« L’investigation détruit les éléphants de la grande illusion! »

 

 

 

 

 

Le Yoga Vasistha est un des sommets de la spiritualité, très vénéré en Inde, aussi bien pour sa teneur philosophique et mystique que pour sa qualité poétique.

Aucun spécialiste depuis des, siècles n’a pu se mettre d’accord sur sa date de rédaction et jamais une telle amplitude d’incertitude ne semble avoir eu lieu pour un texte sacré (les estimations s’étalent entre le 6ième et le 12ième siècle !!!!) et quant à son auteur (bien qu’ayant été attribué à Valmiki) tout le monde s’accorde à dire qu’il est inconnu et que c’est peut-être l’œuvre de plusieurs rédacteurs.

Tout ce mystère qui l’entoure lui confère d’autant plus d’importance et en fait (comme beaucoup de grands textes) une œuvre intemporelle. Il crée une sorte de synthèse entre les enseignements du Yoga, des Upanishads et du Bouddhisme et il est un pur joyau de la non dualité. Tout au long de l’ouvrage, le sage Vasistha guide le prince Rama, fils du roi Dasaratha, sur la voie de la Réalisation et du Bonheur absolu. Aucune spiritualité particulière n’est prescrite mais le prince Rama est constamment invité à la connaissance de soi et partant à la Réalisation du Soi, toute cette recherche se déroulant à travers l’intelligence du cœur. Un des leitmotivs qui revient souvent, c’est cette phrase fondamentale :

« L’apparence de ce monde est une confusion : de même que le bleu du ciel est une illusion d’optique. Mieux vaut ne pas s’y intéresser et l’ignorer. Il n’est possible ni de se dégager de la souffrance ni de Réaliser sa Vraie nature tant que l’on n’est pas convaincu de l’irréalité de l’apparence du monde. On acquiert peu à peu la ferme conviction que le monde objectif est le résultat de la confusion entre ce qui est réel et ce qui ne l’est pas. »

Le texte qui va suivre (à ma connaissance inédit en français) est l’intégralité du chapitre 14 du livre deux du Yoga Vasistha qui m’a été transmis gracieusement par un ami qui en a fait lui-même la traduction. Ce chapitre est fondamental dans la mesure où il traite de l’INVESTIGATION, qui est la qualité principale requise pour atteindre la Réalisation sur la voie non duelle du Vedanta. Ramana Maharshi ne préconisait que cela qui peut- se résumer à la fameuse question socratique du « QUI SUIS-JE ? ». Question fondamentale pas si intellectuelle que certains le pensent car le texte précise bien que : « le cœur de l’homme qui ne pratique pas l’investigation est comme une pierre. »

Nous sommes donc appelés de tout cœur à suivre cette voie magnifique.

 

Vasistha dit :

1 : Avec un entendement hautement purifié, celui qui a clarifié son intelligence des textes, qui connaît les causes, doit pratiquer sans arrêt l’investigation du Soi.

2 : L’investigation aiguise la pensée, celle-ci voit l’Etat Suprême. Elle est le meilleur remède à la longue maladie du samsara.

3 : Ici-bas la forêt de l’adversité qui se développe continuellement, est coupée par la scie de l’investigation et ne repoussera plus.

4 : Quand la perte des parents et les difficultés qui sont dues à l’illusion se sont calmées, tout est accompli, car l’investigation très sage est le chemin de la vérité.

5 : Pour le sage il n’y a pas de voie sans investigation. A partir de l’investigation, ayant abandonné ce qui est mauvais, par une pensée juste il se dirige vers ce qui est bon.

6 : La force, l’intellect, la splendeur, le fait d’obtenir, le résultat de l’action, ceux-ci résultent tous pour les sages de l’investigation.

7 : L’investigation est la grande lampe qui montre le juste et l’injuste, elle est efficace pour ce qui est désiré, en te référant à elle, franchis le vaste océan du samsara.

8 : L’investigation que l’on nomme lion, est pure par elle-même, elle détruit les lotus cueillis dans le cœur et les éléphants de la grande illusion.

