« Vous ne pourrez jamais comprendre le Bouddhisme « , ni la spiritualité !

 

 

Zhongfeng Mingben (jap. Chûhô Myôhon, 1263-1323) est un maître zen chinois qui revitalisa l’école Linji (jap. Rinzai) à la fin du XIIIe siècle. Il aimait la vie solitaire  et  la  pratique  rigoureuse.  Ses comportements excentriques sont restés  célèbres.  Il eut  de  nombreux  disciples  issus de toutes  les  classes  sociales.  Il attira  également  de  nombreux  moines japonais (dont le célèbre Jakushitsu Genkô, 1290-1367).
Ce sermon est extrait du  recueil complet du maître Zhongfeng et traduit par Éric Rommeluère animateur du site : un zen occidental.

Je trouve ce texte de plus de 800 ans, extraordinaire sur bien des points car il va beaucoup plus loin que la provocation apparente de son titre, mais est en totale adéquation avec l’enseignement de la non- dualité et le témoignage de tous les sages tels que Ramana, Nisargadatta ou Bernard. Si l’auteur fustige la mauvaise compréhension du bouddhisme, c’est parce que c’est sa propre voie et qu’il en connait les pratiquants, mais ce texte peut convenir aussi bien à chaque religion, car il appelle à une véritable foi centrée sur l’intériorité et non sur les rites extérieurs, sur le fond et non sur la forme. Ce coup de semonce , même s’il décoiffe, est profondément salutaire dans une époque où la plupart des valeurs spirituelles sont dénaturées, affadies, fondées sur l’amélioration de l’individu et non sur sa dissolution, seul viatique menant à ce fameux Bonheur dont parle et témoigne Bernard à chaque instant.

Malheureusement là encore ce Bonheur, cette merveille (mot souvent employé par Bernard) est souvent mal compris et est ressenti comme l’opposé du mal être, du malheur. Que les mots sont faibles et inadaptés pour parler de l’ineffable .Il est difficile pour les êtres humains de concevoir un Bonheur en dehors de toute perception sensorielle, au delà des oppositions bonheur, malheur qui sont encore de simples apparitions éphémères au sein de la personne.

Il est difficile pour les êtres humains de concevoir et mettre en pratique une spiritualité qui ne soit pas une amélioration de la personne, avec des barrettes supplémentaires que l’on accroche régulièrement au costume du pantin, avant d’arriver à la caisse comme dit Bernard. Même à ce stade  on continue à accrocher des décorations posthumes sur les cercueils. C’est saisissant!

Dans des temps étranges où foisonnent plus de pseudo maîtres que de « vrais » disciples, et où tant se trouvent investis d’un pouvoir qui ne couvre que leurs faiblesses, cette prodigieuse et profonde humilité de Zhongfeng nous réconcilie avec la recherche véritable et nous invite à aller plus loin avec passion et détermination.

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« Vous ne pourrez jamais comprendre le bouddhisme ! Vous ne pourrez jamais vous échapper de la vie et de la mort ! Nos corps ressemblent à la flamme d’une bougie vacillante dans le vent, à des étincelles jaillissant de la pierre. Même si vous pratiquiez à chaque instant comme si votre tête était en feu, vous ne serez toujours pas capable de résoudre totalement cette affaire. Vous n’avez aucune raison d’agir dans l’impatience et à l’aveuglette. Insouciant et confus, en moins d’un instant, vous aurez déjà atteint l’âge de quarante ou de cinquante ans…

Pour vous, qu’est-ce que le bouddhisme ? Même si le plus intelligent des hommes écrivait d’impeccables et d’irréfutables commentaires sur l’ensemble des sûtras, des kôans ou des classiques, il s’affairerait toujours à l’extérieur de la porte. Lorsque ces brillantes personnes parlent du dharma, elles paraissent souvent éveillées. Et pourtant, confrontées aux évènements de la vie réelle, elles sont perdues.

Il a toujours été dit que vous ne pourrez jamais comprendre cette affaire ! Plus vous voulez la comprendre et plus vous allez à son encontre.

En entendant cela, ne donnez pas une réponse conceptuelle, en pensant que vous pourriez entrer dans une dimension où les autres n’accèdent pas et que vous y trouveriez quelque chose de vivant. Hélas ! Tout ce qui surgit en vous n’est rien d’autre que l’illusion de vouloir comprendre cela.

