La solitude du chercheur de fond .

 

Bernard Harmand.

Nous traversons vraiment une époque délicate , dans laquelle un chercheur sérieux a beaucoup de difficultés à trouver sa voie et à se positionner en parfait accord avec lui-même. Les traditions aussi belles et profondes , fussent-elles au départ , se sont affaiblies et dégradées  avec le vieillissement. Ce n’est pas monstrueux, c’est simplement humain et normal. Toute chose, toute institution, quelle qu’elle soit, a une naissance, un apogée, un déclin et une mort. Pourquoi faudrait-il s’en offusquer ? L’important est simplement de bien observer et de s’en rendre compte.
Le problème pour un chercheur c’est de trouver la voie juste entre les extrêmes qui se présentent. Certains par sécurité préfèrent et je le comprends, rester dans une voie traditionnelle, quelles que soient ses imperfections et sa décadence, car elles ont peur à juste titre de se fier à leur ego et de rentrer dans une autosuffisance de complaisance. Je comprends d’autant mieux cette position, que je me rends compte à posteriori ,que c’est exactement celle que j’ai adoptée en suivant pendant plus de 20 ans les structures du zen et sa discipline. De ce fait j’ai un total respect pour les personnes qui continuent à s’engager dans différentes voies, malgré les limites qu’elles y observent. Cette attitude humble est préférable aux personnes « trop tôt sorties du nid » et qui telles des grenouilles veulent se faire aussi grosses que le boeuf. Le problème, et c’est le titre d’un autre de mes articles, c’est de bien savoir ressentir quand  « l’école est finie ! »
D’autres plus hardis ont compris que le navire était en train de sombrer et se raccrochent fermement à leur planche, ils s’appuient sur les connaissances acquises et fondent des groupes de toutes sortes, au risque de se laisser emballer par la dilatation de leur ego.
Il me semble, mais peut-être est-ce une conception erronée et limitée, qu’à notre époque, et pour de multiples raisons, il est  devenu nécessaire, si l’on veut rester intègre d’affronter la solitude du chercheur de fond.
Les religions telles que nous les avons connues sont en totale perte de vitesse. Malgré des « lifting » ou des « aggiornamentos » plus pathétiques que profonds, elles sont souvent prises comme des radeaux de survie dans la tempête. Il est toujours plus rassurant de se raccrocher plutôt que de couler , mais au bout du compte le résultat sera le même !
C’est vraiment une époque terrible dans laquelle on ne choisit plus ce à quoi on adhère le plus avec passion, mais ce que l’on rejette le moins. (idem en politique). Quelle tristesse ! Quel désabusement ! Quelle tiédeur ! Quel manque d’enthousiasme !
La solitude que je revendique n’est pas simple à assumer. Elle a un prix et est une véritable ascèse au moins aussi dure que celles qui étaient nécessaires dans les voies traditionnelles. J’ose même affirmer, beaucoup plus, car comme je le disais plus haut, le groupe n’est plus là pour à la fois apporter un réconfort affectif (on parle souvent de famille spirituelle) et en même temps réguler l’ego. Le problème et je l’ai finement analysé, c’est que l’être humain éprouve de sérieuses difficultés à se confronter à cette ascèse et a tendance lorsqu’il quitte une voie établie, à conserver les traits égotiques qu’il avait à l’intérieur de cette voie et il n’opère pas un changement véritable, pourtant si nécessaire.
IL Y A JUSTE DEPLACEMENT D’EGO !
Ainsi l’on quitte un groupe déjà décadent mais pour en refaire un de suite, ce qui est encore plus grave puisqu’au moins dans le groupe (aussi dégradé qu’il pouvait être) il y avait une régulation automatique de l’ego, obligé que l’on était à se confronter à celui des autres.
C’est ainsi que l’on voit fleurir sur internet une multitude de groupes, sous-groupes, pseudo gurus, pseudo enseignants et c’est l’horreur des egos affichés et revendiqués, chacun prétendant bien sûr être dans la vérité.
Cette solitude nécessite donc un énorme travail de discernement quant à son positionnement personnel face aux illusions de la voie qui se présentent en masse.
J’ai compris cela en quittant le zen , alors que des tas de gens me sollicitaient pour faire un groupe parallèle. Un peu confus au départ j’ai rapidement saisi qu’il était vain, prétentieux, inutile et contre-productif de faire un DOJO BIS ! C’eût été passer à côté du tranchant de la remise en question et de l’ascèse que je devais rencontrer pour être en accord profond avec moi-même.
Il me semble nécessaire de faire table rase, de repartir humblement au statut de chercheur de base, bien entendu sans rejeter tous les apports précieux qui nous ont été donnés lors de ces longues années, mais ceux-ci ne doivent servir qu’à donner un coup de pouce éventuel aux autres chercheurs et ne nous donne en rien une prééminence quelconque.
Je me suis rendu compte au début, à quel point malheureusement j’avais été contaminé par la hiérarchie et l’ego zen, qui, insidieusement cherchait à reparaître. Une patiente observation au cours du temps, m’a ramené à plus d’humilité .
Cette ascèse véritable, de la solitude, doit mener à un accord profond avec ce qui est , à une autonomie apparente qui n’est pas celle d’un ego enfermé dans son coin et ses certitudes , mais d’un ego qui ayant retrouvé la saveur de l’humilité, se dissout peu à peu dans le vaste océan du Soi.
Pour être parfaitement honnête, en ce qui me concerne, cette solitude n’est qu’extérieure et fait suite à LA RENCONTRE avec celui qui étant passé « au delà du par delà » m’a permis d’affronter ce défi avec une réserve d’Amour telle que tout  devient léger et joyeux.
De plus je suis rassuré par son exemple : en effet après sa Réalisation il a mis un terme au groupe qu’il dirigeait encore à cette époque et a refusé de faire toute conférence et présence à quelque média que ce soit. J’ai d’ailleurs eu du mal à comprendre au début pourquoi un être de telle envergure se refusait à toute publicité et semblait ainsi se maintenir dans un apparent égoïsme.
Ah ce fameux mot d’égoïsme ! Critique facile et récurrente et qui est d’ailleurs souvent l’argument employé par ceux qui, eux-mêmes embourbés dans leurs illusions, sont très loin de comprendre le trésor que recèle ces êtres qui « agissent en silence ».
Plutôt que de se remettre soi-même en question, il est souvent plus facile de projeter sur autrui ses insuffisances.

