Swami Ritajananda : Swami de Bernard.
Bernard Harmand.
Dans les temps qui viennent j’ai décidé, vu la demande et l’assiduité de certains lecteurs de publier un ensemble de ce que j’appellerai « 101 questions essentielles à Bernard. » Ces 101 questions qui sont extraites soit d’entretiens oraux, soit de réponses à des mails ou lettres, couvrent à mon avis l’essentiel de ce dont a besoin un chercheur sérieux pour découvrir sa Nature Véritable.
Une petite mise au point est indispensable afin de préciser à chaque lecteur, à chaque chercheur, la nécessité de s’imprégner du sens profond des réponses qui vont suivre sans trop s’attarder sur la forme particulière donnée à chaque réponse.
En effet, la forme concerne spécifiquement la personne qui a posé la question et qui a obtenu la réponse qu’elle « pouvait entendre ». Ce qu’elle peut entendre est fonction de sa personnalité propre, de ce qu’elle est capable d’accepter, de son évolution à l’instant même où la question a été posée et d’autres facteurs plus subtils.
Le fond de la réponse va directement au Cœur et concerne tout chercheur sérieux et passionné. L’impact produit est alors fonction de la ferveur de chacun.
Il est indispensable que la réponse soit « absorbée » sans que l’intellect ait le temps d’interpréter ce qu’il a entendu. Plus tard la personne y réfléchira, retournera les paroles dans tous les sens et fera agir son sens critique.
La compréhension intellectuelle est utile pour prendre conscience de l’existence des concepts, mais elle est incapable de les dépasser tout simplement parce qu’elle en fait partie.
Il ne faut donc pas donner trop d’importance à la compréhension, et se souvenir avec passion que seule l’Expérience personnelle nous conduira au but tant désiré.
De nombreuses personnes pourront se dire : que de répétitions ! C’est vrai et tous les sages un peu sérieux ont répété des milliers de fois, sous des formes différentes les mêmes recommandations. Le mental humain a tellement tendance à se figer, à se scléroser, à se durcir, qu’il faut marteler sans cesse les mêmes évidences ,pour que par chance une ou l’autre arrive à pénétrer et transpercer la couche de notre ignorance (qui est rappelons le un des trois poisons du bouddhisme). En préparant ce travail, j’ai moi-même relu ce que j’avais lu tant de fois et à chaque lecture, un petit plus apparaît dans la compréhension et l’intégration de ces vérités de base.
Abordons donc ces pépites, gracieusement offertes, avec Amour et humilité, qu’elles nous accompagnent dans notre voyage merveilleux , à la découverte de notre Nature Véritable.
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Si Bernard ne devait garder qu’un mot pour transmettre l’essentiel de son témoignage, ce serait sans conteste celui d’ : « AMOUR ». C’est d’ailleurs le point essentiel que j’ai ressenti lors de ma première rencontre avec lui et c’est le témoignage de tous ceux qui l’ont rencontré.
C’était à tel point que lors de mon départ de la sangha zen, j’ai été bien souvent moqué à cause de l’emploi de ce mot qui était à mon sens le seul qui convenait alors pour essayer d’expliquer ce qui se passait en moi. Je ne leur en veux d’aucune manière de ne pas m’avoir compris à ce moment-là, car en effet, (comme le dit d’ailleurs Bernard dans une des réponses) ce terme est totalement galvaudé dans notre culture où le même mot est employé pour l’amour de Dieu, d’une personne ou du chocolat !
Avec une constance inébranlable au cours de toutes ces années, Bernard m’a toujours ramené avec passion à l’importance de ce terme, qui loin d’être un concept , est L’ESSENCE MÊME DE LA VOIE . Il précise bien d’ailleurs qu’il ne peut être totalement compris que lorsque l’on a réalisé, mais auparavant, les indications précieuses qu’il nous donne peuvent nous faire approcher de plus en plus de sa réalité.
Il ne s’agit pas de l’amour baveux et débile en lien avec la frustration affective, si souvent présente dans notre société, il s’agit de l’Amour « pour rien ! », qui n’attend rien, totalement gratuit et qui s’écoule comme une source vivifiante de LA VIE dont il n’est que le mode d’expression.
Une mise en garde est cependant nécessaire après ce qui vient d’être dit, car si cet Amour n’est certes pas cette sucrerie mièvre que recouvre souvent ce mot, il ne faudrait pas non plus penser qu’il est inatteignable et réservé à une élite, nous poussant ainsi à passer à côté d’une chose essentielle. Certes l’amour humain n’est qu’un pâle reflet de cet AMOUR, mais comme je viens de l’indiquer : il en est UN REFLET et il est de la même nature. Ne dédaignons pas l’amour humain sous prétexte de viser à l’AMOUR des cîmes, comme je l’ai vu parfois dans les milieux spirituels, dans lesquels certains se gavent de merveilleux mots sur l’AMOUR mais sont odieux avec leurs proches. L’amour humain, reflet de cet Amour va au cours de la recherche, se purifier, se transmuter et l’on va de plus en plus entrevoir ce qu’est l’amour pour rien, bien conscients que l’on balbutiait à nos débuts en pensant que cet AMOUR était déjà là, alors qu’il n’était encore que le besoin avide de combler nos frustrations multiples.
