Peut-il se faire que l’on soit un jour complètement libre ?

 

Voici un profond texte de Nisargadatta, qui une fois de plus nous invite à la liberté totale et sans tergiverser, en y mettant toute notre énergie, notre honnêteté dans la recherche. Dialogue ô combien précieux à une époque où nous sommes submergés par toutes les théories contradictoires qui foisonnent sur internet, et dans lesquelles chaque chose est dite et son contraire avec le même aplomb, le même mépris du chercheur sérieux. Comment s’y retrouver dans ce dédale, c’est la première question que pose son auditeur ? Et avec finesse Nisargadatta fait contourner le problème en invitant son interlocuteur à n’utiliser les différentes théories que comme des radeaux qui doivent mener au but mais être le plus vite possible rejetées ! mais l’interlocuteur (si ressemblant à nous-autres !) se plaint ensuite que tout cela semble si difficile, que nous sommes tant conditionnés, et le sage lui répond simplement que pour s’en sortir : il n’a qu’à être conscient de lui-même.

Evidemment il répond qu’il ne fait que cela (comme nous le ferions également) et avec un art très profond et une subtile compréhension métaphysique, Nisargadatta fait une nuance qui a une énorme importance et sur laquelle il est bon de méditer : « non, non, non : vous êtes effectivement bien conscients de penser, de sentir, de faire, mais vous n’êtes absolument pas conscients de votre Être, ce Je avec un grand J qui anime tous les dialogues du sage de Bombay ! Et de là il conduit l’interlocuteur au point fondamental de « l’état témoin », fer de lance du chercheur, qui débouche évidemment sur le : « Je ne suis pas ce que je crois être ! » qui mène en dernier ressort à cet état de pure Conscience qui transcende l’espace et le temps (le Soi).

Merveilleux voyage vers la liberté totale auquel nous sommes conviés sans tarder !

 

 

« Q : Il y a une foule de théories au sujet de la nature de l’être humain et de celle de l’univers. La théorie de la création, celle de l’illusion, celle du rêve, et bien d’autres : laquelle est vraie ?

R : Toutes sont vraies et toutes sont fausses. Vous pouvez choisir celle que vous préférez !

Q : Vous semblez pencher pour celle du rêve ?

R : Toutes ne sont que des façons d’agencer des mots. Celui-ci est en faveur de tel système, celui-là en faveur de tel autre. Les théories ne sont ni justes, ni fausses.

CE NE SONT QUE DES TENTATIVES D’EXPLIQUER L’INEXPLICABLE !

Ce n’est pas la théorie qui importe, mais la manière dont elle est mise à l’épreuve qui rend la théorie fructueuse. Expérimentez n’importe quelle théorie, si elle vous plaît et pour peu que vous soyez sérieux et honnête, vous atteindrez la Réalité. En tant qu’être vivant vous êtes coincé dans une position intenable et pénible et vous cherchez un moyen d’en sortir. On vous offre plusieurs plans de votre prison, dont aucun n’est entièrement fidèle. Mais ils n’auront tous, pour vous, quelque valeur que si vous êtes parfaitement consciencieux. C’est le sérieux qui apporte la Réalisation, pas la théorie !

Q : La théorie peut être trompeuse et le sérieux aveugle !

R : Votre sincérité sera votre guide. La dévotion au but, la liberté et la perfection, vous feront rejeter toutes les théories et tous les systèmes et vous feront vivre dans la sagesse, l’intelligence et l’Amour agissant. Les théories peuvent être excellentes comme point de départ, mais il faut les rejeter, et le plus tôt est le mieux !

Sur des bases comme la concentration, la pleine confiance et la pure volonté, on peut réussir dans l’instant ! La volonté étant en définitive la fermeté du cœur et de l’esprit.

Lorsque vous êtes d’un sérieux total, vous pliez à votre but le moindre incident et chaque seconde de votre vie. Vous ne gaspillez pas votre temps et votre énergie dans les autres choses. Vous êtes voué totalement à votre but, que vous appeliez cette consécration volonté, Amour ou simplement honnêteté. Nous sommes des êtres complexes, perpétuellement en guerre, intérieurement et extérieurement, défaisant aujourd’hui le travail d’hier : il n’est donc pas étonnant que nous soyons paralysés. Un peu d’intégrité ferait toute la différence.

Q : Quel est le plus puissant : le désir ou le destin ?

R : Le désir façonne la destinée ;

Q : Oui mais la destinée façonne aussi le désir. Mes désirs sont conditionnés par l’hérédité et les circonstances, les occasions et les accidents, par ce que nous appelons la destinée.

R : Oui vous pouvez le dire ainsi.

Q : Oui mais alors : quand suis-je donc libre de désirer ce que je veux désirer ?

R : Maintenant vous êtes libre, que voulez-vous désirer ? Désirez-le !

Q : Naturellement je suis libre de désirer, mais je ne suis pas libre d’agir en fonction de mon désir, d’autres sollicitations m’en écartent. Mon désir, même si je l’approuve n’est pas assez fort. D’autres désirs que je désapprouve sont plus forts.

R : Peut-être vous illusionnez vous vous-même. Peut-être permettez-vous à vos désirs réels de s’exprimer et maintenez-vous à la surface ceux qui reçoivent votre approbation en vue d’une certaine respectabilité.