Seuls ceux qui ont cultivé des racines profondes de foi, qui veulent sincèrement chercher en eux-mêmes jusqu’au véritable éveil peuvent s’occuper de cette affaire. Mais s’ils s’agrippent à l’idée de s’en occuper, ils ne l’obtiendront toujours pas. C’est pourquoi un ancien enseignement dit : « Même si un monde rempli de personnes aussi avisées que Shâripûtra se rassemblaient et tenaient un débat, il leur serait toujours impossible de pénétrer la sagesse du Bouddha. »

De nos jours, il existe des gens qui vont de-ci de-là proclamant qu’ils connaissent et prônent une méthode particulière de s’exercer. Ces personnes sont comme ceux qui prennent une peau d’orange pour du feu. Ils affirment qu’ils savent ce qu’est le bouddhisme et demandent qu’on les respecte. Quel bien pourront-ils vraiment obtenir ?

J’ai pratiqué pendant plus de trente ans et je n’ai toujours pas intégré le bouddhisme. Voilà pourquoi je reste toujours modeste et rempli de honte. Je n’ose accepter la position d’un Maître si cela se présente. Lorsqu’on dit de bonnes choses à mon propos et que des offrandes généreuses me sont faites, je les vois comme des flèches empoisonnées frappant mon esprit. Je les ai fuies sans succès. Il ne fait aucun doute que tout cela provient de mes conditions karmiques accumulées tout au long de mes vies antérieures. Il s’agit de la source même de l’illusion, non la conséquence de ma vertu sur la voie.

Tant de gens prétendent être sur la Voie, et pourtant, quand ils sont confrontés à un presque rien qui va à l’encontre d’eux, l’ignorance les saisit, et leurs manières d’être habituelles se perpétuent. Ils laissent leur esprit se déchaîner et manifestent des actes malveillants. Ils utilisent ce qu’ils appellent la justice pour blesser autrui, bousculant tout un chacun. Ils ne savent pas que, depuis toujours, leur soi- disant justice est enchaînée à l’ignorance. Pas une seule fois, cette justice ne leur a permis de laisser émerger un véritable esprit sur la Voie. Ils n’ont même pas fait attention que leur justice est si nauséabonde que tous se bouchent immédiatement le nez.

Vous ne pourrez jamais vous échapper de la vie et de la mort ! Cette grande affaire de la vie et de la mort est en vous. Elle colle à votre peau et à vos os, instant après instant, sans jamais céder. Pendant d’innombrables kalpas, vous avez épuisé tous les stratagèmes, mais votre esprit ne s’arrête ni ne se repose jamais !

Vous avez fait de grands vœux, encore et encore, prenant à témoin des milliers de bouddhas et d’innombrables maîtres et patriarches. Poursuivant dans cette voie, vous avez une nouvelle fois, en cette vie, quitté votre maison pour devenir un moine avec les trois robes, vous appelant un homme de la Voie. La vérité, c’est que vous n’êtes toujours pas capables de transpercer tout ce qui apparaît devant vos yeux. Chaque événement fait bouger votre esprit. Tout ce que vous faites ne fait qu’ajouter au nœud de la vie et de la mort qui vous en enserre et vous conduit à trahir votre aspiration fondamentale à devenir moine.

Si vous vous comportez de cette manière confuse et désespérée, et même si vous consacriez des milliers de vie à l’exercice, vous ne ferez que renforcer la roue du karma sans la moindre possibilité de profit.

Vous devez savoir que tous les êtres sont liés et fortement ligotés et que vous ne pouvez rien faire. Si vous n’avez pas la capacité de vivre en communauté, vous pouvez aussi laisser tout de côté pour aller vivre dans un ermitage au toit de chaume. De cette façon, vous pourrez passer votre existence dans la solitude totale, vivant d’aumônes avec une robe de pièces cousues, occupé exclusivement à votre propre libération. Au moins de cette façon,  vous n’endommagerez pas le territoire d’autrui, à la manière d’un impudent qui n’a aucune humilité.

C’est pourquoi je dis que vous ne pourrez jamais comprendre le bouddhisme et que vous ne pourrez jamais échapper à la vie et la mort !

Si vous ne pouvez pas comprendre ou fuir cela, pourquoi ne pas tout simplement vous établir au lieu de l’insuccès ?

Ne vous inquiétez pas si cela doit prendre vingt ou trente ans. Lorsque d’un coup, vous pénétrerez dans ce lieu de l’insuccès, vous verrez que je ne vous aurai pas trompés. »

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