Dans l’article qui suit je me suis attaché à condenser l’enseignement de Siddharameshwar Maître de Nisargadatta, concernant notre voyage à la recherche du « je ». Il est parfois difficile à lire pour certains parce que son style date un peu mais n’oublions pas qu’il s’adressait au siècle dernier à des disciples hindous dont la culture n’est pas la nôtre. On sent cependant qu’il aborde l’essentiel et on voit déjà pointer l’enseignement de Nisargadatta, totalement fidèle à son Maître. Sa description des quatre corps est très intéressante et notamment celle du corps causal sur lequel il projette une lumière qui peut aider les chercheurs, un peu désemparés par moments par le vide qu’ils rencontrent. Toute recherche spirituelle sérieuse, après les « distractions » et les enthousiasmes des premiers moments amène en effet à ce vide dont il est important de connaître les causes afin de ne pas désespérer du but du voyage, car contrairement à ce qu’affirment trop fréquemment certaines personnes de nos jours, il y a bien un but et c’est lui qui doit vivifier notre recherche constamment. Puisse ce but continuer à vous mouvoir et vous émouvoir.
L’existence du « je » n’est que dans le mot lui-même, chacun proclame sans arrêt « je » suis sage, « je » suis grand, « je » suis ceci ou cela, mais en fait celui qui parle a oublié d’où il vient réellement.
Cherchons d’abord où se trouve notre « je » et une fois que nous l’aurons trouvé, alors nous pourrons voir comment l’abandonner. Chacun doit commencer sa recherche en lui-même, car ce « je » ne peut pas se trouver à l’extérieur de nous. Cet ego, ce sens de possession, est présent en tout être humain et toute action dans le monde est mue par cette force. Ceci est accepté par tous, alors que chaque action peut être accomplie sans même qu’il y ait le sens de l’ego ou du « mien ». Comment cela est-il possible ? Nous verrons cela plus loin, car pour l’instant contentons nous d’étudier le sens du « je » et du « mien ». Afin de cerner ce « je », étudions d’abord ce corps physique auquel nous tenons tant. Nous verrons après l’avoir analysé, si ce « je » réside quelque part dans ce corps. Qu’est-ce qu’un corps ? C’est un assemblage d’éléments tels que les mains, les pieds, la bouche, le nez, les oreilles, les yeux, etc. C’est l’ensemble de tous ces éléments que nous appelons : « corps ». Le « je » est-il l’un de ces éléments ? Si l’on dit par exemple, le « je » c’est la main, et que la main est coupée, personne ne dira : « j’ai » été coupé ou « j’ai » été jetée, mais plutôt : « je » me suis coupé la main. On parle donc de toutes ces parties comme étant « miennes » et le corps lui-même, qui est constitué de tous ces éléments est aussi déclaré être « mien ». On en déduit ainsi, que celui qui dit posséder ces membres et ce corps, est véritablement le maître, et qu’il est en fait différent de ce corps qu’il dit être sien. Le « je » n’est aucun élément du corps physique mais ils sont tous « miens ».
Maintenant si l’on poursuit le raisonnement, on peut dire que si le « je » n’existe pas, il n’y a rien qui puisse être appelé « mien », ce corps et ces membres ne peuvent donc pas m’appartenir. Ainsi puisqu’on ne peut trouver ce « je » nulle part dans le corps, comment peut-on dire que ce corps et ses tendances nous appartiennent ? À qui appartient-il alors ? Qui en est propriétaire ?
Les cinq éléments : la terre, l’eau, le feu, l’air, et l’éther, ont droit de propriété sur ce corps. Après la désintégration du corps, chacun des éléments prend sa part. Le corps est composé de ces cinq éléments et les matières qui constituaient cette enveloppe ont été reprises par leurs propriétaires respectifs. Lorsqu’il est absorbé par les cinq principes de ces éléments, il ne reste plus rien que l’on puisse appeler corps.
Ainsi, « je » ne suis pas dans le corps et le corps ne m’appartient pas.
