Bernard nous a habitués à sortir des sentiers battus du conformisme, mais comme nous avons vu également que la mesure n’était pas sa tasse de thé, il va encore dans ce domaine nous surprendre, voire en choquer plus d’un. Faisant fi des modes bien établies et des poncifs de la pensée contemporaine admis sans discernement, il déclare sans ambages à qui veut l’entendre : « L’inconscient n’existe pas »
L’auteur de ces lignes thérapeute de profession, avoue avoir été quelque peu remué par cette déclaration qui remet tellement en question des notions essentielles. Concernant cette épineuse question, j’ai eu à l’époque un entretien avec Bernard un peu brut de « décoffrage » dans lequel il exposait son ressenti à ce sujet. Ce sera le premier texte inclus in extenso ci-dessous. Suite à cet entretien, j’avais beaucoup mieux saisi la position de Bernard mais il me restait une petite gêne tout de même car je n’arrivais pas à dégager totalement cette assertion de « l’inexistence de l’inconscient » d’un côté provocateur qui était difficile à faire passer dans ce monde où le docteur Freud était devenu un modèle quasi incontournable. Or récemment, m’étant replongé dans l’œuvre du célèbre métaphysicien : René Guénon, lui aussi référence sérieuse, incontournable dans les milieux spirituels, quelle ne fut pas ma surprise de découvrir sa position qui allait exactement dans le même sens que celle de Bernard.
Il est passionnant de mettre les deux textes en parallèle car autant celui de Bernard exprime le ressenti sans concession d’un Être Réalisé avec un langage « brut », autant celui de Guénon emprunte un discours philosophique détaillé et argumenté, voire obscur et sec pour certains. Il faut signaler au passage et pour être tout à fait honnête, que ce texte de René Guénon fait partie d’essais qu’il a écrits tout au début alors qu’il était encore professeur et qu’ils ont été sortis de ses papiers posthumes sans son accord (voir le livre Psychologie aux éditions Arche Milano duquel est tiré l’extrait qui va suivre ), peut-être ne les aurait-il pas publiés, mais ils sont tout de même une indication importante sur son œuvre future, qui ne renie en rien d’ailleurs ses premières assertions car les lecteurs de Guénon savent à quel point il avait des mots durs vis-à-vis « des explorateurs de l’inconscient » qu’il rapprochait de la contre-initiation, voyant dans ces pratiques obscures des attitudes anti-traditionnelles.Je mettrai donc une partie de ce texte de Guénon suite au texte de Bernard afin que chacun puisse se faire son idée.
Je voudrais finir cette introduction en jetant totalement le trouble chez le lecteur qui est avide de certitudes intellectuelles inébranlables, en signalant simplement qu’un autre grand sage de la non- dualité, le Guru d’Arnaud Desjardins : Swami Prajnanpad, qui professait un vedanta purement traditionnel était lui, tout à fait un défenseur de Freud qu’il considérait comme un des personnages les plus importants du XXe siècle. Un de ses disciples a d’ailleurs écrit une thèse sur Freud et lui-même dans son travail avec ses disciples utilisait, dans ce qu’il appelait « les lyings », une méthode de « purification de l’inconscient » qui s’apparentait très fort à la psychanalyse. Une fois de plus me dira-t-on : « Comment s’y retrouver, y voir clair dans ces contradictions inextricables ? ». Je rappelle ce que dit toujours Bernard :
« Il n’y a pas une Vérité » avec un grand V et c’est à chacun avec sa conscience de progresser en utilisant les outils qui lui conviennent à chaque instant.
Avant de rencontrer Bernard, j’ai moi-même en mon temps beaucoup lu et apprécié Prajnanpad, Freud, Lacan : je ne renie rien et aucune confusion ne persiste à ce sujet : chaque Être Réalisé a son propre langage : l’important étant qu’il rentre en résonance et cohérence avec sa propre expérience et sa Réalisation.
