Notre but aura été atteint lorsque nous ne serons plus quelqu’un ! (Coomaraswamy)

Ananda Coomaraswamy aux côtés du poète Rabindranath Tagore.

 

 

 

 

 

Ce slogan qui est d’une profonde vérité métaphysique va à l’encontre de toutes les aspirations de notre monde moderne hanté par la déclinaison de l’ego sous toutes ses formes, y compris dans ce qu’il nomme « La spiritualité » qui se résume trop souvent à un « développement personnel » (l’appellation déjà signe le forfait !).

Ananda Coomaraswamy est un historien de l’art et métaphysicien srilankais représentatif de l’école pérennialiste, né le 22 août 1877 à Colombo et mort le 9 septembre 1947 à Needham (Massachusetts, États-Unis). Spécialiste de l’art indien et cingalais ainsi que de l’hindouisme et du bouddhisme, il a publié des ouvrages théoriques fondamentaux sur ces sujets. Polyglotte, érudit du pali et du sanskrit, Coomaraswamy est un homme aux multiples facettes. Ce grand métaphysicien est considéré comme l’un des fondateurs du courant pérennialiste, au même titre que René Guénon et Frithjof Schuon. Hindou par son père et Européen par sa mère, ses travaux démontrent qu’il avait naturellement intégré leurs deux modes de pensée. Il a défendu l’idée que le Vedanta et le platonisme relevaient l’un et l’autre d’une seule et même origine. Il a également contribué à une réhabilitation du bouddhisme originel, particulièrement aux yeux de René Guénon, qui jusqu’alors le considérait comme une école spirituelle hétérodoxe ayant dévié de l’hindouisme, du fait d’une révolte de la caste des kshatriyas contre celle des brahmanes. Ses travaux ont démontré qu’il n’en était rien, que l’hindouisme et le bouddhisme étaient l’un et l’autre issus de la même source principielle. Ananda Coomaraswamy n’a cessé d’œuvrer dans le sens d’un rapprochement intellectuel et spirituel entre l’Orient et l’Occident, étant convaincu de l’unité transcendante des religions. Dans le texte qui va suivre je me suis permis de condenser un de ses articles, paru dans le livre : LA SIGNIFICATION DE LA MORT aux éditions Arche Milan 2001. Je m’y suis résolu avec d’autant moins de culpabilité que cet auteur essentiel, à l’érudition énorme, est souvent méconnu des chercheurs de la Voie, découragés au premier abord à le lire à cause de notes savantes en surnombre bien plus fournies que le texte par lui-même. Il serait dommage de passer à côté d’une telle richesse qui nous montre à quel point La Voie est UNIQUE derrière les différentes formes qu’elle peut revêtir. Et ce texte une fois de plus, s’il en était besoin nous montre cette unicité de la démarche spirituelle et à quel point tous les enseignants sérieux et profonds ne font en fait que répéter la même chose sous une forme ou sous une autre pour essayer d’entamer nos carapaces endurcies.

Ce qui suit est un éclairage remarquable pour  la démarche du chercheur et devrait être non pas « parcouru » mais « dégusté », médité, relu avec attention.

« La psychologie indienne est fondée sur la métaphysique. L’explication en est que tous les systèmes indiens de philosophie sont en même temps des doctrines de salut. En d’autres termes les philosophes indiens ne s’intéressent pas aux faits, ou plutôt aux éventualités statistiques, pour eux-mêmes, mais fondamentalement à une vérité libératrice. La psychologie traditionnelle et sacrée tient pour acquis que la vie est un moyen en vue d’une fin située au-delà d’elle-même ; elle ne doit être vécue à tout prix. La psychologie traditionnelle en fait, n’est pas fondée sur l’observation, mais est une science d’expérience subjective. Sa vérité n’est pas d’un genre susceptible d’une démonstration statistique ; elle est une science pouvant seulement être vérifiée par le contemplatif exercé. En d’autres termes, sa vérité peut être vérifiée seulement par ceux qui suivent la procédure prescrite par ses protagonistes, et cela s’appelle une « Voie ».