9 : Depuis toujours les insensés ont pu accéder à cet Etat Suprême, celui-ci est la plus haute manifestation de l’investigation.

10 : O Raghava, les vastes royaumes, la réussite, la jouissance et la libération éternelle ; voici les fruits de l’arbre, propre à l’investigation.

11 : Ici-bas, la pensée de ceux qui sont grands se développe à partir de cette discrimination. Celle-ci ne subit pas d’échec, pas plus que les courges ne s’enfoncent dans l’eau.

12 : Ceux qui utilisent la pensée qui fait émerger l’investigation, en reçoivent de très bons fruits.

13 : Les arbres de l’absence d’investigation ont pour jeunes pousses les rives de la souffrance. Le désir est l’obstacle principal, il se tient dans le cœur de l’insensé.

14 : O Raghava, que puisse disparaître la torpeur qui séjourne en toi, faite d’absence d’investigation, dont le processus est celui de l’ivresse du vin, celui d’une poudre noire dans un liquide.

15 : L’homme qui recherche l’Absolu parmi de longues et pénibles adversités, ne sombre pas dans les illusions, de même qu’une multitude de lumière (ne sombre pas) dans l’obscurité.

16 : Le lit de lotus de l’investigation s’épanouit chez celui dont le mental est un lac transparent, comme le fait certainement la splendeur de l’Himalaya.

17 : Chez celui qui est défectueux en investigation, et dont la pensée demeure faible, voici qu’apparaît un éclair. Comme l’enfant qui inutilement voit un être surnaturel dans la lune.

18 : O Rama tu dois rejeter au loin l’homme le plus vil, qui pousse régulièrement comme la canne à sucre, qui cause de la tristesse et qui ressemble au printemps qui fait pousser les mauvaises herbes du mal.

19 : Certains sont prompts dans leurs actes, leurs mauvaises conduites et leurs méfaits. Par l’absence d’investigation ces derniers se manifestent comme les monstres des ténèbres.

20 : O porteur des Raghu, rejette au loin par de bonnes actions, celui qui est incapable d’investigation, son mérite est celui de l’arbre éternellement solitaire de la forêt.

21 : En effet, le mental pur n’est plus soumis aux désirs humains, il accède à la Suprême Sérénité, comme une pleine lune en lui.

22 : Quand le discernement est incité dans le corps, il rafraîchit suffisamment toutes choses et orne constamment, comme le clair de lune sur le monde.

23 : Le discernement de l’être humain, accompagné du drapeau de la connaissance suprême, blancheur éblouissante de la pensée, brille comme la lune dans la nuit.

24 : Les gens qui pratiquent le discernement illuminent les dix directions. Ils brillent comme le soleil, ils ont certainement écarté les dangers de la vie.

25 : Le vetàla (le vampire) qui prend la vie, imaginé comme illusion par l’esprit de l’enfant, illusion dans la nuit, est dissipé par l’investigation du mental.

26 : Précisément toutes les manifestations de l’affectivité de la vie, sont dues à une absence d’investigation. Ces manifestations proviennent d’un mental ignorant, et c’est par l’investigation qu’elles sont mises en pièces.

27 : L’être humain dont le mental inné est illusions, a fabriqué de nombreuses souffrances, c’est le vetàla (le vampire) du samsara qui dure depuis longtemps. Celui-ci est dissous par l’investigation.

28 : Connaît le fruit de l’arbre de l’investigation, qui est unicité pure, sans douleur et sans fin, félicité unique.

29 : La délicieuse splendeur qu’elle procure, son assise et sa grandeur, font apparaître l’absence de désirs, comme la lune fait surgir la fraîcheur.

30 : L’investigation personnelle est la panacée, elle s’appuie sur le mental, et permet au sage d’accéder au plus Haut ; il ne désire plus rien et n’abandonne rien.

31 : Celui-ci (le mental) ayant un appui solide, où la conscience a réalisé l’éclat de son ampleur, ne disparaît pas et n’apparaît pas. Son intériorité s’étend au loin comme la vacuité.