Gardez donc confiance dans la Voie et n’oubliez pas que tous les mots et les outils ne sont qu’un modeste essai, bien imparfait :
L’ESSENTIEL RESTANT LA REALISATION FINALE.
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Texte de Bernard :
Question : Encore une question qui va te faire bondir mais qui n’est pas claire depuis que je te connais, parce que je pense que nous n’utilisons pas les mêmes mots. Lorsque tu dis : « L’inconscient n’existe pas ! »…
B : Oui, effectivement il n’y a que moi qui le dise apparemment.
Question : Pourtant tu as lu et beaucoup apprécié Jung en son temps ?
B: Mais il n’est pas allé jusqu’au bout du chemin, Jung ! Quand Einstein que j’adore parle de Dieu il dit bien : « au cas où ! ». Pour moi Dieu n’existe pas et en ce qui concerne l’inconscient c’est la même chose ; si tu me le montres, alors j’y croirai !
Question : Mais il y a des choses que l’on ne voit pas et dont on perçoit les effets, comme l’atome par exemple.
B : L’atome est quand même mesurable.
Question : Bien sûr, mais l’inconscient a des effets dans le rêve par exemple…
B : Tu sais seulement que tu as rêvé quand tu sors du rêve.
Question : Oui mais tout ce qu’a étudié Freud et je suis tout de même d’accord avec lui…
B : Alors là je pourrais en dire du mal, de Freud ! C’était sûrement un grand névrosé. Il n’avait rien expérimenté de ce qu’il dit. Notre recherche est le contraire des croyances de Freud. Dans l’acception que l’on utilise tous les jours lorsque les gens disent : « Tu l’as fait inconsciemment », ça veut dire que tu ne l’as pas fait vraiment ! Pour qu’une chose soit vraie il faut que j’en aie conscience. Pour moi « chercheur », je le rappelle toujours, n’existent que les choses dont je suis conscient. L’inconscient est mesurable si j’en fais l’expérience, et pour pouvoir en faire l’expérience il faut que je sois conscient. Je ne joue pas sur les mots ! C’est simplement ce qu’on vit nous-mêmes ! Si ce n’est pas conscient ce n’est pas vécu.
Question : Oui mais on peut avoir accès par exemple…
B : Oui, en idée !
Question : Non, dans une situation concrète. Par exemple si je me dispute avec ma femme avec une violence disproportionnée par rapport au sujet de la dispute, je peux avoir accès grâce à ma connaissance de l’inconscient au fait que je viens d’avoir une réaction disproportionnée, parce qu’en réalité quelque chose de plus profond a été touché. Alors là j’ai accès à autre chose au fond de moi.
B : Pourquoi autre chose ?
Question : Parce que la réflexion qu’elle m’a faite m’a peut-être touché et que je me rends compte que je n’aurais jamais dû réagir comme cela. Elle a donc touché quelque chose de plus profond que je découvre.
B : Pourquoi appelles-tu inconscient ce dont tu es en train de parler ?
Question : C’est quelque chose qui arrive à la conscience à l’occasion de cette dispute.
B : Bien sûr, mais ce sont des sentiments, ça n’a rien à voir avec l’inconscient.
Question : Oui parce qu’alors pour toi le mot inconscient veut dire quelque chose qui ne peut pas….
B : Pour moi c’est parfaitement clair : l’inconscient n’existe pas ! C’est galvaudé ! Si elle a touché quelque chose en toi c’est ta sensibilité, c’est ton cœur, ce sont tes sentiments, mais ça n’a rien à voir avec l’inconscient. En plus tu en parles donc tu as conscience de cela. A aucun moment il n’y a quelque chose d’inconscient là-dedans. On pourrait appeler ça l’indéterminé, le non-prévu, je ne sais pas, mais surtout pas l’inconscient. Il me semble que l’on n’utilise pas le mot de la même manière ?
Question : Non, et c’est bien pour cela que je désirais tes précisions.