A cet égard cela ressemble à la vérité des faits, mais avec cette différence que la Voie doit être suivie par chacun pour soi-même ; il ne peut y avoir de « preuve » générale. Par « vérification » nous voulons dire, bien entendu, un constat et une mise en pratique, et non pas une conviction comme celle pouvant résulter d’une compréhension d’ordre simplement rationnel. Aussi ne peut-il y avoir aucune « propagande » en faveur de la science sacrée. La science sacrée est essentiellement concernée par la qualité tandis que la science profane est une science des quantités. Entre ces deux sciences il n’y a aucun conflit mais seulement une différence, et une grande différence. On ne saurait mieux caractériser cette différence que par ces deux citations respectives de Platon dans le Phèdre et une autre extraite de la Kaushîtaki upanishad :

– « L’âme atteint mieux la vérité lorsqu’aucune de ces choses, entendre ou voir, peine ou plaisir, ne la trouble, et c’est pour autant que cela est possible, toute seule et par elle-même. » Platon : Phèdre

– « l’Action n’est pas ce que l’on devrait essayer de comprendre ; ce que l’on doit connaître c’est l’Agent. Le plaisir et la peine ne sont pas ce que l’on doit essayer de comprendre ; ce que l’on doit connaître est leur Discriminant. (et ainsi de suite pour les autres facteurs de l’expérience.) ». Nous prenons bien soin de ne pas dire de « notre » expérience, car on ne saurait d’aucune manière supposer sérieusement que « nous » sommes l’Agent et le Discriminant, ni prétendre à coup sûr comme Descartes : cogito ergo sum.

On pourrait nous objecter que ces psychologies, empiriques et métaphysiques, sont toutes deux appliquées en vue du salut (de la Réalisation dirait Bernard) et que dans ce cas le salut est une sorte de santé. Mais la santé envisagée par la psychologie moderne n’est qu’une libération par rapport à certains états pathologiques particuliers ; celle qui est envisagée par la psychologie traditionnelle et sacrée est une libération par rapport à tous les états et toutes les situations, affranchissement total de l’infection de la mortalité. De surcroît la recherche de la plus grande liberté implique nécessairement d’avoir déjà atteint la moins grande, la santé psychophysique étant une manifestation et conséquence d’un bien-être spirituel. Aussi tandis que la science actuelle est concernée seulement par l’homme lui-même « en quête d’une âme », la science métaphysique est concernée par le Soi immortel de ce soi, l’Âme de l’âme en fait. Ce Soi ou cette Personne n’est pas une personnalité et ne peut jamais devenir un objet de connaissance, mais est toujours sa propre substance ; c’est le principe vivant, « spirant » en toute individualité psycho-hylique, jusqu’aux fourmis elles-mêmes, et qui est en fait le seul « transmigrant » dans les transmigrations et évolutions.

Ce Soi ne devient jamais quelqu’un. La science métaphysique est fondamentalement une science de « la négation du soi », illustrée entre autres par ce passage de l’évangéliste Marc : « Quiconque veut venir après moi, qu’il se renonce soi-même, et qu’il prenne sa croix, et me suive : car quiconque voudra sauver sa vie la perdra et quiconque perdra sa propre vie pour l’amour de moi et de l’évangile la sauvera.» . Marc 8 versets 34 et 35.

…Notre soi qui est par nature dans l’ignorance de notre Soi immortel et qui s’oppose constamment à lui, est donc l’ennemi qui doit être vaincu. La Voie est celle de la préparation intellectuelle, du sacrifice et de la contemplation, tandis qu’on suppose qu’il existe toujours en même temps une direction montrée par des précurseurs.

NDLR : Ces trois termes sont indissociables et doivent animer tout chercheur véritable d’une manière ou d’une autre.

La préparation intellectuelle consiste en fait à s’appuyer sur tous les textes de la tradition qui nous parlent le plus mais qui nous mènent au-delà de notre inertie basique, ce sont aussi comme dit Bernard « les modèles » qui nous inspirent, nous font vibrer, dans le cœur et pas dans le cortex superficiel.

Le sacrifice est un mot qui fait peur, qui est connoté trop négativement et que l’on retrouve pourtant dans toutes les traditions, c’est l’offrande à ce qui nous dépasse pour sortir de nous-mêmes et de nos fonctionnements conditionnés. Faire un arrêt dans le flot stressé de sa journée pour simplement offrir un encens dont la fumée monte vers le ciel est déjà de la nature du sacrifice. Il est nécessaire de s’alléger comme le dirigeable qui doit lâcher du lest s’il veut s’élever dans le ciel. Tant de gens à notre époque ne veulent-ils pas pour parler crûment « le beurre et l’argent du beurre…et par décence je ne continuerai pas la citation mais pourtant… » . Le sacrifice est le moteur subtil de l’avancement mais ne se fait pas dans la frustration et dans la démonstration hystérique des pharisiens. C’est une ferme détermination et une réponse à l’appel qui vient du tréfonds de nous-mêmes, nous permettant non pas de nous sacrifier avec angoisse mais de nous délester avec légèreté et joie.