Lorsque l’enfant d’un autre meurt, nous avons moins de peine que si nous avions perdu notre vieux chausson. C’est en fait parce que nous n’éprouvons pas le même sens de propriété envers un autre. Cependant lorsque nous comprenons que cette chose particulière que nous appelons « notre » corps, n’est pas « nôtre », mais qu’elle appartient en fait à « quelqu’un d’autre », nous devenons peu à peu indifférents à cet « autre » et nous y renonçons. Si nous comprenons cela, quel que soit l’état du corps nous n’en serons pas affecté.
Renoncer au corps ne veut pas dire qu’il faille le pousser dans un puits ou le pendre à une corde. Cela signifie simplement connaître ce qu’il est en réalité, cela se fait par la pensée et la discrimination. Lorsque nous le reconnaissons pour ce qu’il est, l’intérêt qu’on lui portait s’efface et le renoncement se fait automatiquement. Il y a plusieurs sortes de dissolution du corps :
-La dissolution quotidienne, que chacun connait bien puisqu’il s’agit du sommeil. Dans le sommeil profond, le monde entier y compris notre corps se dissout mais à notre réveil le corps et le monde sont présents comme avant et toutes les actions recommencent.
– La dissolution de la mort.
– La dissolution par la pensée discriminatrice est, elle, très puissante et tout à fait unique. Dans ce type de dissolution, non seulement le corps se dissout tandis qu’il vit, mais après la mort et la dissolution finale il ne se laisse pas renaître.
Mais nous n’avons toujours pas trouvé trace du « je », bien que nous ayons employé la méthode discriminative pour étudier le corps. Nous utiliserons la même méthode pour essayer de le trouver dans le corps subtil, et voir ainsi si cet usurpateur dénommé « je » s’y trouve.
Voyons tout d’abord ce qu’est le corps subtil : il comprend un haut comité de 17 membres, les cinq sens utilisés pour l’action, les cinq utilisés pour acquérir la connaissance, les cinq souffles(pranas), le mental et l’intellect. Tous les ordres de ce comité sont exécutés par les ouvriers du comité de travail, que constitue le corps physique. Le corps subtil dirige ainsi un domaine très vaste, il serait donc bien possible de détecter le « je » dans ce corps car il est avide de pouvoir. Lorsque nous entreprenons notre recherche, nous constatons que là aussi, ce « je » a imposé son cachet « mien ». Tout ce que nous y trouvons est aussi appelé « mes » sens, « mes » pranas, « mon » intellect. Pourtant on n’y entend pas : « je suis l’intellect ». Là aussi le « je » se pavane comme étant le propriétaire, mais lui-même reste invisible. Ainsi selon le principe : « Il ne peut rien y avoir que j’appelle mien là où « je » ne suis pas présent, le corps subtil ou ses membres, ne peuvent pas être moi.
Le corps subtil est telle une enveloppe fine et soyeuse de cinq principes. Même s’il est difficile de défaire un nœud de soie par la pensée, nous devons nous efforcer de le dénouer. Lorsque les liens sont défaits, le renoncement à ce corps s’effectue automatiquement. Le corps subtil, qui est de la nature du désir, est la graine de naissance et de mort, mais si cette graine passe dans le feu de la connaissance, bien qu’elle puisse sembler intacte, elle ne pourra plus germer.
Mais à ce stade, un doute pourrait surgir : si l’on renonce au corps subtil et au corps physique, et si le sens du « je » et du « mien » disparait également, nos actions risquent de s’arrêter ou de manquer d’efficacité. Nous pouvons dissiper ce doute. Supposons que quelqu’un mette un objet sous clef en croyant qu’il est en or, le jour où il se rend compte que ce n’est que du cuivre, il peut décider indifféremment de le laisser dans le coffre ou de l’enlever, le plus important étant que l’attachement à l’objet a disparu. On ne perdra donc rien de plus si l’attachement au corps disparaît.
