Faut pas prendre les canards sauvages pour des enfants du Bon Dieu !

0000168_gal_005_med

Photo extraite du film: « Faut pas prendre les enfants du Bon Dieu pour des canards sauvages »

ramana_wide

Ramana Maharshi.

En allant consulter, suite à la demande d’une amie, le énième site d’un conférencier « éveillé », je me faisais la remarque que cet homme au fond avait l’air sympathique comme tant d’autres , et que son discours comportait des éléments de vérité .

Mais à chaque fois je ne peux m’empêcher d’être interpellé par l’accroissement exponentiel du nombre de ces conférenciers sur la toile.Manifestement ils ont remplacé les prêtres et ensuite les psychanalystes tombés en désuétude.

Il y a vraiment, me semble-t-il un phénomène sociologique de l’éclatement des religions et des traditions. Et personnellement j’adhère pleinement à cet enseignement hindou qui postule que chaque civilisation suit trois phases successives de croissance, d’apogée et ensuite de dégénérescence. Ainsi la nôtre selon cet enseignement serait parvenue au stade du Kali Yuga qui est justement cette période de dégénérescence.

Cette dernière est caractérisée par une accélération du temps, une multiplication effrénée des informations nouvelles,un délitement des valeurs anciennes, une multiplication de la quantité au détriment de la qualité( pour ceux que ce sujet intéresse je conseille la lecture de l’excellent livre de René Guénon: Le règne de la quantité et les signes des temps) : on constate en effet que le progrès technique va de plus en plus vite et qu’un ordinateur par exemple ou un portable est presque démodé quelques mois après son achat. Un autre exemple pour illustrer cette accélération est de penser un instant aux changements époustouflants qu’a pu vivre une personne née en 1920 par exemple et morte en 2010

Je peux comprendre que l’on aime rester sur une position hyper positive de cette prolifération d’ « éveillés » en tous genres, en essayant de voir la multiplicité des possibles qui s’offrent ainsi à l’individu pour sa recherche: c’est vrai d’un certain côté: que suivant cette loi cyclique hindoue , il y a toujours après la putréfaction et la mort, la renaissance de quelque chose .C’est dans ce sens que de nombreuses personnes voient dans ce foisonnement le signe d’un renouveau succédant aux ruines de la tradition devenue désuète et vidée de sa substance.
En ce qui me concerne je suis beaucoup plus nuancé , et réaliste me semble-t-il,et je pense qu’il ne faut pas sauter les étapes et voir le renouveau avant la fin de la décomposition.
Il faut bien prendre garde que nous sommes encore au cœur même de celle-ci, que la nuit n’est pas finie et que même si c’est tentant on ne peut assimiler la clarté de la lune à celle du soleil levant.Et tous ces enthousiasmes de la soi-disant ère du verseau qui arrive, avec les nouveaux messies ,me semblent être un refus de la constatation de la décomposition.
Quand on meurt il y a douleur, et de multiples aléas, même si la paix vient à un moment donné.Il en va de même pour une civilisation ou une tradition.

Et comme je le rappelle souvent non sans une certaine familiarité :

« les latrines sentiront toujours les latrines et la rose sentira toujours  la rose ». Inutile de faire des contorsions en tous sens pour échapper à cette vérité basique que même les vaporisateurs les plus sophistiqués ne feront que recouvrir!

On ne sait jamais devant ce flot de conférenciers actuels et de prédicateurs en tous genres, s’ils font partie de la dégénérescence ou de la reconstruction, du monde à venir ou de celui qui expire.Car par définition les temps du Kali Yuga sont troublés et induisent en erreur : même la psychologie classique en tient compte puisqu’elle met en garde de plus en plus envers les pervers narcissiques qui semblent proliférer à notre époque.
On peut penser, et je suis bien sûr entièrement d’accord sur ce point que : seul l’enthousiasme de la recherche est important, mais je ferais une nuance entre un enthousiasme positif et un autre plus obscur teinté des effluves du Kali Yuga.

Tous les gens qui se sont fait abuser et parfois très douloureusement par les pervers sont enthousiastes, car c’est justement une des fonctions d’un pervers de séduire à outrance et d’enthousiasmer.
D’où me semble t’il qu’il faille développer un énorme discernement: valeur phare plus que nécessaire dans notre époque troublée, bien entendu en faisant attention à ce qu’il ne vire pas à la paranoïa et au désabusement démobilisateur.

