La réponse du Bouddha consiste à ne pas donner de réponse ! ( Raimon Panikkar 4)

Raymon Panikkar.

En ce qui me concerne j’ai trouvé ce passage du livre de Raymon Panikkar remarquable et ceci à plusieurs titres c’est pourquoi je le confie aux lecteurs de ce site. Dans un premier temps il resitue les traditions déistes, mais ensuite il montre que le Bouddha n’apporte aucune réponse aux questions métaphysiques essentielles. Et le dernier passage m’a semblé résoudre le paradoxe auquel on se confronte constamment dans les milieux de la non-dualité. En effet très souvent les lecteurs de ce site ont reproché à Bernard de parler sans arrêt de cette « merveille de la Réalisation » et beaucoup , surtout des bouddhistes, m’ont dit que cela allait totalement à l’encontre de la sagesse véritable en se situant encore dans le désir d’obtention d’une sorte « de super pompon » que serait la Réalisation avec à la clef des délices éternels, ceci ne faisant apparemment que rejoindre le paradis des Chrétiens ou les jardins des délices musulmans avec les houris !

Je dois avouer que je m’en suis souvent expliqué car pour moi il est évident que Bernard ne faillit en rien à cette sagesse éternelle prônée entre autres par le Bouddha. J’ai pu expliquer par exemple que même si Bernard avait durant toute sa recherche, eu en point de mire constant la Réalisation, il déclarait en même temps que jamais il n’avait pensé un instant que ce but était pour lui. Il montrait bien ainsi que pour lui la Réalisation ne se plaçait pas au niveau d’un désir ordinaire qui serait une marque de l’ego, mais au contraire une sorte de Feu total aspirant à la désintégration de l’individu. Mais malgré mes explications de toutes sortes, beaucoup reviennent toujours sur ce point qui pose problème, comme s’il fallait pour être un « vrai chercheur » ne plus rien vouloir et surtout ne plus rien faire : ce qui est une absurdité pure que j’ai souvent dénoncée : Notre Soi est là de toute éternité et aucune action ne peut le faire naître ou mourir, mais c’est NOTRE IGNORANCE qui nous empêche de le Réaliser, la voie consiste donc à TOUT FAIRE pour sortir de l’ignorance crasse qui nous obstrue la vision juste de notre Être, ou Vraie Nature.

L’explication de Raymon Panikkar me semble lumineuse et met un terme à ce débat stérile.  Il introduit simplement le mot : espérance qui n’est ni désir, ni attente de quoi que ce soit, qui n’est pas de l’ordre du futur mais de l’invisible.
Raimon Panikkar est né le 3 novembre 1918. à Barcelone de père indien et hindou et de mère catalane et catholique, mort le 26 Août 2010 à 91 ans .De par ses origines, il a pu adopter, cultiver et parler des différentes traditions au sein desquelles il ne s’est jamais senti étranger ou extérieur. Il est ordonné prêtre en 1946, année durant laquelle il a obtenu le doctorat en Philosophie; en 1958 il obtint le doctorat en Sciences, toujours à l’Université de Madrid, et en 1961, le doctorat en Théologie à l’Université de Rome. Il a vécu en Inde, à Rome (où il a été libre enseignant de l’Université), et aux Etats-Unis. En 1966, il est appelé à Harvard en qualité de professeur.Il a publié près de 80 livres. Il a notamment pendant environ dix ans,traduit une anthologie de mille pages des textes des Védas.Pendant trente ans, il a maintenu un intense contact avec l’Inde où il s’est rendu pour la première fois en 1954. «Je suis parti chrétien, me suis découvert hindou et suis revenu bouddhiste, sans avoir cessé d’être chrétien» a-t-il dit de lui. Il fut un des promoteurs du dialogue inter-religieux hindou-chrétien. 

En Inde il put rencontrer le père Henri Le Saux avec qui il fit le pèlerinage aux sources du Gange et qui devint son ami proche.
Raimon Panikkar n’est pas un penseur conventionnel : il brise de nombreux schémas, conventions et préjugés.Sa solide connaissance de la tradition philosophique occidentale et ses exceptionnelles connaissances des traditions philosophiques et spirituelles de l’orient lui ont conféré les conditions à une capacité pour le dialogue inter-philosophique et inter-religieux absolument inusité.

