Quelques réflexions au sujet du livre d’un moine chartreux.

On m’a offert récemment un livre, écrit par un anonyme moine chartreux et publié aux presses de la Renaissance, dont la couverture est en exergue au début de cet article. L’ensemble du livre est d’une grande profondeur et consiste en une méditation réflexive sur les béatitudes évoquées dans l’évangile.
Il est toujours enrichissant de lire et de partager l’expérience d’un homme de foi sincère, engagé dans une voie érémitique. La saveur du partage  est d’autant plus grande que celui-ci est associé à une pratique authentique et non à une discussion purement conceptuelle. Je veux en extraire ci- après un passage qui m’a semblé dense et intéressant, j’y ajouterai à la fin quelques réflexions à partir de ma propre expérience.

Le détachement :
Il n’y a pas de paix sans détachement. Il n’y a pas de détachement sans renoncement effectif.
Ça y est, le mot dur ! Car nos passions nous portent vers ce qui est agréable, délicieux, vers ce que nous aimons. Elles nous écartent de ce qui est désagréable ou nuisible, de ce que nous craignons ou haïssons. La voie du renoncement est la voie de la mort, d’un retranchement de vie, d’une mortification des sens. Aujourd’hui comme toujours, on n’en veut pas. Mais écoutez le Christ : « Si quelqu’un veut venir à ma suite, qu’il renonce à lui-même et prenne sa croix, et qu’il me suive ; »(Mt 16,24). «Suivre nu le Christ nu» disaient les rudes moines. Il n’y a pas de raccourci. Mais j’aime la vie et tout ce qui est beau et vital ! Tant mieux, c’est un premier pas vers l’Amour, c’est une force à mieux diriger, à canaliser, non pas à étouffer. Saint jean Climaque dans l’échelle sainte dit que : « L’insensibilité est la mort de l’âme, et de l’intelligence, avant la mort du corps . »
Pour être chrétien, un renoncement s’impose à tout ce qui est contre la volonté de Dieu et son dessein sur nous. Mais cela est un travail de vie et non de mort, qui nous ouvre à la vie, à la surabondante vie du Christ ressuscité, à la vitalité de l’Esprit.
Pour être un homme de prière il faut quelque chose de plus. Il faut la paix intérieure, il faut habituer nos yeux à une lumière tout autre, en les fermant à la lumière naturelle. Il faut un détachement à l’égard de tout ce qui n’est pas Dieu ou pas transparent à Dieu. Il faut le silence à l’écoute de ce qui est plus que la parole. Il faut entrer dans les profondeurs de son être où le cœur et l’intelligence, dans leur racine indifférenciée, sont un. Là où Dieu touche, influence la racine de l’être, donnant l’esse, donnant par grâce sa propre vie, se donnant lui-même.
Tant parler de détachement n’est pas sans courir le risque de donner à ce sujet plus d’importance qu’il n’en mérite. Certes le détachement des choses est un élément essentiel de la vie spirituelle. Cela ne veut pas dire que l’on soit obligé de faire un effort continuel de volonté pour se détacher. Une constante préoccupation de cette nature a quelque chose de malsain et aboutit parfois à une attitude négative et amère qui sent assez peu la joie et la simplicité chrétiennes. Et au fond, elle donne trop d’importance, à des choses secondaires. Être constamment préoccupé de se refuser une chose, c’est susciter le désir de la posséder et lui conférer de l’importance. Le royaume de Dieu n’est pas fait de telles choses. Il « n’est pas affaire  de nourriture ou de boisson ; il est justice, paix et joie dans l’Esprit Saint. »(Rm 14, 17) . Le vrai contemplatif n’a pas besoin de toujours faire effort  pour mortifier ses désirs. Du seul fait de son amour, son cœur est orienté vers Dieu et les choses de Dieu ; ou plutôt il constate que les choses le quittent et se détachent de lui. Il les oublie vite, tant il est fasciné par la découverte du mystère merveilleux.