B : La façon dont le terme est souvent utilisé revient à nous prendre pour des imbéciles. J’entends souvent dire qu’une personne a fait quelque chose inconsciemment. Ça n’existe pas. Le chercheur, je dirais même surtout le chercheur, doit être tellement conscient de ce qu’il vit. Seul ce qu’il est dans l’instant présent existe. Hier c’est fini, demain c’est peut-être. Dans l’instant présent je suis conscient ou je ne suis pas. Tu vois, c’est dans ce sens-là que je parle, après on peut utiliser les mots comme on veut après tout, comme le mot guru par exemple, mais enfin ce n’est pas très grave.
Toi tu vis l’instant présent car seul l’instant présent est expérimental. Quand demain sera expérimenté ce sera aujourd’hui. Si on arrive à vraiment comprendre cela, alors quelle avancée !
On n’expérimente que l’instant présent, donc on est toujours dans le présent.
Ça c’est extraordinaire à voir, et bien entendu on le voit consciemment. Il n’y a donc que cela qui nous intéresse. Le reste est simplement une base de travail, enfin tu sais ce que c’est, tu as lu tant de choses là-dessus. Après il n’y a rien à regretter. Ce qui est important est de savoir ce que je vis moi-même, là, en ce moment. Je suis. La seule certitude que tu aies en ce moment est d’être, au-delà des mots, parce qu’on se fiche des grandes phrases. Je ne sais pas si c’est ce que je voulais dire, j’ai un peu de mal avec les mots parfois.
Question : Non mais c’est très bien, merci. »
On perçoit dans ce dialogue la force et la sensibilité de Bernard qui ne choque que pour aider son interlocuteur à atteindre le seul but qui compte, celui de la Réalisation, et peu lui importe que les concepts de toutes sortes soient bousculés au passage. On passerait vraiment à côté de choses importantes si on s’arrêtait à ses premières réactions conceptuelles. Le mental en effet est retors et ne veut pas capituler. Bernard dit d’ailleurs que lorsque l’on est en présence d’un être Réalisé, on devrait laisser son mental à la porte, bien écouter avec son cœur et le reprendre par la suite, si toutefois on en éprouve encore le besoin.
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Texte de René Guénon :
Après avoir montré quel est l’objet de la psychologie et quelle est la méthode qui convient à cet objet, la première question qu’il y a lieu de traiter est celle de la conscience, car la conscience, quelle que soit d’ailleurs la façon dont on pourra être amené à la définir, est la forme commune de tous les faits psychologiques, aussi bien des faits émotifs et volitifs que des faits proprement intellectuels.
Avant tout, comme il est nécessaire de s’entendre sur le sens précis et sur la portée exacte des termes que l’on emploie, nous devons avoir soin de noter que quand nous parlons de la conscience nous ne donnons aucunement à ce mot le sens courant qu’il a dans le langage vulgaire, c’est-à-dire l’acception spéciale de conscience morale : celle-ci peut être considérée tout au plus comme formant un domaine très particulier à l’intérieur du domaine plus étendu de la conscience psychologique.
On ne peut séparer aucune pensée, aucun sentiment, aucune volition de la conscience : autant vaudrait parler d’une pensée qui ne serait point pensée, sentiment point senti, volition point voulue.
La thèse d’après laquelle il y aurait des phénomènes psychologiques inconscients serait donc contradictoire dans les termes même : la condition essentielle du phénomène psychologique n’est-elle pas d’être perçu ?
Nous ne voulons pas dire, cependant qu’en tout fait psychologique soit renfermé cet acte de réflexion qui consiste à penser qu’on pense, qu’on sent, qu’on veut, mais du moins est-il certain qu’il n’y a pas de pensée, par exemple, sans que l’être qui pense sache, au moins à quelque degré, qu’il pense.
D’ailleurs l’être du phénomène mental consiste à être perçu, sans cela rien ne le distinguerait des autres phénomènes, rien ne lui reste si on lui enlève cela ; ainsi donc, de même que le phénomène psychologique n’est pas simple épiphénomène du phénomène physiologique, de même la conscience n’est pas un simple épiphénomène du phénomène physiologique.