Q : Il se peut qu’il en soit effectivement comme vous le dîtes, mais c’est une autre théorie. En fait, je ne me sens pas libre de désirer ce que je devrais et quand il me semble formuler un désir juste, je n’agis pas en fonction de ce désir.

R : C’est entièrement dû à une faiblesse du mental et à une non-intégration du cerveau.

Rassemblez votre mental, fortifiez-le, et vous vous apercevrez que vos pensées comme vos sentiments, vos paroles comme vos actes se mettront en harmonie avec votre volonté.

Q : Encore un nouveau conseil de se perfectionner ! Ce n’est pas une tâche si facile que d’intégrer et de fortifier le mental ! Par où doit-on commencer ?

R : Vous ne pouvez commencer que d’où vous êtes ! Vous êtes ici et maintenant et il ne vous est pas possible de sortir de l’ici et maintenant.

Q : Mais que puis-je faire ici et maintenant ?

R : Ici et maintenant vous pouvez être conscient de votre être !

Q : C’est tout ?

R : C’est tout : ne cherchez pas plus loin !

Q : Pendant tous mes états de veille comme de sommeil, j’ai conscience de moi-même et pourtant cela ne m’aide guère !

R : Vous étiez conscient de penser, de sentir, de faire. VOUS N’ETIEZ PAS CONSCIENTS DE VOTRE ÊTRE.

Q : Quel est ce nouveau facteur que vous voulez me faire introduire ?

R : LA POSITION DE PUR TEMOIN, DE CELUI QUI REGARDE COULER LES EVENEMENTS SANS Y PRENDRE PART.

Q : Mais qu’est ce que cela m’apportera ?

R : La faiblesse du mental vient d’une déficience de l’intelligence, de la compréhension, qui est elle-même le résultat d’une non-vigilance, d’une non-conscience. En vous appliquant à la vigilance, vous allez dans le sens d’une intégration et d’un raffermissement du mental.

Q : Je pense avoir une entière conscience de ce qui se passe et d’être, malgré tout, incapable de l’influencer en quoi que ce soit.

R : Vous vous trompez. Tout ce qui arrive est une projection de votre mental. Un mental faible ne peut pas maîtriser ses propres projections. Vous ne pouvez pas avoir de contrôle sur ce que vous ne connaissez pas. D’un autre côté la connaissance donne le pouvoir. En pratique c’est très simple. Pour avoir le contrôle de vous-même : connaissez-vous vous-même.

Q : Peut-être puis-je parvenir au contrôle de moi-même, mais serai-je à même de m’occuper du chaos qui règne dans le monde ?

R : Il n’y a de chaos dans le monde que celui créé par votre mental ! Le chaos est auto-créé au sens où dans son centre même, se trouve l’idée fausse du moi en tant que chose séparée et différente des autres choses. En réalité vous n’êtes ni une chose, ni séparé. Vous êtes la possibilité infinie, l’inépuisable possibilité. Puisque vous existez, tout peut exister. ( on ne peut éviter de penser à la fameuse phrase »koan » de Bernard: TOUT EST PARCE QUE VOUS ÊTES ! NDLR ) L’univers n’est qu’une manifestation partielle de votre pouvoir sans limite de devenir.

Q : Je constate que je suis totalement motivé par le désir du plaisir et par la peur de la souffrance. Aussi noble que soit mon désir ou justifié par ma peur, le plaisir et la souffrance sont les deux pôles entre lesquels oscille ma vie.

R : Remontez à la source de la souffrance et du plaisir, de la peur et du désir. Observez, mettez en question, essayez de comprendre.

Q : La peur et le désir sont tous les deux causés par des facteurs soit physiques, soit mentaux. Ils sont là, faciles à observer. Mais pourquoi sont-ils là ? Pourquoi est-ce que je souhaite le plaisir et crains la souffrance ?

R : Le plaisir comme la souffrance sont des états du mental. Tant que vous serez le mental ou plutôt l’association corps-mental, vous serez amené à soulever ce genre de questions.

Q : Et le jour où je réaliserai que je ne suis pas le corps, serai-je libéré du désir et de la peur ?

R : Tant qu’il y aura un corps et un mental pour protéger le corps, les attractions et les répulsions agiront. Elles seront présentes, mais elles ne vous concerneront plus. Le foyer de votre attention se situera ailleurs, plus rien ne vous distraira.

Q : Mais elles seront toujours là ! Peut-il se faire que l’on soit un jour complètement libre ?

R : Dès maintenant vous êtes libre ! Ce que vous appelez le destin (karma) n’est que la conséquence de votre volonté de vivre. Vous pouvez juger de la puissance de cette volonté à l’horreur universelle de la mort.

Q : pourtant très souvent des gens meurent volontiers.

R : Uniquement si l’alternative est pire que la mort ! Une telle promptitude à mourir coule de la même source que de la volonté de vivre, une source plus profonde que la vie même. Être un être vivant, ce n’est pas l’état ultime ; il y a quelque chose au-delà, bien plus merveilleux que ne le sont l’existence ou la non-existence, la vie ou la non-vie.

C’est un état de pure Conscience qui transcende l’espace et le temps. Une fois rejetée l’illusion que le corps-mental est le Soi, la mort perd ses aspects terrifiants, elle devient une partie du vivre. »