Et pour finir la Contemplation, si précieuse tout au long du chemin pour se poser, se désidentifier des tracas superficiels du quotidien, cette contemplation qui est déjà une participation à la joie finale, comme un pressenti de la Réalisation.

En d’autres termes il y a à la fois une théorie et une façon correspondante de vivre qui ne saurait en être séparée si l’on veut qu’elle soit efficace. La préparation intellectuelle est philosophique au sens où ce mot de « philosophie » fut compris par les anciens. L’objet propre de cette philosophie est défini en ces mots de l’oracle de Delphes : « Connais-toi toi-même » Gnothi Seauton (NDLR : je ne peux m’empêcher en voyant cette maxime qui semble éculée de ressentir à quel point elle fut et reste fondamentale pour Bernard qui a demandé à ce que ce soit la seule chose inscrite sur sa pierre tombale.)

Cela signifie aussi bien entendu de faire la distinction du Soi d’avec ce qui est le non- Soi, car la forme première de l’ignorance consiste justement à confondre le Soi avec ce qui est non- Soi. La bataille sera gagnée, au sens indien et selon une formulation chrétienne, lorsque nous pourrons dire avec saint Paul :

« Ce n’est plus moi qui vis mais le Christ qui vit en moi. » Galates 2 verset 20. C’est-à-dire lorsque « je » suis mort, et que, lorsque le corps et l’âme se désintègrent, il n’y a personne pour s’en aller, si ce n’est le Dieu immanent. La philosophie est donc l’art de mourir. Platon nous dit dans le Phédon :

« Les véritables philosophes s’exercent à mourir et la mort est moins terrible pour eux que pour aucun autre homme…et étant toujours désireux de délivrer l’Âme, la libération et la séparation de l’âme d’avec le corps est leur principal souci. » D’où l’injonction : « « Meurs avant que tu ne meures ! » du grand soufi Rumi et celle d’Angelus Silesius reprenant l’évangile : « d’être né à nouveau ». Une naissance qui ne soit pas précédée par une mort est inconcevable d’après Platon. Il s’agit donc de mourir à soi. C’est une question à la fois de volonté et de méthode.

En ce qui concerne la volonté, une préparation intellectuelle est des plus importantes et ici nous touchons à la psychologie. Toute la force de cette science est dirigée vers une analyse destructive de l’illusion animiste selon laquelle serait une entité : cet homme, Untel, qui en parlant de lui, dit « je ». La situation n’est nullement mieux et plus brièvement présentée que chez Plutarque lorsqu’il dit : « Nul ne demeure une personne ni est une personne. » ; L’argument se retrouve dans la tradition européenne depuis Héraclite : notre vie n’est qu’une succession d’instants de conscience, chacun différent du précédent et du suivant, et il est tout à fait illogique de dire de quelque chose qui ne s’arrête jamais pour être, qu’elle « est » ; une chose peut seulement « être » si elle ne change jamais(Platon) .

Notre existence n’est pas un état d’être mais de devenir.

La démonstration systématique est typiquement bouddhiste : la personnalité y est analysée, généralement comme un composé de corps, de sensation, de connaissance, de complexes et d’un état de conscience qui discrimine, et il y est montré successivement que chacun de ces facteurs du prétendu « soi » est inconstant, et que, d’aucun d’entre eux ni de leur ensemble on ne peut dire : « cela est mon Soi ». La psychologie traditionnelle n’est pas une quête de l’âme, mais une démonstration de l’irréalité de tous ce que les mots « âme » et « soi » et « je » peuvent vouloir dire d’ordinaire.

Nous ne pouvons en effet connaître ce que nous sommes, mais nous pouvons devenir ce que nous sommes en sachant ce que nous ne sommes pas ; car ce que nous sommes, c’est le Dieu immanent, et il peut lui-même connaître ce qu’il est, parce qu’il n’est pas quelque chose ni n’est jamais devenu quelqu’un. Notre soi peut être connu mais pas notre Soi, car « par quoi pourrait-on le comprendre, lui par qui l’on comprend ? » (Brihadâranyaka Upanishad).