Tout fait psychologique est conscient et inversement : certains philosophes avaient le tort de faire de la conscience une faculté à part qui était pour eux, par rapport au phénomène physiologique, comme un œil qui regarderait passer devant lui des objets. En réalité, ni la conscience ni le phénomène psychologique ne sont intelligibles l’un sans l’autre : sans un phénomène psychologique, la conscience n’est qu’une forme vide, et sans conscience, le phénomène n’a plus une nature à part et il est impossible de le distinguer des phénomènes non psychologiques.
Il nous reste à établir avec quelques détails qu’il n’y a pas d’inconscient psychologique, bien que cela puisse paraître évident d’après ce que nous avons déjà dit.
La question peut être posée ainsi : « Tout ce qui est conscient à un degré quelconque (car nous prenons le terme de conscience dans son sens le plus étendu et la conscience claire et distincte ne constitue pas forcément toute la conscience) pourra être dit psychologique », et c’est là un point que personne ne conteste, mais pourra-t-on dire inversement que : « Rien de ce qui est inconscient n’est psychologique » ou que : « il n’y a pas d’inconscient psychologique ». Tout dépend évidemment ici du sens que l’on donne au mot psychologique.
Si on le voit synonyme de conscient, par définition la question est par là même résolue ou plutôt supprimée et il faut bien reconnaître qu’il y a en effet dans toutes les branches de la philosophie des questions qui n’existent que parce qu’elles sont mal posées ; cependant il faut toujours se rendre compte des raisons pour lesquelles ces questions ont pu se poser en fait et, d’autre part, une assimilation comme celle du psychologique et du conscient, si elle devait être purement verbale, ne présenterait pas un grand intérêt.
En effet, il reste encore à définir nettement la conscience entendue dans son sens général, puis il faudrait prouver qu’il y a de l’inconscient, sans quoi le domaine de la psychologie comprendrait tous les phénomènes possibles et alors toutes les autres sciences n’auraient plus leur raison d’être, sinon comme de simples branches de cette psychologie ( c’est la question précédemment posée sous cette forme : « Y-a-t-il véritablement d’autres phénomènes que les phénomènes psychologiques ? «
Ou bien, pour écarter cette difficulté, il faudrait spécifier que la psychologie étudie non pas précisément les phénomènes conscients, ce qui suppose qu’il y en a d’inconscients, mais les phénomènes en tant qu’ils sont conscients, tandis que les autres sciences étudient les phénomènes (les mêmes ou d’autres) sous d’autres aspects ou sous d’autres modalités.
Si maintenant on admet que la nature d’un phénomène en tant que phénomène, au sens d’apparence, et sans se préoccuper de ce qu’il peut y avoir derrière cette apparence, n’est au fond rien d’autre que l’aspect ou le point de vue sous lequel on l’envisage, il sera légitime de considérer les phénomènes psychologiques, c’est-à-dire les phénomènes envisagés sous le point de vue de la conscience, comme constituant une classe spéciale de phénomènes ou un cas particulier des phénomènes en général, puisque la conscience n’est plus, alors, que le point de vue sous lequel la psychologie étudie des phénomènes et non plus quelque chose qui est supposé appartenir à certains phénomènes à l’exclusion des autres.
Il n’y a donc pas, dans ces conditions, à présupposer qu’il existe différentes catégories de phénomènes irréductibles les unes aux autres, mais seulement à admettre ( ce qui n’implique aucune hypothèse particulière) que pour étudier les phénomènes nous pouvons nous placer à un certain nombre de points de vue différents et ce sont alors ces points de vue qui constituent pour nous les objets d’autant de sciences distinctes.
La psychologie sera donc l’une de ces sciences, celle qui étudie les phénomènes en tant que conscients c’est-à-dire au point de vue de la conscience.Seront dits psychologiques les phénomènes qui sont susceptibles d’être envisagés de cette façon et en tant que nous les envisagerons effectivement ainsi.