Cependant le disciple qui n’a qu’une compréhension intellectuelle (ce qui est plus facile que de faire l’expérience de l’Être), peut se demander : « Peut-on accomplir les devoirs du monde lorsqu’on a atteint la connaissance de soi et que le sens de possession du corps et du mental sont abandonnés ? » Pour le rassurer, l’Être Réalisé répond : « Cher disciple, après avoir perçu la futilité du corps et du mental on peut avoir un foyer et des enfants sans y introduire l’ego. On peut s’occuper très bien de son foyer et accomplir avec diligence toutes les tâches nécessaires qu’on effectuait auparavant. ».
Pour que les tâches soient accomplies, il n’est absolument pas nécessaire que celui qui les effectue fasse intervenir le sens de la possession. L’espoir de Réalisation s’éloigne si l’on s’attache à l’idée que les corps physiques ou subtils sont l’Être !
Mais après avoir considéré ces deux corps, nous ne savons toujours pas où est situé ce « je » qui semblait au départ si évident.
Poursuivons donc nos recherches par l’analyse du corps suivant : le corps causal.
Mais que se passe-t-il ? Dès que nous y pénétrons, nous nous trouvons dans l’obscurité la plus complète. Est-il possible que le « je » réside dans ce vide ? Il semble bien que ce soit là son quartier général et que nous ayons quelque chance de l’y trouver. Essayons !
Le « je » semble avoir renoncé à son sens de possession, car il n’y a rien que je puisse appeler « mien » dans ce lieu. Tout est absolument calme. Le « je » qui criait bruyamment dans les deux autres corps : « Je, Je », semble ici totalement silencieux. On dirait qu’il joue à cache-cache pour ne pas se faire prendre par celui qui le recherche. Il semble s’être retranché dans l’obscurité, prêt à y entraîner le chercheur, pour le contraindre à abandonner sa quête.
Nombreux sont les érudits qui ont fait demi-tour à ce point, mais chers disciples vous n’avez rien à craindre car vous êtes guidés par un Être Réalisé, digne de confiance.
Après avoir séjourné un certain temps dans l’obscurité, vous êtes maintenant stabilisé dans cet état. Soudain vous entendez une voix s’élever doucement : « je suis le témoin de ce vide », alors le courage grandit soudain, tout comme l’espoir d’attraper le voleur qui est ici quelque part. Il est là tout prêt, ou un peu plus loin, mais il est là témoin du vide. La quête consiste ici à observer avec vigilance et nous verrons comment y parvenir pendant notre prochaine étape.
Le « je » observe, depuis le corps supra-causal, bien au-delà du corps causal. Cela est compris instantanément et le « je » est si heureux de se retrouver lui-même ! Qui peut décrire cette joie ? C’est dans cette félicité que le « je » clame « Aham Brahmasmi » : je suis le Brahman, l’Essence de toute chose. Celui qui dit « je » est donc le « Brahman omniprésent » dont la nature est la conscience « je suis », et il est débordant de félicité. Lorsque cette certitude s’établit, des ondes de joie déferlent et après que cette félicité diminue, je comprends que je ne suis même pas de la nature de la conscience/connaissance et, tout comme l’ignorance m’enveloppe, la conscience me recouvre, non que je sois né avec l’ignorance ou la conscience. Elles sont arrivées après que le « Je » devint « je » et cet ordre successif semble montrer que c’est moi qui les ait créées. Cette conscience est donc mon enfant et « Je » suis son père, en tant que tel, je suis autre que cette conscience. Après ces réflexions le corps supra-causal, commence aussi à décliner et finit même par disparaître et je me trouve absolument nu bien sûr ! On ne peut donc décrire qui est ce « je », ni comment il est.
Si vous voulez une description du « je » qui se trouve là, vous pouvez prononcer n’importe quel mot du dictionnaire et je dirai : « Ce n’est pas ceci, ce n’est pas cela ! », mais c’est celui qui éclaire ceci et cela.
Si vous ne comprenez pas ce que je viens de dire, oubliez les mots et abîmez- vous dans le silence profond afin de trouver qui est : « je suis ».
NB : Je rappelle que tous les textes cités de Siddharameshwar ont été publiés dans deux livres parus aux éditions « Les deux Océans » :
-La clef de la Réalisation de soi.
-Embrasser l’immortalité.