NDLR : ce sont quasiment les mots qu’emploie Bernard quand il évoque le détachement qui s’opère naturellement à cause de la passion du chercheur.
Ne soyons pas comme des gens craintifs qui, en montagne, ne quittent pas des yeux leurs pieds de peur de trébucher et ne peuvent jouir des grands horizons et des grands espaces. Ayons quant à nous l’audace d’être joyeux…
Mais il y a de fausses routes possibles. D’abord il s’agit de voir clair…….
La grande différence entre un vide mental cherché pour lui-même et un vide chrétien vrai est ceci : l’un rend le cœur fermé à tout désir et à toute passion, donc le met à l’abri de toute souffrance ; l’autre met toute la puissance du cœur au service de l’Amour, discipline les passions du corps et de l’âme et canalise leur force au service de la charité. Le chrétien n’est jamais à l’abri de la souffrance, car sa loi est l’ amour : face aux misères de la vie et à la souffrance des autres, l’amour devient compassion. Il souffre donc. Une apathéia ( l’impassibilité) qui exclurait la compassion ne pourrait être que l’endurcissement de l’égoïsme pur.

NDLR : Je suis totalement en accord avec cette assertion, mais il est utile de faire extrêmement attention à ce que l’on appelle compassion, qui n’est en rien une mièvrerie pseudo-humaniste, qui va dans le sens de complaisance avec l’autre. Une compassion réelle peut parfois revêtir extérieurement un aspect sévère ou perturbant. Ainsi un maître zen peut parfois par compassion choquer un disciple. Ceci se résume sommairement par le dicton populaire : « Qui aime bien, châtie bien ! ». Voir à ce sujet dans ce blog mon article : « des caricatures à l’Amour véritable : du don de l’œuf au don du cœur ! ». J’ai souvent observé en effet dans les milieux chrétiens ce détournement de la compassion dans une attitude d’ « amour mielleux et pesant » qui frise l’agression inconsciente, car le récipiendaire ne se sent pas aimé du tout.

Le détachement ne peut se faire qu’avec de la diplomatie, et peu à peu, comme on apprivoise un cheval sauvage…Le but ce n’est pas la destruction des passions, mais leur réhabilitation, selon la véritable hiérarchie des valeurs. Pour autant que ce but n’est pas encore atteint, il faut cultiver l’attention, la vigilance, qui veille à la porte du cœur pour rejeter les mauvais désirs avant qu’ils puissent même entrer dans le cœur. « . L’apathéia(impassibilité) ne consiste pas à ne point éprouver les passions, mais à ne point les accueillir »( saint Isaac le syrien)
Mais cela est négatif à longue échéance. Il est en fait plus efficace d’exorciser le mal en vivant le bien ; Il faut s’emparer de l’énergie des passions et les diriger vers le bien, vers Dieu. Les psychologues modernes nous diraient qu’il faut sublimer la force des passions en la transférant des objets plus bas, plus sensuels, à des objets plus hauts, plus nobles, plus spirituels. Les anciens connaissaient cela très bien : Saint maxime disait déjà il y a mille cinq cents ans : « L’âme parfaite est celle dont la puissance même des passions s’est tournée vers Dieu. « C’est là la paix : l’hèsychia.

 Risques du yoga pour un chrétien.

Dans toutes les religions, les hommes qui ont cherché à vivre leur vie en profondeur ont reconnu la nécessité d’une certaine rupture avec le monde extérieur pour entrer en soi-même. Il y a évidemment la nécessité d’empêcher l’attention de se porter vers d’autres objets et de la fixer sur le seul objet qu’on veut examiner de plus près. Toute étude exige cela, toute  prière le suppose à quelque degré. Mais ce qui nous intéresse est tout autre chose. Il s’agit de la recherche de Dieu, de l’Absolu. L’expérience mystique se trouve dans toutes les religions développées ; toutes sont unanimes à dire qu’une telle expérience exige le détachement à l’égard de toute créature( comme telle) et le dépassement de toute représentation. Dieu est le Tout-Autre.