Sans rien préjuger quant à la nature de la conscience, ces explications, en précisant la façon dont doit être compris l’objet de la psychologie, rendent encore plus évidente l’assertion qu’il ne peut pas y avoir d’inconscient psychologique ; cependant en fait, certains psychologues ont admis cet inconscient : nous sommes assurés que ce ne peut être qu’une illusion, mais nous devons nous demander ce qui a pu donner naissance à cette illusion.
Nous avons déjà dit que la conscience claire et distincte n’est peut-être pas toute la conscience et, en effet, elle est loin de renfermer tout ce que les psychologues qui admettent l’inconscient se croient obligés de rejeter dans cet inconscient, lequel perdra toute raison d’être si nous montrons qu’il y a en fait et logiquement du subconscient.
Le subconscient est encore du conscient, bien qu’il soit en dehors du domaine de la conscience claire et distincte : il est comme une sorte de prolongement ou d’extension de la conscience, et la démonstration de l’existence de ce subconscient fera évanouir tout argument en faveur du prétendu inconscient psychologique.
Tout d’abord les phénomènes psychologiques qui durent trop peu ne peuvent pas être clairement conscients ; quand ces phénomènes sont recouverts trop vite par ceux qui les suivent, il est facile de s’expliquer qu’ils ne peuvent être remarqués, ni à plus forte raison être remémorés ensuite, du moins dans les conditions de la vie psychologique ordinaire.
Cela suffit déjà pour faire comprendre l’existence de phénomènes psychologiques subconscients, c’est-à-dire de phénomènes psychologiques conscients, mais à un faible degré et par conséquent capables de faire croire qu’ils sont inconscients.
Ensuite il y a des phénomènes qui ont été vraiment conscients, que tout le monde s’accorde à regarder comme tels, et dont cependant le souvenir ne se retrouve pas.
Il ne suffit donc pas que la mémoire ne puisse retrouver la trace d’un phénomène pour qu’on ait le droit de regarder ce phénomène comme ayant été réellement inconscient.
Un certain nombre de psychologues contemporains ont cru avoir des raisons d’admettre en nous l’existence d’une pluralité de consciences : s’il en est ainsi, comme il est vrai que nous n’avons clairement conscience des consciences subordonnées avec la conscience centrale, il est évident que ces communications ne sont pas pleinement conscientes pour la conscience centrale et que l’activité des consciences subordonnées ne peut être que subconsciente.
Il faut dire d’ailleurs que cette pluralité de consciences n’est qu’une hypothèse assez discutable : la vérité est que le moi est beaucoup plus complexe et possède une unité beaucoup plus relative qu’on ne le croit généralement, mais il suffit, pour rendre compte de cette complexité, d’envisager des prolongements de la conscience normale, sans que ces prolongements puissent pour cela être considérés comme des constituants d’autres consciences distinctes et plus ou moins indépendantes.
Il reste toujours que ces prolongements, quelle que soit la façon dont on les envisage, font partie de ce que nous appelons le subconscient. Mais il y a encore en faveur de la subconscience, d’autres arguments plus concluants et tout d’abord celui-ci : quelquefois la mémoire saisit pour ainsi dire sur le fait la subconscience, par exemple quand après avoir entendu distraitement sonner l’heure, on compte les coups par le souvenir, ou quand on s’aperçoit d’un bruit au moment où il cesse.
On ne peut soutenir que des faits dont le souvenir est clairement conscient ont été eux-mêmes inconscients ; puisque ces faits n’ont pas été clairement conscients, la dénomination de subconscience est la seule qui convienne ici.
L’analyse intérieure nous fait toucher la subconscience de plus près encore : quand on éprouve une tristesse vague ou une joie vague, on voit, en y réfléchissant, qu’on avait des préoccupations capables d’incliner à la tristesse ou à la joie et qu’on n’avait pas encore remarquées.
La réflexion a alors pour effet d’augmenter l’intensité de ce qui était déjà dans la conscience, ou en d’autres termes de rendre clairement conscient ce qui n’était que subconscient Si l’on considère les faits dits de travail mental inconscient il est difficile de ne pas conclure de même.
