Différence entre Amour et dépendance, l’Amour est-il possible ?

Amour fou.

Dépendance.

 

J’ai découvert un merveilleux texte d’un addictologue canadien réputé, qui est totalement entré en résonance à la fois avec mon expérience d’addictologue mais aussi et surtout  avec celle de chercheur spirituel.
Bien souvent des personnes ont remis en question un point sur lequel Bernard revient constamment et qu’il considère comme le plus important de la recherche : La Passion, la forte détermination , l’Amour fou ! L’Amour pour rien !
Les raisons invoquées pour cette remise en question sont la plupart du temps : que ces termes ne correspondent pas au détachement nécessaire et à la mise à distance par rapport à un désir d’obtention, allant à l’encontre d’une démarche spirituelle saine.
Je crois que non seulement cette assertion est totalement erronée mais qu’en plus elle nécessite une précision de vocabulaire, qui servira également pour la lecture de cet article. Le mot passion , n’est peut-être pas en effet le plus adapté dans la mesure où il a une connotation de souffrance et évoque toutes ces passions amoureuses plus destructrices qu’édifiantes. La racine latine du mot signifie d’ailleurs  souffrance. Ce serait en effet absurde de penser qu’à un moment quelconque, Bernard ait pu assimiler sa recherche à une souffrance, un pensum. Vous verrez d’ailleurs dans ce texte que le mot passion n’est aucunement pris dans cette acception de souffrance. Il faudrait au passage trouver un autre mot pour ce genre de passion. Celui « d’Amour fou » dont parle Bernard me convient bien. Comme il le répète souvent: « On est totalement « pris » par « l’Amour fou » de cette recherche. 
On peut légitimement se demander, et c’est ce que fait l’auteur de cet article, dans quelle mesure cet Amour fou, cette passion sont différentes d’une dépendance destructrice. Il exprime magnifiquement cela et ses mots sont de magnifiques catalyseurs pour notre recherche.

« Toute passion peut devenir une dépendance ; mais comment peut-on les distinguer l’une de l’autre ? La question fondamentale est : « Qui l’emporte : l’individu ou son comportement ? » Il est possible de dominer une passion ; une passion obsessive impossible à maîtriser est une dépendance. Une dépendance est un comportement qu’une personne répète inlassablement, même si elle sait qu’elle peut lui faire du tort ou en faire aux autres. Ce que les autres perçoivent de l’extérieur ne compte pas. L’élément clé est la relation que l’individu entretient intérieurement avec sa passion et les comportements que sa passion entraîne chez lui.
En cas de doute, posez-vous une question bien simple :   : compte tenu du mal que vous vous faites et que vous faites aux autres, êtes vous disposé à changer de comportement ? Si vous répondez non, vous avez une dépendance. Si vous êtes incapables de renoncer à un comportement ou à persévérer lorsque vous y renoncez, vous êtes accro.
Naturellement, toutes les formes de dépendance ont un aspect troublant plus profond : le déni de la réalité. Contre toute raison, on refuse de reconnaître que l’on se fait du mal ou qu’on en fait à quelqu’un d’autre. En mode déni, une personne refuse totalement de se poser la moindre question. Pour trouver des réponses, regardez autour de vous. Vous sentez-vous plus proche des personnes que vous aimez lorsque vous satisfaites votre passion ou vous en sentez-vous plus isolé ? Avez-vous l’impression de mieux savoir qui vous êtes ou vous retrouvez-vous avec un sentiment de vide ?
On peut comparer la différence entre la passion et la dépendance à celle entre l’étincelle divine et la flamme qui consume tout.
Le feu sacré grâce auquel Moïse a senti la Présence de Dieu sur le Mont Horeb, n’a pas détruit le buisson ardent d’où il s’élevait : et le message de Yahvé lui est apparu dans une flamme au milieu d’un buisson. Il a vu : le buisson est ardent mais il n’est pas consumé !
LA PASSION EST LE FEU SACRÉ, ELLE EST LA VIE ET LA BÉATITUDE, ELLE EST LA LUMIÈRE ET L’INSPIRATION. LA PASSION EST GÉNÉREUSE PARCE QU’ELLE N’EST PAS MOTIVÉE PAR L’EGO ; LA DÉPENDANCE EST EGOÎSTE.
La passion est un don et une richesse, tandis que la dépendance est une voleuse. La passion est source de vérité et d’illumination ; la dépendance mène à l’obscurité.
Une personne vit plus pleinement lorsqu’une passion l’anime et elle triomphe même si elle n’atteint pas son but.
En revanche la dépendance doit produire un résultat qui nourrit l’ego ; sans ce résultat, l’ego éprouve un sentiment de vide et de manque. Sachez qu’une passion dévorante à laquelle vous ne pouvez résister, quelles que soient les conséquences, est une dépendance.
Une personne peut consacrer toute sa vie ,à une passion, et s’il s’agit véritablement d’une passion et non d’une dépendance, elle s’y consacrera en toute liberté, dans la joie, avec le sentiment de s’affirmer et d’affirmer ses valeurs les plus profondes. Dans la dépendance, il n’y a ni joie, ni liberté, ni affirmation de soi.L’accro cache son visage couvert de honte dans les coins sombres de son existence.
La dépendance est un sinistre simulacre de la passion et pour l’observateur naïf, le mimétisme est parfait. Elle ressemble à la passion par l’urgence et la promesse de son accomplissement, mais ses fruits sont illusoires. La dépendance est un trou noir. Plus on la nourrit, plus elle devient exigeante. Contrairement à la passion, l’alchimie n’opère pas, la dépendance ne crée rien de nouveau. Elle dégrade tout ce qu’elle touche. Elle diminue les êtres dans tous les sens du terme.
La dépendance agit comme une force centrifuge. Elle vous draine de votre énergie et crée le vide autour de vous. Une passion vous donne de l’énergie, tout en enrichissant vos rapports avec les autres. Elle vous donne des ailes et rend les autres plus forts. La passion favorise la création, la dépendance consume- d’abord l’accro, puis les gens autour de lui. »
Docteur Gabor Maté dans le livre : Les dépendances, ces fantômes insatiables.

