nous ne faisons qu’organiser un combat entre deux vasanas différentes. Vous ne pouvez échapper aux habitudes du mental qu’en demeurant dans la conscience tant que Conscience.
Soyez celui que vous êtes. Soyez tel que vous êtes.
Soyez simplement tranquille. Ignorez toutes les vasanas qui apparaissent dans le mental et fixez plutôt votre attention dans le Soi.
Question : Bhagavan disait souvent aux dévots de  « rester tranquille ». Est-ce qu’il voulait dire  « rester mentalement tranquille » ?
Annamalai Swami : La fameuse instruction de Bhagavan  « summu iru » [reste tranquille] est souvent mal comprise. Elle ne signifie pas que vous devez rester physiquement tranquille ; elle signifie que vous devez toujours demeurer dans le Soi. S’il y a trop de repos physique, tamoguna [un état de torpeur] apparaît et prédomine. Dans cet état, vous aurez sommeil et vous vous sentirez lourd.
Rajoguna [un état d’excessive activité], de son côté, produit des émotions et un mental agité.
En sattva guna [un état de quiétude et de clarté], il y a tranquillité et harmonie. Si une certaine activité mentale s’avère nécessaire pendant que l’on est en sattva guna, elle a lieu. Mais le reste du temps, il y a tranquillité. Quand tamoguna et rajoguna prédominent, on ne peut pas sentir le Soi. Si sattva guna prédomine, on peut expérimenter paix, félicité, clarté et une absence de pensées vagabondes. C’est la tranquillité que Bhagavan prescrivait.
Question : Bhagavan, dans L’enseignement de Ramana Maharshi, parle de bhoga vasanas [vasanas qui provoquent le plaisir] et de bandha vasanas [vasanas qui produisent l’asservissement]. Il dit que pour le jnani il y a des bhoga vasanas mais pas de bandha vasanas. Swâmiji veut-il bien clarifier la différence ?
Annamalai Swami : Rien ne peut être cause d’asservissement pour le jnani parce que son mental est mort. En l’absence de mental, il ne se connaît lui-même qu’en tant que Conscience. Parce que le mental est mort, il ne peut plus s’identifier avec le corps. Mais bien qu’il sache qu’il n’est pas le corps, c’est un fait que le corps est encore en vie. Ce corps va continuer à vivre et le jnani va continuer d’en être conscient, jusqu’à ce que son propre karma [action destinée] soit épuisé. Comme le jnani est encore conscient du corps, il sera aussi conscient des pensées et des vasanas qui surviennent dans ce corps. Aucune de ces vasanas n’a le pouvoir de l’asservir parce qu’il ne s’identifie jamais avec elles, mais elles ont le pouvoir d’amener le corps à se comporter de certaines façons. Le corps du jnani éprouve du plaisir et fait l’expérience de ces vasanas bien que le jnani lui-même ne soit pas affecté par elles. C’est pourquoi l’on dit parfois que pour le jnani, il y a des bhoga vasanas mais pas de bandha vasanas.
Les bhoga vasanas diffèrent d’un jnani à l’autre. Des jnanis peuvent accumuler des richesses, d’autres peuvent rester assis en silence ; certains peuvent étudier les shastras [Écritures] tandis que d’autres peuvent rester illettrés ; certains peuvent se marier et élever une famille, mais d’autres peuvent rester des moines célibataires.
Ce sont les bhoga vasanas qui vont déterminer le genre de vie qu’un jnani va mener. Le jnani est conscient de toutes les conséquences de ces vasanas sans jamais s’identifier à elles. À cause de cela, il ne retombe jamais dans le samsara [l’illusion du monde].
Les vasanas surviennent à cause des habitudes et des pratiques des vies antérieures. C’est pourquoi elles diffèrent d’un jnani à l’autre. Quand les vasanas surviennent chez les gens ordinaires qui s’identifient encore avec le corps et le mental, elles provoquent attirances et répulsions. On en épouse certaines de tout cœur tandis qu’on en rejette d’autres comme indésirable. Ces attirances et ces répulsions engendrent des désirs et des peurs qui à leur tour produisent davantage de karma. Tant que vous portez des jugements sur ce qui est bon et mauvais, vous vous identifiez avec le mental et vous vous fabriquez du nouveau karma. Quand du nouveau karma a été créé de cette façon, cela signifie qu’il vous faudra reprendre naissance pour en jouir.
Le corps du jnani exécute tous les actes qui lui sont destinés. Mais parce que le jnani ne porte pas de jugements sur ce qui est bon ou mauvais, et parce qu’il n’éprouve ni attirance ni répulsions, il ne se crée pas de nouveau karma. Parce qu’il sait qu’il n’est pas le corps, il peut assister à toutes les activités de ce dernier en témoin, sans y être d’une quelconque façon impliqué. Rien n’attirait Bhagavan, rien n’était source de répulsion pour lui. Si nous éprouvons attractions où répulsions, si nous haïssons ou aimons quelqu’un ou quelque chose, un asservissement mental en résultera. Les jnanis n’éprouvent jamais ni attractions ni répulsion pour quoi ce soit. C’est pourquoi ils sont libres de tout asservissement. Il n’y aura pas de renaissance pour le jnani parce qu’une fois que le mental à été détruit, il n’est plus possible que du nouveau karma soit créé.
Question : Ainsi donc tout ce qui nous arrive dans la vie n’arrive qu’à cause de nos attirances et de nos répulsions passées ?
Annamalai Swami : Oui.
Question : Comment pouvons-nous apprendre à ne pas réagir quand des vasanas surviennent dans le mental ? Y a-t-il quelque chose de spécial à quoi nous devrions faire attention ?
Annamalai Swami : Vous devez apprendre à les reconnaître quand elles surviennent. C’est le seul moyen. Si vous pouvez les attraper assez tôt et assez fréquemment, elles ne vous causeront pas trop d’ennuis. Si vous voulez prêter attention à une zone de danger particulière, regardez comment opèrent les cinq sens. C’est la nature du mental que de rechercher de la stimulation à travers les cinq sens. Le mental s’empare des impressions des sens et les traite de manière telle qu’elles produisent de longues suites de pensées incontrôlées. Apprenez à observer comment vos sens se comportent. Apprenez à observer comment le mental réagit aux impressions des sens. Si vous pouvez empêcher le mental de réagir aux impressions des sens, vous pouvez éliminer un grand nombre de vos vasanas.

 

Nous avons la chance d’avoir en français quatre livres importants concernant Annamalaî et son enseignement : notamment deux livres de David Godman qui sont remarquables et très connus
-Annamalaï Swami une vie auprès de Ramana Maharshi
-Comme une montagne de camphre (magnifique livre)
-La corde et le serpent d’Anamalaï lui-même aux éditions Arfuyen
-perles de nectar: le journal de Sri Satguru Annamalaî