Il arrive aussi que nos souvenirs se succèdent sans que entre deux anneaux de la chaîne la pensée puisse se souvenir d’un intermédiaire conscient : alors même c’est une supposition gratuite que celle d’un intermédiaire purement physiologique entre deux phénomènes qui sont véritablement psychologiques, et d’autre part, si on admet qu’à tout phénomène physiologique a dû correspondre un phénomène psychologique, il n’y a pas de raison pour regarder ce dernier comme n’ayant été conscient au moins faiblement, d’autant plus que l’on ne voit pas comment que ce qui se passerait en dehors de la conscience pourrait finalement influer sur elle.
À la subconscience est aussi favorable le phénomène de la suggestion et ce qui tend à le prouver c’est l’inquiétude bien consciente du sujet qui se trouve empêché d’obéir à la suggestion au moment marqué d’avance.
Bien des expérimentations prouvent aussi qu’il y a dans les êtres vivants une connaissance profonde de l’organisation, connaissance qui n’est pas clairement consciente, mais elle ne peut pas être entièrement en dehors de la conscience car quand elle se révèle, par exemple chez certains sujets hypnotisés, et devient clairement consciente, il serait inintelligible de dire que la conscience ne renfermait pas déjà ce qui se manifeste alors.
Enfin si l’on n’admet pas la subconscience pour expliquer la mémoire, si on veut l’expliquer uniquement par un mécanisme physiologique ou par un soi-disant inconscient psychologique, on arrivera peut-être à expliquer la réminiscence mais non la reconnaissance.Nous pourrions encore citer bien d’autres faits, comme les cas de mémoire ancestrale, certains phénomènes du rêve. Revenons maintenant aux raisons d’ordre théorique et rationnel qui démontrent rigoureusement l’impossibilité de l’inconscient psychologique :
1) Comme nous l’avons dit dès le début, l’inconscient psychologique est véritablement impensable et contradictoire ; or, la logique défend de parler de choses qu’on ne peut même pas penser et ce qui implique contradiction ne peut-être qu’une impossibilité.
2) On s’est appuyé à tort ou à raison sur Leibnitz pour défendre l’inconscient psychologique au nom du principe de continuité. D’après ce principe, par exemple, quand on cesse d’avoir conscience clairement et distinctement d’entendre le bruit de cloche qui va en s’évanouissant, on cesserait complètement d’en avoir conscience, mais cependant la sensation durerait encore bien qu’inconsciente et il lui serait impossible de passer brusquement à 0, car il y aurait alors discontinuité dans sa décroissance. Cet argument n’est que spécieux : d’abord il y aurait beaucoup de réserves à faire sur le principe de continuité, qui est loin d’être aussi universellement applicable que l’aurait voulu Leibnitz et qui, sous la forme où celui-ci l’énonçait, conduit même à des conséquences tout à fait illogiques. Sans doute il y a dans la nature des choses qui sont continues, l’espace et le temps, mais la continuité n’est pas une propriété commune à tout ce qui existe : ainsi le nombre est discontinu.
Dans les faits psychologiques aussi, l’observation montre qu’il y a du discontinu ; il en est ainsi pour ce qui concerne la prétendue intensité des sensations. Mais passons. Il se pourrait fort bien qu’à un certain moment l’impression produite par l’excitant extérieur fût trop faible pour qu’il y correspondît un fait psychologique si faible soit-il : dans ce cas il n’y aurait plus, et cela du même coup, ni sensation, et par conséquent pas de sensation inconsciente.
Mais nous pouvons aller plus loin, l’application stricte du principe de continuité aboutit à l’opposé de la thèse que nous combattons : s’il est impossible en effet que la sensation passe brusquement à 0, il doit évidemment en être de même de la conscience ; conscience et sensation iront l’une et l’autre en décroissant indéfiniment en même temps. Dès lors que l’on admet que le principe de continuité est applicable à tout, il doit être applicable à la conscience aussi bien qu’à la sensation.
