L’Anubhavamrita : Partie 3 : La dette aux 4 formes de paroles !

 

Je veux tenter quelque chose d’inhabituel (surtout à une époque si inculte et friande de «digests” et de vulgarisations complaisantes) et proposer aux lecteurs de ce site LE TEXTE BRUT DE L’ANUBHAVAMRITA lui-même sans aucun commentaire, afin de permettre à chacun d’explorer selon son niveau LA FORCE ET LA VERITÉ transformatrices de ce texte de 800 ans dont certains passages s’ils sont bien entendus, peuvent provoquer un choc salutaire, un « déclic » comme dit Bernard, qui rapproche de l’autre rive.

Après le premier chapitre qui relatait en détails l’identité de Shiva-Shakti, le second qui était un hommage vibrant au Guru, voici le troisième qui développe les quatre paroles fondamentales de l’hindouisme. Ce chapitre est d’une force extraordinaire et montre à quel point même la connaissance doit être dépassée afin de se trouver au-delà de tout concept. La démonstration est assez vertigineuse et nous invite tous à aller au-delà  et il a cette merveilleuse phrase à méditer longuement: « Ce reliquat de servitude qui se tapit même dans la connaissance de l’Absolu, a finalement été détruit par la célébration de mon Guru !  »

Jnaneshwar était un poète, philosophe et yogi Hindou très influent du 13eme siècle. Il a été influencé par la tradition Nath Yogi, mouvement philosophique de son temps. Il a écrit un commentaire éminent sur la Bhagavad Gita : le Jnaneshwari. La légende stipule que après avoir écrit ce texte, son Guru (par ailleurs son frère) le félicita grandement mais lui fit remarquer qu’il avait écrit un commentaire sur ce que quelqu’un d’autre avait dit et qu’il serait préférable qu’il écrive quelque chose venant de sa propre expérience, c’est ainsi que naquit l’ Anubhavamrita qui est considérée comme l’une des œuvres spirituelles les plus influentes au monde, très prisée par Nisargadatta et les sages de toute sa lignée. 

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Chapitre 3 : La dette aux quatre formes de paroles.

 

 

NDLR : Selon Wikipédia les quatre mahavakyas (Maha : grand -Vakya : la parole) sont les grandes paroles ou déclarations fondamentales tirées des Upanishads qui sont censées les résumer. Elles affirment l’identité profonde entre l’homme et la totalité, identité qui sera l’un des fondements de l’hindouisme. Ce sont

Prajnanam Brahma : la conscience est le Brahman

Aham Brahma asmi : Je suis le Brahman

Tat twam asi : Tu es Cela

Ayam atma Brahma : Cet atman est le Brahman.

Ces 4 paroles énoncent une seule et même équation : d’un côté il y a l’atman qui est le principe de la conscience individuelle, de l’autre il y a le Brahman, le principe de la totalité Et il y a donc identité entre atman et brahman.
En fait ces 4 paroles constituent un essai de conceptualiser l’Absolu qui est au-delà de toute représentation, d’où le développement de ce chapitre par Jnaneshwar pour amener au-delà des concepts aussi élevés soient-ils !

 1- Par la pratique de diverses disciplines, et une pleine compréhension des quatre mahavakyas, le sommeil de la conscience peut peut-être s’achever (la connaissance peut peut-être être acquise), mais le réveil qui suit, étant corrélé au sommeil, n’est pas l’éveil authentique (tout comme la connaissance qui est corrélée à la non-connaissance, n’est pas l’aperception ultime).

2- D’une certaine façon, les quatre stades de paroles sont utiles du point de vue de l’illumination, mais sont-ils vraiment éliminés avec l’élimination de l’ignorance ?

3- Tout comme avec la destruction du corps, les membres sont également détruits,

4- Ou comme avec l’esprit viennent également les sens, ou, comme les rayons du soleil disparaissent avec le soleil, ou, comme les rêves s’achèvent avec la fin du sommeil, de même avec la fin de l’ignorance les quatre sortes de paroles doivent également s’achever.

5- Mais

6- Quand un métal (en fusion) est mélangé, il continue d’être comme le liquide : quand

7- Le bois est brûlé, il demeure sous forme de braises ou de cendres ; si le sel est mélangé à de l’eau, il perd sa forme solide mais il conserve son goût ; le sommeil peut être terminé, mais il existe sous une forme subtile, en tant qu’état de veille ; de même, les quatre types de paroles peuvent mourir avec l’ignorance, mais elles continuent d’exister sous la forme de la connaissance.

8- l’acquisition de la connaissance de Brahman détruit les quatre sortes de paroles, mais avant d’être détruites, elles allument la lampe de la connaissance, qui à son tour devient une sorte de servitude.

9- Le sommeil, quand il vient, devient la cause du rêve, et quand il disparaît, il devient la cause de l’état de veille. Dans chaque cas, l’existence basique est celle du sommeil ;

10- Quand l’ignorance est présente, elle donne un faux point de vue, et quand elle disparaît, elle demeure sous la forme de connaissance qui donne un point de vue correct.