Comme le précise Bernard très souvent, et c’est un point extrêmement important : au fur et à mesure de la recherche LA CONSCIENCE S’ELARGIT, même si bien sûr la fusion est unique à un moment « t », il y a avant cette fusion un élargissement progressif de la conscience, résultat du travail passionné du chercheur.
Dans les réponses qui suivent, Bernard dit une phrase essentielle qui doit éclairer notre réflexion et notre progression vers cet AMOUR pour rien: « Tu ne peux en tant que « je » avoir accès à ce que tu nommes délicieusement l’Amour/Bonheur » . Ne cherchons donc pas à expliquer cette phrase mais puisse-t-elle être un fanal dans la nuit obscure de nos émotions, afin de nous mener totalement à LA VIE donc à L’AMOUR !
Un dernier point à signaler, c’est que j’ai entendu bon nombre de gens aquiescer à ce que je viens de dire mais déclarer « c’est exact, mais ce n’est pas pour moi, car cela concerne la voie de la Bhakti (voie de l’Amour) et moi je suis la voie de Jnana (la connaissance). Funeste erreur , confirmée par tous les plus grands sages qui stipulent bien que ces deux voies se rejoignent totalement et qu’il n’y a pas de voie d’Amour sans discernement et pas de voie de Connaissance sans Amour.
91) En quoi la voie de la dévotion peut-elle aider le chercheur ? L’adoration d’un Dieu ou d’une personne extérieure à soi n’est-elle pas contradictoire avec l’introspection de la non-dualité ?
Bernard : Tant que nous pensons être un corps particulier, une forme déterminée, il n’y a aucun mal à adorer Dieu et à être donc un dévot. Disons même que c’est une voie semée d’expériences sensibles, remplie d’Amour, de Joie et de Paix et qui laissent dans notre cœur des marques que rien ne pourra remplacer, du point de vue humain. Il n’existe rien de plus terrible pour un chercheur que d’être « tiède », c’est-à-dire, uniquement cérébral, un intellectuel qui ne serait qu’une « boîte à raisonnements », aussi beaux soient-ils.
L’Âme est comme un instrument de musique, il faut donc la faire vibrer afin qu’elle s’anime, danse, sorte de l’apathie dans laquelle elle se complaît trop facilement. La méditation, les prières, les cultes, les dévotions etc… sont autant de moyens pour accorder l’instrument. À nous ensuite de savoir à quoi nous voulons l’accorder. Et puis, il suffit de lire par exemple, « carnets de pèlerinage » de Swami Ramdas pour comprendre l’utilité de la dévotion dans la recherche spirituelle.
D’autre part, une personne est toujours « extérieure » à soi puisque tout le monde est persuadé d’être une personne.
Dans l’Absolu, il n’y a ni extérieur, ni intérieur, ni personne.
Tout ce qui est objet d’expérience, n’est en fait que conceptuel. Comme tout concept, la dévotion a un côté positif et bien sûr un côté négatif. Le « piège » de la dévotion, c’est évidemment d’en rester là, et c’est ce qui se passe la plupart du temps. Sauf pour celui qui garde, en lui, un sens critique qui n’accepte jamais la facilité intellectuelle. Celui qui cherche avec toute son énergie et qui désire plus que tout au monde « trouver » finira par comprendre qu’il existe de multiples voies, de très nombreuses méthodes et qu’en définitive, il faut arriver à une « non-voie ».
92) Qu’est-ce que l’Amour dans la recherche spirituelle ?
Bernard : Tant que nous n’aurons pas Réalisé notre Vraie nature, nous ne comprendrons pas ce qu’est réellement ce que l’on appelle « l’Amour ». L’homme parle beaucoup de l’Amour et depuis bien longtemps. Que de livres écrits, que de discours… « tu aimeras ton prochain comme toi-même ». Ce commandement ou ce conseil de Jésus est bien connu, mais mal compris. Que n’a-t-on pas dit au sujet de l’Amour ? Ce fameux Amour est un peu comme la politique, très passionnant en théorie, mais pratiquement inexistant dans les faits. Car dans la vie quotidienne, où est cet Amour ? Et comment se porte le monde malgré cet Amour ? De plus en plus mal ! Alors que faut-il en conclure ? L’Amour n’est possible que dans la dualité et il est aussi réel que l’individu dans le monde. L’Amour c’est uniquement un besoin vital de vivre et c’est la nature de toute vie manifestée qui représente en fait l’Amour du Soi. Mais l’impression d’être ce que l’on voit et donc de confondre le spectateur avec le spectacle, fait que l’on s’identifie à tort à une forme particulière et c’est cette forme que l’on aime par-dessus tout.