3) Les partisans de l’inconscient psychologique invoquent aussi le principe de causalité qu’ils énoncent sous cette forme : « Toute partie d’une cause doit produire une partie proportionnelle de l’effet que produit la cause totale. » ; par exemple si nous entendons le bruit de 1000 vagues nous devons entendre aussi le bruit d’une seule vague et même celui de chacune des gouttelettes d’eau qui composent cette vague, mais ici il n’y a plus de conscience, ces sensations sont donc des sensations inconscientes.
À cet argument on a déjà répondu qu’une certaine quantité minima de la cause peut-être nécessaire pour produire l’effet que produit cette cause quand elle agit dans des proportions plus considérables : il est donc possible qu’il faille le bruit de plus d’une gouttelette d’eau et même de plus d’une vague pour qu’une sensation se produise et alors il n’y a pas lieu de supposer de la conscience au-dessous du point où la sensation cesse de se produire.
Du reste comme tout à l’heure, le principe invoqué, si on veut l’appliquer rigoureusement, conduit directement à la théorie que nous soutenons ; si ce principe est vrai, en effet il faut dire que si le bruit de 1000 vagues produit un effet qui est une sensation consciente, le bruit d’une seule vague doit produire un effet de même nature, c’est-à-dire également une sensation consciente, bien qu’elle le soit très peu.
4) Certains psychologues disent que sensation et conscience sont inverses l’une de l’autre et ils prétendent que par suite, là où la sensation est très intense, il n’y a plus du tout de conscience. Si au lieu de dire simplement conscience ils disaient simplement conscience réfléchie ou réflexion, on pourrait leur donner raison : par exemple celui qui est en proie à un sentiment très violent ne se juge plus lui-même, mais il sait encore ce qui se passe en lui.
S’il cesse de le savoir, s’il tombe en syncope quand l’émotion est violente, la conscience cesse, ou à peu près, mais avec elle cessent toutes les sensations et tous les sentiments.
En résumé, il n’y a aucun argument en faveur de l’inconscient psychologique, que nous ne pouvons que regarder que comme une impossibilité pure et simple, tandis qu’il y en a de nombreux en faveur du subconscient.
Une remarque complémentaire s’impose ici : la conscience claire et distincte ou la conscience normale peut être considéré comme occupant en quelque sorte la région centrale dans le domaine de la conscience intégrale et elle a, comme nous l’avons dit, des prolongements qui occupent le reste de ce domaine.
Or il est évident que l’on peut envisager des prolongements s’étendant en divers sens à partir du centre commun auquel ils sont rattachés, mais le mot de subconscience, par sa composition, semble indiquer qu’il s’agit uniquement de prolongements inférieurs de la conscience et ce sont bien en effet ceux-là qu’on envisage habituellement sous ce nom.
Si donc on admet la subconscience (et d’après ce que nous avons dit il faut bien l’admettre) il semble qu’il y ait lieu aussi d’admettre corrélativement une super
conscience, c’est-à-dire un ensemble de prolongements supérieurs de la conscience, ce que ne font pas en général les psychologues.
Cependant certains ont employé ce terme de superconscience, mais dans un sens tout différent ; ce sont les psychologues qui admettent une pluralité de consciences et ils appellent superconscience la conscience centrale par opposition aux consciences subordonnées : employé de cette façon, ce terme n’est qu’un néologisme inutile, puisqu’il ne désigne rien de plus que la conscience proprement dite.
Il n’en est pas de même lorsqu’on oppose super-conscience à subconscience, comme nous le faisons, en la distinguant en même temps de la conscience ordinaire, mais comme l’étude de ce que peut être la superconscience ainsi entendue sort du domaine de la psychologie classique, il ne nous est pas possible d’insister davantage ici et nous devons nous borner sur ce point à ces quelques indications.
Nous avons donc établi qu’il n’y a pas d’inconscient psychologique ou en d’autres termes qu’aucun phénomène psychologique n’est séparable de la conscience.