Ce texte nous montre donc avec évidence en quoi l’Amour est totalement différent de la dépendance. Il n’en reste pas moins que ce mot Amour a du mal à passer dans l’époque contemporaine. Je m’en suis vraiment rendu compte dès le début de ma rencontre avec Bernard et d’une manière assez douloureuse. Totalement imprégné de mon entretien avec lui et de l’Amour justement qui s’en était dégagé, j’exprimais par écrit ce ressenti à un enseignant du zen. J’appris par la suite, par un de ses proches, qu’à la lecture de ma lettre il s’était exclamé : « L’Amour beurk ! » et qu’il avait totalement dénigré ma nouvelle orientation. Je lui ai depuis pardonné cette outrance, comprenant justement, que pour la plupart des occidentaux, ce terme tellement connoté, provoquait le rejet, car il était totalement assimilé à de la mièvrerie sentimentale. Plusieurs personnes se demandaient alors comment la hauteur des enseignements zen qui m’avaient nourri, pouvait-elle s’accommoder de cette sucrerie dégoulinante ? Il est vrai que je fus d’autant plus impressionné par ma rencontre avec Bernard, que dans le zen je n’avais guère entendu parler d’Amour. On y parlait certes de compassion, mais à mon sens cela se réduisait trop souvent à un concept humaniste qui sauvait les apparences ,  mais qui n’atteignait pas, à mon humble avis, la profondeur de ce que je ressentis à l’époque.
Si même d’éminents enseignants ont cette réaction  , combien plus sera-t-elle présente dans toutes les couches de la société. Alors comment donner sa juste place à l’Amour sans qu’il soit de suite déconsidéré ? L’Amour est-il encore possible ? Peut-on encore parler de lui au delà  des sourires sceptiques, des doutes et des désabusements ? La réponse m’est venue en partie suite à la lecture d’un très bel entretien de Soljenitsyne, qui traite justement de ce problème et qui d’une manière , certes moins sévère que l’enseignant zen précité, dit en substance  ses justes réticences :
«  Que l’Amour sauve tout est un point de vue chrétien, absolument juste, auquel Tolstoï s’accorde. Mon objection est la suivante : au vingtième siècle nous sommes tombés si bas, nous nous sommes enfoncés dans de tels abîmes, que poser comme exigence l’Amour qui sauve tout, c’est comme si on voulait sauter d’un seul coup très haut. Je considère que c’est pratiquement impossible. Je pense qu’il est nécessaire d’offrir des étapes intermédiaires, afin que l’on puisse y arriver.
Si vous dîtes à l’humanité actuelle : « Aimez -vous les uns les autres », vous n’arriverez à rien ! Vous n’arriverez pas à sauver par l’Amour. Il est nécessaire d’envoyer des appels intermédiaires plus mesurés. L’un de ces appels pourrait être de ne pas agir contre la justice, de ne pas enfreindre la justice telle qu’on la comprend.
Non pas aimer tout le monde, mais au moins dans un premier temps, ne pas faire à autrui ce que l’on ne voudrait pas que l’on fasse à nous-même.
POUR LE MOINS : NE RIEN FAIRE QUI PUISSE TROUBLER SA CONSCIENCE ! Ce serait un premier degré vers l’Amour ! Nous ne pouvons atteindre ce but d’un seul coup, car nous sommes tombés beaucoup trop bas.
Journaliste : Donc les appels politiques du pape Jean Paul 2 pour l’Amour ne servent pas à grand-chose selon vous ?
Pourquoi seraient-ils inutiles ? Le christianisme ne peut pas renoncer à son maximum. Son appel du christianisme à l’Amour est parfaitement juste. Le pape qui se trouve au sommet de l’échelle hiérarchique exprime sa pensée comme au nom du Christ. Le christianisme doit absolument continuer à affirmer cette valeur mais quand on descend vers le quotidien, vers les conversations et les décisions quotidiennes, je considère que l’appel à l’Amour n’est pas vraiment efficace. Il faut d’abord en appeler à la justice, au respect de sa propre conscience ;
NE PAS AGIR CONTRE SA PROPRE CONSCIENCE C’EST LE PREMIER PAS À FAIRE ! »

Soljenitsyne dans un entretien sur Apostrophes en 1983.

Au fond nous voyons que revient toujours cette notion de base, que nous sommes tombés bien bas à notre époque et que dans différents domaines, nous sommes tellement éloignés de l’idéal entrevu, qu’il est inévitable de procéder par paliers. C’est d’ailleurs dans ce sens que j’évoquais les pratiques préliminaires et la purification dans l’article précédent.
Il faut composer avec la dégradation de l’époque et cela inclut de reconsidérer certains modes d’approche, qui certes, eussent été valables dans d’autres temps mais qui sont obstruées momentanément par la confusion contemporaine.
Pour conclure il est évident que l’Amour est possible et c’est effectivement la seule chose, je peux le dire par expérience,  qui reste le fondement essentiel de toute vie.
Quelque soit notre cheminement nous en arriverons toujours d’une manière ou d’une autre à l’Amour, même si certains parcours peuvent être plus sinueux que d’autres. Et rappelons nous avec émotion ces dernières paroles d’Elisabeth de la Trinité juste avant de mourir :

«  il faut tout faire par Amour…. au seuil de la vie, l’Amour seul demeure » 

«  Je vais à la Lumière, à l’Amour, à la Vie …. »