Concernant ce sujet il est important de citer pour finir , cet épisode rapporté par Annamalaï Swami, le plus proche disciple de Ramana Maharshi, et consigné dans son carnet :
« Un jour une dame qui servait à la fête du Congrès vint pour le darshan de Sri Bhagavan Maharshi, après un moment elle lui demanda :
De nombreux grands sages comme vous ont voyagé pour le bien de l’humanité, donnant des conférences et apportant aux gens les lumières de la connaissance. Contrairement à eux vous restez assis béatement, en silence, quelque part tout seul dans un coin : comment cela peut-il être utile au monde?
Sri Bhagavan répondit avec un sourire :
« Se connaître soi-même et demeurer dans cet état, cela seul est le plus grand bienfait que l’on peut apporter au monde. Monter sur une scène ou donner des conférences peut-être un bienfait seulement pour quelques uns et pendant ce moment tandis que l’éloquence du silence peut-être entendue par le monde entier et pour toujours . Cela fonctionne éternellement. »
J’ajoute qu’à un autre moment, à quelqu’un qui lui faisait le même reproche, Bernard répondit  , reprenant des termes identiques à ceux de Ramana: « Je fais des conférences silencieuses toute la nuit ! »
Comment ne pas terminer cet article sans citer la fin de la merveilleuse prière d’Elisabeth de la Trinité, nous invitant tout naturellement au Silence :

« Ô mes trois, mon Tout, ma Béatitude
Solitude infinie, immensité où je me perds,
Je me livre à Vous comme une proie,
Ensevelissez-vous en moi,
Pour que je m’ensevelisse en Vous, en attendant d‘aller contempler en Votre Lumière l’abîme de Vos grandeurs. »