C’est finalement le sens de notre solitude ; il vaut donc la peine de le comprendre un peu plus exactement, car il y a des solitudes-paix qui ne sont guère possibles pour un chrétien. Je veux parler ici du yoga. Mon propos ne sera pas d’émettre un jugement de valeur sur le yoga en tant que tel, comme voie spirituelle- cela exigerait un traitement tout autre, plus nuancé et ouvert à ses richesses-, mais plutôt d’évoquer ses risques lorsqu’il est pratiqué hors de son contexte vivant.
Nul doute que le yoga est une voie spirituelle de détachement qui va extrêmement loin. Il vise un détachement des sens, de l’imagination, de la raison discursive, des passions, de l’égoïsme. Il assure dans une certaine mesure, une maîtrise des fonctions physiologiques et psychologiques, et une intégration de la personnalité. Il est une sagesse, car il élève l’homme au-dessus du tiraillement des désirs et du contingent, c’est cela la solution au problème de la souffrance. La massive et paisible immobilité de la figure sculptée du Bouddha en est l’illustration. Elle vise la paix de toutes ses forces.
Mais au fond cette démarche risque d’aboutir à un échec, dans une béatitude s’enfermant en elle-même. Les efforts ne parviennent qu’à isoler l’essence de son propre être personnel pour en avoir une expérience directe, intuitive. Le but est l’en-stasie(et non l’ex-tasie) de l’âme se contemplant elle-même dans son essence à un niveau plus profond que le niveau physique ou psychologique.
Cela est déjà beaucoup pour un homme, c’est un retour à l’état d’innocence enfantine. Les liens du désir et donc du péché sont coupés, mais il n’y a pas de place pour l’Amour (car il est une passion à supprimer aussi), ni donc de vertu positive. La discipline yogique peut procurer une des plus hautes formes de la béatitude purement naturelle, mais elle n’est pas vision de Dieu. Elle crée un vide dans l’âme et une inclusion de l’âme en soi-même, qui peuvent  être des conditions négatives pour la réception des dons mystiques De plus, si elle est logique avec elle-même et conforme aux principes philosophiques qui la sous-tendent, elle exclut l’expérience de Dieu dans le sens où il n’y a pas de Dieu autre que soi. Ou bien l’âme est conçue comme une monade isolée, un petit monde absolument indépendant hors duquel rien n’existe, ou bien l’âme est l’Absolue (Brahman), Dieu. Sa tâche est de se libérer non seulement de toutes ses attaches à quoi que ce soit d’autre (qui n’est qu’illusion : maya), mais même de sa propre personnalité, pour être réabsorbée dans sa source. Il n’est pas question d’union d’Amour, car il n’y a pour finir que le Soi.
N’oublions pas non plus que le vide créé dans l’esprit, peut être la porte ouverte à toutes sortes d’incursions du subconscient et du démon– vous vous souvenez de la parabole évangélique du retour de l’esprit impur dans l’âme « inoccupée, balayée, mise en ordre…et le dernier état de cet homme devient pire que le premier(Mt12,43-45). Tout dépend de la motivation de l’effort ascétique qui crée le vide. Si on cherche la paix humaine, la jouissance de soi-même par la solitude et l’isolement, on peut ou bien trouver cette paix, mais on n’ira pas au-delà, ou bien laisser la voie libre aux pouvoirs destructeurs de la personnalité. Peu de gens savent maintenir leur équilibre psychologique en solitude.

Le discernement des esprits n’est pas toujours facile, car une telle recherche de paix égoïste pourrait très bien s’exprimer dans une terminologie religieuse. Quand nous disons que nous cherchons Dieu, est-il certain que c’est Dieu que nous cherchons ? cela a une importance pratique pour nous, moines. On pourrait être en cellule, en solitude et bien contents, mais en fait loin de Dieu. Comment l’éviter ?