93) Quelques jours après ton dernier mail, alors que je marchais je me suis senti comme un tout et c’était comme si l’amour ou l’absence d’amour qu’inconsciemment je devais situer en dehors de moi revenait, réintégrait ce tout. Sentiment de plénitude. Depuis ce moment l’amour ne me pose plus de problème. C’est vrai, que par nature, j’utiliserai plus facilement pour mon ressenti les termes de paix, sérénité, mais je me sens en harmonie (et non plus en réaction) avec l’amour.
Pendant une période, la présence à soi est là qui va croissante et c’est facile à entretenir, puisque sans effort, avec l’impression que le but est tout prêt. Puis un matin, je réalise que ce n’est plus là, que je suis revenu à un état normal (alors qu’aucun fait extérieur n’est intervenu) que le mental est là, sans l’autre dimension, je me sens dépossédé, rapetissé et il faut recommencer par le b-a-ba.
Cela vient encore de m’arriver tout récemment. Est-ce que tu as connu ces mouvements de yo-yo ?
Il y a une phrase dans un de tes mails qui m’a particulièrement touché, c’est quand tu dis : « la Réalisation n’est pas une grande compréhension soudaine, mais une énorme émotion qui fait exploser le cœur. » je ne comprends pas mais je sens que c’est ça l’accès à l’Amour/Bonheur. Question qui me vient : est-ce que c’est l’intensité de la conscience d’être qui va créer cette explosion ?
Bernard : Ce que tu dis est très bien : la conscience d’Être, oui, c’est cela, uniquement cette exceptionnelle présence-conscience sans que le processus mental n’aie le temps d’interpréter. Tu as également bien assimilé que sans cette passion et cette ferveur qui en découle, rien n’est possible et c’est le plus important ! Il est indispensable d’avoir un désir gigantesque pour ce bonheur que le spirituel a nommé le Soi, qui n’est en fait que cette Vie toute simple, cette Base d’où chaque matin s’élance la conscience d’être, aussitôt interprétée par le processus mental à la forme dans laquelle il se trouve, c’est-à-dire le corps.
Oui, bien sûr, ce que tu appelles le mouvement de yo-yo est commun à tous les chercheurs et plus simplement à tous les êtres humains.Il est très rare qu’un individu aie le même moral, le même enthousiasme en permanence d’autant que la permanence n’est pas possible dans le provisoire, et tout ce qui est perçu est provisoire.
Ramana répondant à une question, disait à ce sujet (je cite de mémoire) : ces états différents, ces hauts et ces bas sont bien naturels, mais cela s’arrangera à la fin, une ferme détermination est nécessaire.
L’instant de cette fameuse réalisation, puisque malgré tout il se produit quelque chose pour la dernière fois, est bien une gigantesque Émotion et non une compréhension quelle qu’elle soit. Une grande émotion, l’extase etc…ne sont pas produites par le processus mental bien qu’il le récupère aussitôt (comme toujours) . Non : cela ne provient même pas, cela est notre nature Véritable et cette exceptionnelle conscience d’être, dans laquelle on va mettre toute notre ferveur et tout notre amour, replace peu à peu le mental à sa toute petite place originelle qui est la sienne, c’est-à-dire un processus de fonctionnement d’une vie particulière (le corps) dans un endroit particulier (le monde) à un moment donné (le temps) et c’est tellement simple pour la conscience et si incompréhensible pour le mental. Mais c’est bien normal, le processus mental ne peut comprendre que la forme physique dans laquelle il évolue (le corps) mais, à aucun moment, il ne peut envisager que l’on puisse l’observer grâce à la conscience qu’on a de lui, c’est ainsi que ça fonctionne…provisoirement, cela est une certitude !
Tu ne peux en tant que « je » avoir accès à ce que tu nommes délicieusement « l’Amour/Bonheur », car ce je n’est qu’un individu, une vie particulière, provisoire, et ce qui ne dure pas ne peut me procurer le bonheur.
Par contre la conscience que tu as de cela va réaliser, progressivement, grâce à cette extraordinaire explosion (où même la conscience d’être disparaît) que ce « je » n’est qu’un dérivé de la conscience-êtreté.
C’est la Vie tout court qui elle n’apparaît ni ne disparaît, Présence unique et permanente qui m’attire irrésistiblement à elle parce que c’est ma Véritable Nature qui permet que tout le reste apparaisse. Cette Vie, cette Base, est l’océan dans lequel la poupée de sel (l’individu) doit plonger pour se dissoudre.
Quelle merveille ! Que c’est beau ! N’oublie à aucun moment dans le fond de ton cœur (qui ne demande en fait qu’à aimer) que cela te concerne à cet instant même et rien ne pourra empêcher cette explosion.