32 : Il ne donne ni ne reçoit, il ne s’élève pas et ne s’apaise pas. Il demeure seul regardant en tant que témoin le vaste monde.

33 : Il ne s’apaise pas et n’est pas absorbé dans ce qui est extérieur ni dans ce qui est interne. Il ne s’adonne pas à la non-action, et il n’est pas immergé dans les actes.

34 : Il néglige ce qui est passé, et se conforme à ce qui est. Ni agité, ni inerte ; il est comme l’océan empli de son éclat.

35 : Le mental comblé, les grandes âmes, les grands esprits, et les libérés vivants, unis, se déplacent en ce monde.

36 : Stables, ayant passé longtemps avant d’avoir totalement abandonné ce qui est désiré, ils sont parvenus à la vastitude absolue.

37 : « Qui suis-je ? Pour qui donc y a-t-il samsara ? » Même en période de malheur, le sage doit réfléchir. Et ainsi par son effort, c’est un médicament qu’il s’administre. »

38 : C’est par l’investigation et rien d’autre, Ô Raghava, que le roi connaît la difficulté et ce qui est douteux dans ce qui doit être fait, ce qui est fructueux et ce qui ne l’est pas.

39 : C’est l’investigation qui donne l’origine de ce qui est conforme aux traités du vedanta et des vedas, ceci afin de discerner ce qui est dans l’obscurité de la nuit.

40 : L’investigation est l’œil charmant qui dévoile la grande et immuable lumière dissimulée dans l’obscurité.

41 : En effet être aveugle à l’investigation c’est être à plaindre comme l’aveugle de naissance. C’est être faible d’esprit vis-à-vis de toutes choses. Le regard divin a l’investigation pour soi, et il est vainqueur en toutes choses.

42 : L’étonnement de l’investigation ne peut cesser un instant, il accomplit la grande félicité de l’Un, il est vénérable et est le Suprême Soi.

43 : L’homme à qui convient l’investigation aime ce qui est grand, comme l’émerveillement du fruit mûr du sahakara.

44 : Les hommes dont les pensées sont amoureuses de l’investigation ne s’agitent pas sans cesse parmi les nombreuses crevasses de la souffrance, ils savent où vont les chemins.

45 : Il ne crie pas, cent infirmités ne lui causent pas d’infortune. Comme un malade est l’ignorant, il manque d’investigation, se détruit et se lamente.

46 : Les hommes dépourvus de réflexion ne sont pas meilleurs que le serpent dans un coin obscur, que les insectes les plus souillés et que celui qui est dans la fange.

47 : Il faut abandonner totalement l’absence d’investigation, qui est la demeure innée de tout ce qui est mauvais, couvre tout ce qui est bon ainsi que les situations défectueuses.

48 : L’investigation permanente doit être un support pour la grande âme qui l’a utilisée, comme pour ceux qui sont tombés dans un grand trou obscur.

49 : Le moi, grâce au Soi, s’appuyant sur l’investigation fait traverser l’illusion du samsara au mental, cette gazelle.

50 : « Qui suis-je ? Comment cette erreur que l’on nomme samsara a-t-elle pu apparaître ? » L’impatience que révèle cette considération, est ce qu’on nomme investigation.

51 : Aveuglé depuis longtemps par l’obscurité très dense de l’illusion qui conduit à la souffrance, le cœur de l’homme qui ne pratique pas l’investigation est comme une pierre.

52 : Pour ceux qui voient ou admettent leurs pensées ou leurs absences de pensées, rien de réel ni rien de bon, ne peut être connu sans l’investigation.

53 : L’investigation fait connaître la Réalité, et de la Vérité provient la paix du mental. C’est la sérénité du mental qui fait disparaître toutes les souffrances.

54 : Sur terre on obtient le fruit de ses actions, si par la vision claire du discernement qui provient de l’investigation on atteint l’essentiel, alors on est tranquille.

 

 

Yoga Vasistha

Livre II, Chapitre 14 : L’investigation.

Traduction : Max Dardevet.