Il faut que la volonté et l’esprit, disons le cœur, soit fixé fermement en Dieu lui-même, l’Être Absolu qui est la Bonté et la vérité, et duquel tous dépendent . Il faut que son effort ascétique pour créer un espace vide, une oreille qui écoute, un cœur qui attend, ne soit que la réponse à une action divine ; que ce soit Dieu qui commence à faire taire le cœur en infusant en lui un goût secret pour une présence immédiate, en lui donnant d’entrevoir une lumière obscure tout autre que celle apportée par des concepts et des mots, en laissant deviner la présence d’une personne qui regarde, qui se communique.
Parfois certains commençants après avoir lu nombre de livres spirituels et assimilé la doctrine philosophique sur la transcendance de Dieu par rapport à toute connaissance discursive, arrivent assez vite à la conviction sans nuance qu’on ne peut rien connaître de Dieu et qu’on doit se tenir devant lui l’esprit vide d’images et d’idées. Ils pourraient alors délibérément s’établir dans un vide total qui ressemble par certains aspects au vide mystique, mais qui n’est pas le même. Il n’est qu’une absence , un silence imposé par la volonté à la suite d’un raisonnement et qui ne comporte ni l’intuition obscure de l’intelligence, informée par la foi, ni l’élan de l’Amour vrai s’élevant au-dessus de toute médiation pour toucher à la PERSONNE aimée, qui assure la qualité de présence essentielle au « vrai vide »….Il faut avoir l’humilité de suivre l’action de l’Esprit et de ne pas vouloir brûler les étapes. Le faux vide sera amer et ses fruits seront l’impatience avec soi-même, le repli sur soi, l’esprit de critique, le jugement des autres. L’énergie ainsi brutalement refoulée, sans être assumée, cherchera des débouchés dans l’affirmation de soi agressive, des éclats de colère, une activité excessive, des compensations diverses….Le principe de base est de suivre toujours la grâce de nous laisser conduire par l’Esprit, au lieu de vouloir imposer notre manière de voir, fatalement courte et intéressée .

Réflexions : ces considérations sur le détachement nécessaire et sur les risques du yoga se révèlent être assez pertinentes et je suis en accord avec pas mal de choses qui ont été énoncées. Les dangers évoqués sur un vide qui ne serait pas un vrai vide sont également applicables à une voie bouddhiste ou non duelle. Il n’en reste pas moins que demeurent , en ce qui me concerne, plutôt qu’un certain malaise, disons certaines limites au partage avec un frère chrétien . Elles sont inhérentes à la voie spécifique de chacun et ne doivent pas constituer des obstacles aux échanges mais doivent être pleinement reconnues et assumées sous peine de tomber dans un syncrétisme de mauvais aloi.
Quelle que soit la hauteur de vue et la sagesse d’un interlocuteur chrétien on arrive toujours au-delà des points nombreux de concordance entre les voies chrétiennes et non- dualistes(bouddhiste, védantistes) à une sorte de butoir. Cet obstacle repose sur deux points essentiels :
le caractère unique et spécifique de l’incarnation divine dans le Christ. On peut arranger les choses comme on veut, un Chrétien authentique n’admet jamais d’autres incarnations divines que celle du Christ ou du moins ne les mettra -t-il pas à la même hauteur que le Christ.
Le second point réside en la spécificité de l’union d’amour entre le fidèle et la divinité qui conserve intégralement les caractères uniques du fidèle, sa particularité. Ce qui est par essence la caractéristique d’une voie duelle , dans laquelle il y a une grande différence entre le fidèle et la divinité avec laquelle il entre en amour. Le chrétien, pour le dire succinctement , veut continuer à garder son identité pour jouir de l’Aimé, et maintenir ainsi la différence. Il est de ce fait opposé à une fusion indifférenciée.Cette volonté absolue de garder à tout prix son identité dans le christianisme, m’a toujours fait penser à ce dont parle souvent Bernard : le moteur de toute croyance, de toute religion est la peur de la mort qu’il faut conjurer de toutes ses forces. J’ai toujours constaté par expérience la vérité de cette assertion, mais je n’affirme en aucune manière que ceci est la vérité pour ce point précis, simplement je ne peux m’empêcher de faire l’association.