Notre but aura été atteint lorsque nous ne serons plus quelqu’un.

Bien entendu, cela ne doit pas être confondu avec une annihilation ; la fin de tout devenir se trouve dans un « état d’être », ou plutôt dans la source de l’être, qui est plus fertile que tout être particulier. Maître Eckart dit d’ailleurs que : « Le mot « je », « ego » ne convient en propre à personne sinon à Dieu en son identité. ». la notion d’un ego « à nous » est d’une fatuité ou présomption s’appuyant sur une expérience d’ordre sensible, mais comme nous l’avons montré elle n’a aucun fondement rationnel.

« Nos sens, par ignorance de la réalité, nous disent à tort que ce qui semble être, est réellement » (Plutarque).

La notion : « je suis celui qui fait », est à la fois la forme première de notre ignorance et la cause de toutes les souffrances subies ou infligées, tout le complexe « je et mien » et la notion d’un « je » qui puisse survivre après la dissolution du véhicule psychophysique, subissent d’incessantes attaques. Penser que c’est notre propre esprit qui œuvre, correspond à une doctrine « percée et fendue » ; rien n’est plus honteux que de supposer que « je pense » ou que « je sens » (Philon). Il est ridicule d’inférer à partir des accidents de mon existence que « je suis » et ceci à cause de l’inconstance de toute expérience.

« Il ne peut y avoir de plus grand chagrin que puisse ressentir l’homme véritablement sage, que de penser qu’ « il » est encore quelqu’un. (Le nuage d’inconnaissance chapitre 44). Le fait d’avoir ressenti ce chagrin (ce qui est une chose bien différente que le souhait de n’être jamais né ou l’idée du suicide) complète la préparation intellectuelle.

Le moment est alors venu pour l’action. Une fois convaincu que l’ego n’est pas mon « Soi », nous sommes prêts pour rechercher notre Soi et pour faire le sacrifice requis par cette quête. Chaque partie de notre quotidien peut ainsi être transformée et transsubstantiée. Supposant que nous sommes désormais de « vrais philosophes » nous commencerons inévitablement par nous faire une règle de mourir. En d’autres termes nous mortifierons nos goûts, « n’usant de nos puissances de l’âme, dans notre homme extérieur, pas plus que les cinq sens ne l’exigent réellement » (Maître Eckart) ; devenant de moins en moins sentimentaux(attachés), et sans cesse plus difficiles à satisfaire, nous nous détacherons d’une chose après l’autre. Nous alimenterons les puissances sensitives principalement de ces aliments qui nourrissent « l’homme intérieur », ce qui est un procédé d’amaigrissement rigoureusement analogue à celui concernant une obésité corporelle, dans cette philosophie, c’est précisément le « poids » qui tire le Soi vers le bas, ce qui est une notion qui survit dans l’usage du mot « gras » avec le sens de licencieux : quiconque veut s’éterniser, se transhumaniser doit avoir un cœur léger. (Dans la tradition égyptienne le cœur du défunt est pesé avec pour contre-poids une plume représentant la Vérité).

En même temps, si nous devons agir en accord avec notre changement de pensée, toutes nos activités doivent être purifiées de toute référence à nous-mêmes. Nous devons comme le Christ, ne rien faire par nous-mêmes, et agir sans aucun mobile personnel, égoïste ou non. Car cela est bien plus qu’un simple « altruisme », et bien plus difficile ; selon les termes de Platon, il nous faut devenir les jouets et les instruments de Dieu que n’anime aucun penchant de notre part, vers le bien ou vers le mal. Cela est le Wu Wei des chinois : « ne fais rien et toutes choses seront faites ».

Cette inaction est souvent, et souvent volontairement, mal comprise par une génération dont la seule conception du loisir est celle d’un état de désœuvrement. La renonciation aux œuvres, cependant, n’implique aucunement une telle idée ; elle signifie que nous les attribuons à un autre que nous-mêmes ; l’homme mis au joug doit penser : « je ne fais rien » quoiqu’il puise être en train de faire. Cet abandon et cette mise au joug (signification du mot yoga) sont une seule et même chose, et ce n’est pas rien faire, mais plutôt une habile opération. L’inaction véritable n’est pas obtenue en n’entreprenant rien et Philon dit : « La cause de toutes choses est par nature active. Le repos de Dieu est non pas une inaction mais plutôt une activité d’une parfaite aisance, sans peine ni souffrance. Celui qui est exempt de faiblesse, même s’il fait toutes choses, ne cessera jamais durant toute éternité d’être – au repos -. »