De fait une certaine méfiance est devenue de mise à notre époque, même si elle était moins nécessaire à d’autres .

Ce conférencier qui parle avec brio, ce politicien qui fait de même ont-ils un réel charisme de cœur pour faire croître les bons côtés des êtres auxquels ils s’adressent ou sont-ils en train de les hypnotiser pour faire passer leur ego en manque de reconnaissance ?

L’autre danger que je vois dans cette multiplicité des conférenciers c’est que même dans le cas où ils sont positifs et apportent de fait des éléments de vérité, ils soient utilisés par les personnes pour ne pas rentrer dans le véritable dépouillement inhérent à toute sadhana et recherche véritable.Il incombait traditionnellement au Guru de confronter son disciple à toutes ses contradictions , de le mener à la « mort » de son petit « moi » par épuisement .Ceci dit en passant la rencontre avec le Guru n’intervenait qu’après une éducation complète et harmonieuse des parents qui étaient censés avoir donné à l’enfant tout l’Amour dont il avait besoin pour s’épanouir.

Alors qu’à notre époque de nombreux chercheurs arrivent à la « spiritualité » plus chargés de leurs failles et de leurs demandes d’amour « infantiles », que vraiment désireux de s’engager de manière mâture dans une aventure exceptionnelle certes mais qui va tout exiger d’eux-mêmes..
C’est encore bien un des traits de notre époque: la fuite de l’engagement : car ce que je dis au niveau des Gurus ,se passe également au niveau des couples, des familles: le couple ( Ma Ananda Mayi et d’autres en parlent bien), était vraiment une sadhana complète, le fait d’élever des enfants aussi et la recherche s’incluait dans cet ensemble harmonieux, Ramana par exemple n’a jamais recommandé(bien au contraire!) de quitter sa famille pour poursuivre sa recherche.Bernard a fait toute la, sienne en étant au sein d’une famille avec quatre enfants.
Maintenant on est assez rapidement désengagé , démotivé, et au premier jupon qui passe on s’échappe, pour refaire soi-disant une nouvelle vie (alors qu’évidemment on est en pleine répétition et que les problèmes vont se reposer)….…

Plus d’engagement……trop difficile ! Car bien sûr si l’on reste relié longtemps à une femme ou à un homme, ou à un Guru, il va nécessairement y avoir des moments de tension qui vont nous mener à la déconstruction de notre petit ego pour accéder à une dimension beaucoup plus vaste.

Que peut faire un conférencier actuel, même sincère, même s’il a atteint à un certain niveau spirituel, s’il n’y a pas un engagement réel, profond et sincère de la personne?A la première remarque, ou parce qu’il a plus regardé (nous semble t’il!) le voisin ou la voisine, ou tout simplement parce que ses paroles ne correspondent plus à nos attentes égoïstes, on passe à un autre qui semble mieux parler ou mieux nous plaire………..C’est vraiment, on me le concédera, un des traits dominants de l’époque….

Mais c’est ainsi, et bien sûr je reste persuadé que chacun fait ce qu’il peut et essaye d’être le plus sincère possible, mais le point qui me paraît de plus en plus important et dont avec l’expérience je me rends compte qu’il est un des seuls à transmettre c’est  vraiment de:

VOIR SANS AUCUN JUGEMENT CE QUI EST , CE QUE NOUS SOMMES.

Mais ceci s’avère très difficile car nous sommes si souvent dans un énorme décalage entre ce que nous croyons être et ce qui est.Arnaud Desjardins le disait souvent avec sa gouaille habituelle mais c’est si vrai: « Ne pas croire que l’on est en terminale alors que l’on n’a pas encore appris à lire »C’est apparemment simple mais cela prend du temps!En tout cas lorsque je regarde le visage de Ramana qui remue le cœur, même au travers d’une photo, lorsque j’écoute Bernard me parler avec passion et Amour de sa recherche je suis rassuré et je constate avec bonheur que les canards sauvages n’ont pas encore envahi tout l’espace du chercheur.