L’auteur malgré ses précautions d’usage et ses réserves de jugement sur le yoga , se positionne tout de même , je n’en donnerai pour preuve que ces passages :
-« Les liens du désir et donc du péché sont coupés, mais il n’y a pas de place pour l’Amour (car il est une passion à supprimer aussi) ». Il faut avouer que cette assertion est un peu caricaturale et frise le mépris. C’est énorme de dire qu’il n’y a pas de place pour L’Amour dans cette recherche et ceci exclut trop rapidement tout l’Amour qui rayonne des maîtres orientaux , toutes écoles confondues( Bouddhisme- vedanta etc…). Plus loin il parle « d’une  recherche de paix égoïste » et encore plus loin :« Sa tâche est de se libérer non seulement de toutes ses attaches à quoi que ce soit d’autre (qui n’est qu’illusion : maya), mais même de sa propre personnalité, pour être réabsorbée dans sa source. Il n’est pas question d’union d’Amour, car il n’y a pour finir que le Soi ». C’est un raccourci assez rapide qui exclut trop vite l’AMOUR qui suinte dans tous les mots de Ramana, de Bernard et de tous les maîtres de la non-dualité. Alors j’accorde qu’il n’y a pas amour comme le conçoit la doctrine chrétienne, mais Bernard parle de fusion d’Amour, que pendant sa recherche on est constamment tiré par l’Amour, aiguillonnée par lui.  le Soi ,lui-même, est tout Amour dans lequel on fusionne.
Je suis tout à fait d’accord et je l’ai souvent dénoncé, sur le fait que la véritable recherche spirituelle, n’a rien à voir avec le développement personnel, si en vogue à notre époque, et qui lui effectivement, peut-être taxé de recherche égoïste, mais l’auteur semble inclure dans ce cas, ceux qui ne sont pas chrétiens comme lui. Et il dit également que  : « le vide créé par ce genre de voie , peut-être la porte ouverte à toutes sortes d’incursion du subconscient et du démon » Là on a la panoplie totale et on retrouve ce genre de critique des voies orientales chez bon nombre de chrétiens à l’heure actuelle, aussi bien catholiques, qu’orthodoxes. Le démon revient un peu à toutes les sauces. Je pense notamment au père Verlinde , qui fort de l’expérience qu’il a vécu dans la méditation transcendantale s’est mis en devoir de jeter le discrédit sur ce qu’il considère comme hérétique, mélangeant hardiment le new age, le yoga, la naturopathie etc.. sans grand discernement.
Il est vrai que ce dernier siècle a vu l’écroulement de la pratique chez beaucoup de chrétiens ,dont certains effectivement, se sont tournés vers les voies orientales et je comprends que cela ait affecté les prêtres, qui d’une manière très humaine ont envie de juguler l’hémorragie. Je suis conscient également, et je l’ai d’ailleurs souvent souligné sur ce blog, qu’il y a effectivement des tas de déviations excessives, et des « pseudo spiritualités » qui éclosent dans tous les sens. Il est très difficile d’y voir clair, pour toute personne sincère, et cela demande un énorme discernement.