Catégorique est ainsi l’ordre de ne pas cesser d’œuvrer, et ceci en accord avec sa vocation. Dans le cas du soldat il est dit : « Toutes œuvres M’étant soumises, mène le combat ! » (Gîta) et « de même que les ignorants s’activent en raison de leur attachement à l’activité, ainsi également doit œuvrer celui qui comprend, mais sans attachement, en vue de la garde du monde. » (Gîta). C’est précisément la doctrine des gardiens présentée au livre 7 de la République de Platon : le philosophe qui a effectué la rude montée et qui a aperçu la lumière, bien que, par nature, il puisse souhaiter rester à l’écart, ne sera pas mû par ses penchants, mais retournera dans la caverne pour prendre soin des autres citoyens et les garder, de sorte que la cité puisse être gouvernée par des esprits en éveil et que ceux qui l’ambitionnent le moins puissent remplir cet office.

La Gîta continue en faisant dire à Krishna : « Il n’y a rien dans tout cet univers que je doive faire par nécessité, rien qu’on ne puisse atteindre que je n’ai atteint, néanmoins je suis en acte, car si je ne l’étais pas, ces mondes seraient instables et je serais un agent de confusion des fonctions et un meurtrier de mes enfants. ».

Mais nous ne devons pas confondre ce point de vue avec celui du philanthrope ou du serviteur de la société.

Celui qui comprend est un serviteur de Dieu et non pas de la société. Par nature il est impartial et non pas l’adhérent d’un parti ou d’un intérêt quelconque, et il n’est jamais le sujet passif d’une vertueuse indignation ; sachant Qui il est, il n’aime personne que Soi-même, le Soi de tous les autres, et il n’aime ou ne hait aucune personne particulière telle qu’elle est en elle-même. Ce n’est pas « ce » qu’il fait, quoiqu’il puisse faire mais sa « Présence » qui prend soin et protège les autres citoyens et pour cela un monastère, une ferme ou une usine sont tout aussi appropriés !

L’authentique ascète est un « ouvrier » mais à la différence du travailleur ignorant, un ouvrier qui ne se préoccupe pas du lendemain et dont la sollicitude est seulement pour l’action et non pas pour ses fruits. (Gîta).

De ce fait la psychologie de la tradition, si pratique soit-elle, n’est rien moins que pragmatique ; ce jugement ne porte pas sur la finalité mais sur les moyens.
Les résultats sont en dehors de notre pouvoir, et par conséquent de notre responsabilité.

Un seul résultat, cependant, et c’est le meilleur celui-là, est la conséquence du recours aux moyens appropriés, et il est constitué par le propre perfectionnement de l’ouvrier. L’homme se perfectionne lui-même en se vouant à ses propres tâches, celles-ci étant déterminées par sa propre nature. La Gîta et Maître Eckart résument parfaitement tout ce processus

-Renonçant mentalement à toute activité, l’habitant du corps dirigeant(ce qui correspond à l’homme intérieur) repose en toute félicité dans la ville du corps aux neuf portes, sans aucunement agir, ni se forcer à l’action. (Gîta)

-Vous devez savoir que l’occupation de l’homme extérieur peut être telle que l’homme intérieur reste, durant tout le temps, non affecté et non mû. (Maître Eckart)

Tels sont les fruits immédiats de la psychologie traditionnelle une fois comprise et mise en pratique. Mais, en même temps qu’un tel homme est libéré de la domination de ses espérances et de ses craintes( c’est ce que signifie d’être le maître de son destin) il devient QUI il est ; et lorsqu’il s’en va et qu’un successeur prend sa place, ce qui est pourvu dans les sociétés traditionnelles par l’héritage et la transmission formelle des fonctions, alors ayant fait ce qui était à faire, la personnalité psychophysique tombera comme un fruit mûr de la branche pour entrer dans d’autres combinaisons, et l’immortel SOI de ce soi aura été libéré. Et voici les deux finalités proposées par la psychologie traditionnelle à celui qui aura mis en pratique sa doctrine :

-être en paix avec soi-même quoiqu’il puisse faire et

-Devenir le spectateur de tout le temps et de toutes les choses. »