11- L’ignorance, sans être quoi que ce soit de vivant ou de mort, est certainement capable de fixer quelqu’un à la servitude et à l’émancipation (en tant que concepts).

12- Si la libération même est une forme de servitude, pourquoi donc employer le terme de libération ? (À cette question le sage répond que) à la fois la servitude et la libération sont le produit de l’ignorance, et comme cette ignorance même est un pur concept, le mot n’a aucune signification réelle.

13- le gobelin ou le monstre, la peur qu’ils produisent, et le bonheur à leur mort, existent tous pour un enfant. Ça n’a aucun sens pour un adulte, qui sait que tout cela n’est que concepts.

14- Quand un pot est créé (en argile), il serait stupide de déplorer la perte ou l’absence du pot qui était là avant même que le pot soit créé.

15- Donc, quand la servitude même est juste un concept, comment la libération pourrait-elle être autre chose qu’un simple concept ? La disparition de la servitude est interprétée comme l’apparition de la libération. Tous deux sont le produit de l’ignorance, qui est elle-même un pur concept.

16- Donc, tout comme l’ignorance est la cause de la servitude, de même son :

17- opposée interreliée, la connaissance. Ce n’est pas seulement moi qui dis cela. J’ai la légitimité pour cette déclaration du Seigneur Shiva, qui en dit autant dans le Shiva-Sutra intitulé « Jnanam Bandhah », mais aussi du Seigneur Vishnu, qui en dit autant dans la Bhagavad-Gita.

18- Toutefois, cela ne doit pas être accepté juste parce que le Seigneur Shiva et le Seigneur Vishnu l’ont dit, mais parce qu’il en est ainsi dans votre expérience :

19- Et votre aperception. Ne serait-il pas ridicule que « CELA » qui est la connaissance même, son essence même et son incarnation, dépende de la connaissance d’un autre pour être établie ? ce serait comme si le soleil dépendait de quelque chose d’autre pour sa lumière !

20- Si par la connaissance « Je suis CELA », un individu se considère libéré, cela montre qu’il n’a toujours pas eu l’aperception de sa véritable nature, qui est la plénitude de la connaissance même. Si une lampe espère la lumière d’une autre lampe, cela signifie qu’elle a oublié que la lumière est sa propre nature.

 21- Est-il possible de se trouver soi-même en allant d’un lieu à l’autre ?

22- Après avoir longtemps erré ainsi, si l’on découvre que ce que l’on cherchait est juste soi-même, et qu’il n’y avait aucun besoin d’errer ainsi, y a-t-il la moindre joie à se trouver soi-même ?

23- De même, le Soi qui est la connaissance même, après une longue recherche de la connaissance, déclare avec succès : « Je suis CELA ». N’est-ce pas un cas d’auto-attachement à cette connaissance ?

24- La connaissance, basée sur des mots (la pensée), qui est l’opposée interreliée de l’ignorance conceptuelle, peut sembler hautement estimable, mais parce qu’elle est conceptuelle, elle est également éphémère ; l’illumination véritable ne survient que quand la connaissance se perd elle-même dans l’êtreté nouménale.

25- Donc, les quatre types de paroles, qui sont comme les ornements des quatre types de conscience (la totalité du débit mental), relèvent tous du niveau de la conceptualisation, et de ce fait, ils poursuivent leur existence même dans la connaissance qu’on est Brahman. (Cela est démontré dans les divers exemples suivants).

26- Quand des bûches sont placées dans le feu, elles sont brûlées, mais elles continuent d’exister sous la forme de cendres ; de même, l’ignorance peut sembler avoir été détruite, mais elle perdure sous forme de connaissance.

27- Quand un morceau de camphre est jeté dans l’eau, il se dissout mais il existe en tant que parfum.

28- Quand les cendres sont appliquées sur le corps (comme par les mendiants), elles laissent derrière elles une ombre de gris même après qu’on les ait brossées.

29- Quand une personne sort du bain, elle a beau s’essuyer, l’eau demeure sous forme d’humidité.

30- À midi, notre ombre, qui était clairement visible auparavant, n’est plus visible, mais elle demeure cachée sous nos pieds.

31- De la même façon, même après la destruction du concept d’ignorance par la reconnaissance de l’état de dualité, la conceptualisation perdure sous forme de connaissance.

32- Ce reliquat de servitude qui se tapit même dans la connaissance de Brahman, dit Jnaneshwar, a finalement été détruit par la célébration de son Guru.

33- Aussi longtemps que la connaissance est en relation avec l’ignorance, ce n’est pas l’ultime connaissance. L’ultime connaissance ne survient qu’en transcendant à la fois la connaissance et l’ignorance qui n’existent qu’au niveau conceptuel.

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La traduction est issue du livre: Ramesh Balsekar : l’Expérience de l’immortalité : éditions Acarias L’Originel.