Je désirais soulever ces points par honnêteté, mais ils n’enlèvent rien à la valeur du témoignage magnifique de ce chartreux et à la beauté de son livre, il dit d’ailleurs un peu plus loin :
 « Chacun a sa voie à suivre. Par rapport à l’individu concret qui seul existe, il n’y a pas de voie plus haute ou plus basse. Il n’y a que la voie tracée par Dieu pour chacun, et la perfection personnelle consiste à suivre cette voie avec la plus grande fidélité et la plus grande docilité possible ……………et un peu plus loin : « Retenons de ces considérations qu’il ne faut jamais juger, comparer, surtout mépriser autrui ou se croire supérieur parce que l’on a reçu quelques dons de la grâce. Dans les choses de la foi, la voie humble, cachée, dépouillée, est la plus sûre, bienheureux les pauvres de cœur. »

Dont acte ! Je le crois profondément sincère! Mais qu’il semble dur à l’être humain d’accepter les différences sans porter de jugement, sans endosser un subtil dédain de supériorité ou sans tomber dans un relativisme fallacieux. Bien sûr tout ne se vaut pas et il y a certes des hiérarchies de valeur mais il est extrêmement difficile de les percevoir avec justesse et sagesse.
Je me suis souvent dit qu’il était peut-être inévitable pour la plupart des gens de penser que leur voie était la plus haute, sinon ils n’arriveraient pas à y croire.
Une foi du charbonnier, un peu exaltée et prosélyte est sûrement incontournable pour de nombreuses personnes et elle est justifiée par le fait qu’il est tout à fait humain de vouloir faire partager à ceux que l’on aime ce qui nous convient et nous fait du bien .
Mais justement les gens sont très différents et même à l’intérieur d’une même voie, ce qui convient à l’un peut ne pas convenir à l’autre.
C’est d’ailleurs un des premiers points que Bernard m’a transmis : SURTOUT NE PAS VOULOIR CONVAINCRE MAIS TÉMOIGNER !
Ce problème est équitablement réparti dans toutes les voies, car si je viens de dénoncer l’attitude chrétienne, j’ai souvent entendu dans le zen des gens parlant d’un grand sage et disant : « c’est dommage qu’il ne fasse  pas Zazen! », et les chrétiens de leur côté disent :  « Ce n’est pas mal ce qu’ils font, Dieu leur envoie ce dont ils ont besoin pour le moment mais un jour il les conduira à Jésus Christ ! ».
Ceci est un exemple parmi d’autres mais se décline sous de multiples autres modalités .
En fait un non dualiste a autant de mal à admettre la personnification de Dieu qu’un chrétien en a, à admettre l’impersonnalité de la voie non duelle .
Je crois que chaque voie véritable correspond à un genre de personne spécifique et ce qui est très dommageable dans tous les cas c’est de s’astreindre à suivre et à vouloir se convaincre d’une voie qui n’est absolument pas en adéquation avec notre ressenti profond ; Il faut se faire confiance .
Ne pas juger les autres, car celui que nous considérons aujourd’hui comme une crapule, sera peut-être demain un saint, bien avant nous ! Faisons ce que nous avons à faire…………………….Avec Amour ! Comme dirait Bernard !

PS : Craignant d’être un peu trop excessif ou critique dans cet article, je l’ai soumis à la lecture de mon ami Jean Marc Vivenza, se revendiquant lui-même de la tradition occidentale et du christianisme. Ceci étant fait, dans le but d’adoucir éventuellement mes propos, pour ne blesser personne. Sa réponse ci-dessous , m’a rassuré et fait que j’édite cet article sans aucune modification.
« Beaucoup de choses à dire évidemment…
Paradoxalement, bien que me situant moi-même dans la tradition occidentale, je suis très réservé sur les positions de ce moine chrétien…
Je pense, avec d’autres, qu’il y a place pour le non-dualisme dans le christianisme, dans la mesure où l’on se libère d’une conception étroite de l’incarnation, et d’un Christ limité à la vie publique et la parole de l’évangile.
On est loin, vraiment loin, dans la vision de ce chartreux, des élévations spirituelles de Maître Eckart, ou du nuage d’inconnaissance, ou encore du christianisme transcendant.
Je partage donc tes réserves et aurais même été dans mon compte rendu, plus critique et sévère que toi »