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« Tant dans le monde védique que dans le monde méditerranéen et africain, la croyance en la réalité s’étend au divin, ce dernier étant la partie essentielle du réel. La réalité comprend le divin, toujours infini, mystérieux, inatteignable, ineffable, mais toujours immanent au monde en tant que réalité totale. Il s’agit de théologies dans le cadre d’une cosmovision déterminée. Le divin « fait partie » de la réalité, à tel point que, dans certains cas, on le considère comme l’unique réalité véritable ; le destin de l’homme consiste alors à se faire Dieu, à découvrir sa propre identité avec brahman, à appartenir au véritable peuple de Dieu, à parvenir à la vision de Dieu ou à partager sa vie, etc. Le divin est donc dans ce cas le principe et la fin du déploiement cosmique. Il existe toujours une relation entre la créature et le créateur, entre l’ordre de la manifestation et celui de l’Être, entre le multiple et l’Un, et également entre le néant et l’Être. En un sens cette relation peut-être uniquement de l’ordre de la raison , mais elle peut-être dans un autre sens,  réellement de l’ordre de l’Être.

Bouddha à l’inverse de ces théologies, effectue un véritable saut mortel : le néant n’existe pas, il n’est pas, tout simplement ; Le véritable vide n’est vide de rien ; la transcendance, si nous voulons parler d’elle, est si pure qu’elle n’est pas. Le monde non-bouddhiste dans sa non-finitude même, est d’une certaine manière sphérique, complet, et la cosmologie, dans sa conception la plus profonde, embrasse tout ce qui peut-être pensé, ce qui reste à la portée de l’expérience humaine, aussi ouvert et « impensable » soit-il.
Le Bouddha dénonce au contraire cette infinitude qui se laisse « penser » à l’intérieur de la réalité infinie. Le Bouddha renonce à toute affirmation à ce sujet, il renonce à la parole et à la pensée, non qu’il y ait quelque chose d’indicible et d’impensable, mais parce qu’il n’y a « rien » à exprimer et à comprendre ; non que la pensée soit un obstacle ou que la méditation ne soit pas une catapulte vers la transcendance, mais parce que l’homme, la catapulte et la transcendance forment un système qui peut être aussi ouvert que l’on voudra.

Et le Bouddha justement refuse de se laisser enfermer dans un système, quel qu’il soit, aussi ouvert soit-il ! Pour le Bouddha, ni la cosmologie, ni la théologie, ni encore moins l’anthropologie, ne peuvent embrasser le mystère de la réalité. Le Bouddha nous enseigne que nous devons renoncer à la soif(trishna) d’existence, aussi bien que de non-existence, que nous devons renoncer à la recherche du salut, du nirvana. Cette soif est au cœur non seulement du désir mais aussi de la volonté : volonté de pouvoir, volonté d’être ou de ne pas être, volonté qui constitue la quintessence de l’esprit occidental qui a dominé pendant les derniers siècles.

La réponse du Bouddha consiste à ne pas donner de réponse.

Car aucune réponse quelle qu’elle soit ne répondrait à « rien ».

Le salut ne peut être ni recherché, ni désiré. Ce qui se recherche se transforme en objet du vouloir ou du désir, et un tel objet ne peut être le salut parce que nul objet ne peut l’être. L’homme n’est pas uniquement, ni principalement, un animal consommateur, et nul objet ne pourra le rendre complètement heureux. La question est le sujet, mais le sujet ne peut être objectivé sans être détruit.

On ne peut qu’espérer le salut (la Réalisation dirait Bernard) dans le sens d’espérance et non d’attente.

Espérer quelque chose ce n’est ni le chercher, ni le désirer. L’espérance n’est pas un désir et elle n’est pas cette soif que le Bouddha condamne. L’espérance n’est désir de rien, car elle n’est pas projection dans le futur. L’espérance est une attitude fondamentale du présent, ou mieux de la « tempiternité », c’est-à-dire d’une présence qui embrasse les trois temps. L’espérance est non de l’ordre du futur mais de l’invisible.
L’espérance n’est pas l’attente. L’attente est ce que le Bouddha rejette comme ambition égocentrique . 
L’espérance est ce qui amène l’inspiré à proclamer sa doctrine. L’espérance ne peut qu’être un don, une offrande, un cadeau, ce qui n’implique pas qu’il faille soumettre sa pensée ou son imagination à un quelconque donateur.

L’espérance est grâce, peut-être la grâce même de l’existence. »

 

 

Extrait du « Silence du Bouddha » de Raymon Panikkar éditions Actes Sud.